Éditorial
Garrigues & Sentiers on the Net
Dossier n° 16
Pour introduire à ce seizième dossier de notre blog, une œuvre intitulée Le coureur de Marathon qui est due à un plasticien canadien récemment décédé, Gaëtan Therrien 1. Mais c’est avec un petit m que nous écrirons « Marathon ». Car nous n’entendons pas nous arrêter sur l’image d’un homme mourant de trop d’efforts, mais privilégier celle d’un athlète qui reprend souffle après l’épreuve et se prépare à de nouveaux défis ; cela afin de voir en lui l’icône de notre monde en ce début de XXIe siècle.
Et d’abord son économie. Nous sommes plongés dans la crise la plus sévère des quatre-vingts dernières années à cause des modèles libéraux qui ont été le credo de Reagan et ses épigones, comme le rappellent les contributions de G. Roustang, Un monde à bout de souffle dominé par le matérialisme économique et Y. Bourquin, Le marché et l’État – Les dieux sont morts. Sommes-nous pourtant à bout de souffle ? Ce n’est pas le sentiment qu’inspire la ferme conclusion de G. Roustang : « Optimisme, pessimisme ? Nous n’avons pas le choix, il faut nous battre. Il faut gagner ou perdre aujourd’hui et ici. » Et un élément de réponse, par le biais d’une économie alternative, peut venir du livre de J.-B. de Foucauld, L'abondance frugale, pour une nouvelle solidarité, dont rend compte M.-F. de Billy.
Mais autant vaut pour la planète : nul doute que la pollution par les émanations des gaz à effet de serre de nos industries et de nos transports la rend elle aussi à bout de souffle. Et le pire pourrait être à venir si l’on en croit les anticipations climatiques dont traite la contribution d’A. Douguédroit, Le climat de la terre au bord du gouffre ?. Cela pour conclure : « Le climat lui-même n’est pas "au bord du gouffre." En revanche ses conséquences risquent peut-être de placer le monde vivant "au bord du gouffre". » Ce qui sonne à nouveau comme un appel à la responsabilité de chacun. Et singulièrement des « enfants d’Abraham » comme le marque l’article de F. Baudin, Bible et écologie. Protection de l’environnement et responsabilité chrétienne.
Et que dire du politique dont traitera une contribution à venir de P. Rastoin ? À bout de souffle lui aussi, si l’on considère la timidité avec laquelle il fait face aux défis économiques et écologiques que l’on vient de dire ? Sans doute. Mais notre monde est aussi le théâtre d’une redistribution des cartes majeure qui clôt un cycle de cinq siècles inauguré par la découverte du Nouveau monde. Il a conduit l’Europe et « l’Amérique sa fille », comme disait de Gaulle, à dominer directement ou indirectement la planète entière. Aujourd’hui, nous assistons à l’émergence d’un monde multipolaire. Pourquoi l’Europe n’y jouerait-elle pas sa carte, comme elle le fit jadis ? À elle seulement (si l’on peut dire !) de le vouloir.
Et cette profonde remise en cause des repères que nous croyions les mieux établis touche jusqu’aux sciences qui ont connu elles aussi depuis cinq siècles l’essor que l’on sait. Singulièrement la physique dont nous avons retenu de Descartes qu’elle pouvait « nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. » Or voici que l’article de B. Espagnat, Physique et réalité nous apprend qu’elle ne nous livre que « des modes d’apparence d’un Quelque Chose, auquel discursivement nous n’avons, très probablement, pas vraiment accès. » Et celui de J. Palesi, À bout de souffle… la physique aussi ? est plus radical encore : il montre comment, depuis une génération, cette discipline peine à inventer.
On pourrait donner d’autres exemples en bien d’autres domaines. Mais puisque ce blog se veut un « espace de liberté, de foi et de réflexion chrétiennes » pourquoi ne pas privilégier celui qu’offrent les Églises et singulièrement l’Église catholique ? Le livre de D. Hervieu-Léger, « Catholicisme, la fin d'un monde » dont rend compte P. Robert-Pousseur donne la mesure de la crise qui la frappe. Pour elle aussi se clôt un cycle multiséculaire dont l’inauguration est à rechercher dans la Contre-Réforme. Sinon bien avant, dans l’instauration du réseau paroissial qui a modelé les âmes et les paysages à partir du Ve siècle de notre ère. Dès lors, Quel avenir pour le christianisme ? L’Espérance, comme le dit l’article que le grand historien qu’est J. Delumeau nous a fait l’honneur de confier à notre blog. Une espérance dont il convient dès à présent de préciser les contours comme le fait une autre contribution d’A. Olivier, Pour une Église moins essoufflée.
Il en va pour l’Église de la fidélité à la Parole qui la fonde. Tant il est vrai que se retrouve, comme le dit l’article de R. Guyon, Le souffle d’un bout à l’autre de la Bible. C’est bien le moins qu’on puisse attendre d’un livre inspiré – un mot auquel il convient de réapprendre à donner tout sons sens. Pour autant, cette inspiration est aussi à toute époque celle de tous les poètes, tous les mystiques, comme le souligne la contribution de C. Kappler, Le Souffle, un art de la Présence, selon la poésie et la mystique persanes. Utile rappel qui invite à regarder au-delà de nos petites chapelles pour déceler ces « signes des temps » que le Seigneur nous a commandé de scruter (Matthieu 16,2-3).
Or, en ce début de XXIe siècle l’Espérance aussi est un « signe des temps ». Pour peu que nous sachions la voir, même dans de toutes petites choses. Ce à quoi nous convie un court billet de Marie Ève, Redonner souffle au sens de la fête, délicat fioretto que nous vous laissons le plaisir de découvrir et de cueillir. Mieux, elle est un impératif qui a pour autre nom Résister, comme le marque bien un autre billet de P. Rastoin. On ne s’étonnera donc pas qu’il reprenne en conclusion les derniers mots du livre récent de S. Hessel qui connaît le succès que l’on sait2 : « Créer, c’est résister. Résister c’est créer ».
Ne désespérons pas de l’obscure lumière qui paraît baigner présentement notre univers. « Cela a un très beau nom, femme Narsès. Cela s'appelle l'aurore », comme le dit le mendiant à la compagne d’Électre dans l’ultime réplique de l’Électre de Giraudoux. Pourtant le rideau tombe sur la ruine de tout ce à quoi Électre était attachée : sa cité, sa famille. Mais lui reste du moins son nom qui, en grec, signifie « lumière »…
Portons sur notre monde – et sur la vie que nous y menons, les engagements auxquels nous sommes appelés – les yeux de ce mendiant. Mieux : soyons ce mendiant.
Mendiant d’Espérance.
Et mendiant de Dieu.
G&S
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2- S. Hessel, Indignez vous ! Indigènes édition, Paris, 2010.