Éditorial
Garrigues & Sentiers on the Net
Dossier n° 18
« J’acquiers la conviction personnelle qu’il n’y a d’humanité que plurielle et que dès lors que nous prétendons – dans l’Église catholique nous en avons la triste expérience au cours de notre histoire – posséder la vérité ou parler au nom de l’humanité, nous tombons dans le totalitarisme et l’exclusion. »
Parole autorisée : c’est celle d’un pasteur. Et d’un pasteur, Pierre Claverie, que sa charge d’évêque et la façon dont il l’a exercée sur sa terre d’Algérie ont conduit à périr assassiné.
Et de poursuivre : « Nul ne possède la vérité, chacun la recherche. Il y a certainement des vérités objectives, mais qui nous dépassent tous et auxquelles on ne peut accéder que dans un long cheminement et en recomposant peu à peu cette vérité là, en glanant dans les autres cultures, dans les autres types d’humanité, ce que les autres aussi ont acquis, ont cherché dans leur propre cheminement vers la vérité. Je suis croyant. Je crois qu’il y a un Dieu mais je n’ai pas la prétention de posséder ce Dieu là, ni par Jésus qui me le révèle, ni par les dogmes de ma foi. On ne possède pas Dieu. On ne possède pas la vérité et j’ai besoin de la vérité des autres. C’est l’expérience que je fais. » (P. Claverie, Humanité plurielle, Éditions du Cerf, Paris, 2008, p. 141).
Quand nous avons décidé de retenir Chemins de vérité comme thème de ce dix-huitième dossier de notre blog, ces paroles étaient dans nos cœurs comme à l’horizon de nos esprits ; il est donc naturel que nous les mettions ici en exergue. D’autant qu’elles laissent bien entendre ce que sera notre propos : non pas délivrer un exposé en règle, mais frayer des pistes qui aident chacun à découvrir sa propre voie vers la vérité et à s‘y aventurer, à la façon de cette motrice au sortir d’une rotonde de chemin de fer qui sert d’icône au dossier.
Il n’est pas si facile cependant de se risquer sur ces pistes ; au cas où nous l’aurions oublié, trois fioretti le rappelleront d’emblée. Sommes-nous Homme d’ordre, homme ballotté, homme boiteux, à la manière des portraits-robots plaisamment croqués par Candide ? Quel que soit le portrait dans lequel nous nous reconnaîtrons, comme aimait à dire Gide, il nous faudra pourtant « suivre notre pente, mais en remontant » si nous voulons vivre en vérité. Et tout au long de cette ascèse sans cesse à remettre en chantier, Faut-il toujours dire la vérité ? La réponse est moins évidente qu’il n’y paraît, comme le marque Jean-Louis Vissière. Mais autant vaut pour l’injonction qui la commande, Dis-moi la vérité, ainsi que le souligne en écho Monique Morvan, avec pour guide le mot de Bergson : « Nous ne voyons pas les choses mêmes, nous nous bornons à lire les étiquettes collées sur elles. »
Encore faut-il savoir déchiffrer ces étiquettes. Pour y aider, suivent d’autres contributions qui visent, de façon non exhaustive, à explorer les champs de la connaissance afin de découvrir, non quelle vérité, mais quelles vérités y sont cultivées. Le pluriel s’impose en effet, tant les approches sont différentes. Cela vaut même pour La vérité dans les sciences dont traite Jean Palesi dans un article que l’on pourra lire conjointement avec la contribution de Bernard d’Espagnat, Physique et Réalité, que nous avons publiée dans notre dossier n° 16, À bout de souffle... vraiment ? Mais autant vaut dans le domaine des sciences juridiques comme le montre l’article de Julie Guyon, Quelle place pour la vérité dans notre justice ? car dire le droit a ses critères qui ont peu à voir avec les attentes des justiciables et leur soif de compassion. Et que dire des sciences de l’homme qui se veulent également Ouverture sur le vrai, pour reprendre le titre de l’article de Marie-Jeanne Coutagne ? Pour la philosophie qui est l’objet exclusif de sa réflexion, cette ouverture est en forme d’ad-venir marqué par un (certain) regain récent de la métaphysique. Elle emprunte d’autres voies dans le domaine de la psychologie des profondeurs dont traitent deux autres contributions : l’une de Maurice Netter, La vérité dans la relation interpersonnelle, combine neuropsychologie et psychanalyse ; l’autre, plus ciblée, de Jacques Arènes et Dominique Foyer, La vérité de l’acte sexuel, est un article paru récemment dans l’hebdomadaire La Vie qui en a aimablement autorisé la reproduction.
Ces chemins de vérité que frayent les connaissances de notre temps peuvent bien être éclairants, ils n’épuisent pas le sujet. Aussi avons-nous eu recours à un autre éclairage qui ne surprendra guère dans ce blog animé par des chrétiens : celui que fournit l’Écriture sainte, dont traitent trois contributions. L’une, de René Guyon, La Vérité ou la mort ! peut-être les deux… est dans le droit fil de la rubrique D’une Alliance à l’autre qu’il tient dans ce blog : comme d’ordinaire, on y découvrira ce qu’apporte la connaissance de l’hébreu à une juste appréhension du Premier Testament. Les deux autres traitent de l’Évangile de Jean – cet Évangile de Vérité autant que d’Amour –, selon une approche ouvertement théologique chez Jacques Lefur, La vérité dans la foi chrétienne à la lumière de l’Évangile de Jean, plus intimiste chez Christiane Guès, La Vérité selon saint Jean : petits aperçus spirituels.
Que le mot « spirituel » apparaisse ainsi au détour d’un sous-titre ne doit rien au hasard. Car la spiritualité, voire la mystique, sont des voies royales pour accéder à la Vérité. À preuve la belle contribution d’Alain Feuvrier, Je ne puis me nourrir que de la vérité, en forme de méditation sur les manuscrits de la « petite Thérèse » de Lisieux. Et la spiritualité n’informe pas seulement nos vies de chrétiens, elle irrigue le corps ecclésial tout entier dès lors qu’une pastorale sait s’en inspirer. Chose que montrent deux autres contributions. L’une de Ghislain Lafont, Du primat de la vérité au primat de la charité selon Jean XIII, en pointant cette inflexion décisive du magistère pontifical due au bon pape Jean dont sont issues les avancées les plus fécondes du concile de Vatican II. Particulièrement dans le domaine de l’interreligieux dont traite Jean-Marc Aveline dans un article, La Vérité du christianisme, c’est quoi ?, qui donne la mesure des progrès accomplis par la réflexion théologique en la matière depuis cinquante ans. Ils sont les fruits d’un long cheminement spirituel dont la rencontre d’Assise voulue par Jean-Paul II et sa prochaine réitération par Benoît XVI constituent les jalons les plus significatifs.
Nous aurions pu rester sur de telles ouvertures, qui sont promesses d’avenir. Mais nous n’avons pas résisté au plaisir d’un envoi en forme de florilège de ce que nous avons découvert des multiples facettes de la Vérité sur les chemins que nous avons empruntés pour en appréhender la substance. On le trouvera dans l’Homélie à la primatiale que Christian Montfalcon nous a fait l’amitié de nous délivrer : « La vérité se contemple, se dit, se fait, se risque ; elle est un don, non un code, une loi, ou une chose. » Des homélies de cette eau, à Garrigues & Sentiers, avouons-le, nous en sommes friands !
G&S