La vérité du christianisme, c’est quoi ?
Cet article est la transcription d’une partie d’un enseignement ;
cela explique son titre et sa forme proches du langage parlé.
Les références bibliques sont de l’Évangile de Jean sauf indication contraire.
Vous trouverez en fin d’article deux
fichiers MP3 de la version audio de cet enseignement
(le texte écrit et le texte parlé sont un peu différents
car le premier est composé de notes prises en cours d’écoute)
Une question qui nous vient du début du XXe siècle, c'est-à-dire une question qui a jailli au moment où s'est développée l'histoire des religions, deuxième moitié du XIXe siècle, début du XXe siècle. C'est une question qui et encore actuelle aujourd'hui : quand on a commencé à découvrir l'immensité de l'histoire des religions, quand on a commencé à mieux prendre conscience qu'il y avait aujourd'hui plus de religions mortes que vivantes, et que du coup les religions sont des phénomènes historiques avec un début et une fin. Du coup on s'est dit : « mais, peut-on continuer encore à dire que le christianisme est la religion absolue, si comme toute religion, nous dira l'historien, le christianisme est un phénomène historique ? S'il est historique, il est relatif, s'il est relatif, pourquoi dire qu'il est absolu ? Soit on n'a rien compris, soit on n'est jamais sorti de chez soi, soit vraiment on n'a pas réfléchi longtemps ! »
Voyez, première question que nous voyons, par forcément parce que nous faisons de l'histoire des religions mais parce que nous côtoyons des gens d'autres religions.
La Vérité du christianisme, c'est quoi ? Peut-on dire du christianisme qu'il est la vraie religion ? Si on réfléchit un tout petit peu, on va dire qu’il est la vraie religion pour ceux qui y croient ! Encore heureux ! Mais pour les autres, non ! Si vous y réfléchissez sérieusement, on peut aboutir très vite à une conception qui dirait « à chaque religion sa vérité. » D'ailleurs peut-être que si on était né au Japon on serait bouddhiste ou taoïste. Mais on ne serait pas chrétien. Alors cela veut dire quoi ? Cela veut dire que la Vérité du christianisme est limitée à la zone d'influence du christianisme.
Et d'ailleurs, souvent, on vous présente les choses comme ça : le christianisme est la religion de l'occident, et d'ailleurs il est en choc des civilisations, avec l'Orient et encore plus l'extrême Orient où il n'y a pas forcément le choc mais enfin quand même. Donc à chaque ensemble culturel, à chaque civilisation, une religion. Et à chaque religion, sa prétention à la Vérité. Et si vous dites oui mais nous, justement notre Vérité elle vaut pour tous, on va dire : « soit vous êtes naïf, vous n’êtes jamais sortis », ou alors : « vous êtes dangereusement hégémoniques, vous êtes prosélytes ». Vous avez le droit de croire ce que vous voulez, de dire du Christ qu'il est pour vous la Vérité, tant mieux, mais ne l'imposez pas aux autres ! Parce que les autres ils ont leurs religions aussi, ils ont leurs sauveurs, ils ont leurs Vérités.
Le Christ est-il l'unique sauveur du monde ? Est-il le sauveur du monde ou le sauveur des chrétiens ?
Voyez, ces affirmations de la foi, que vous trouvez dans l'Évangile, ou bien vous pouvez continuer à les lire comme ça, en somnolant, ou bien si vous les prenez au sérieux, elles demandent réflexion.
Et puis cette autre question – j'arrête là parce que la liste serait immense – mais cette autre question qui se pose forcément :
Finalement, toutes les religions ne se valent-elles pas ?
Bien sûr, il y en a qui mettent l'accent plus sur ceci ou plus sur cela mais au bout du compte, quand même, cela se vaut. D'ailleurs, quand le Maire ou le je ne sais quoi, invite toutes les religions à être autour de la table, ce qui est sous-entendu c'est quand même que « voyez on a fait quand même des progrès aujourd'hui, parce que les religions elles peuvent se parler, et on a fait des progrès aussi parce qu'on voit mieux qu'au fond, elles ont à peu près le même message, même sil y a un peu des différences mais les différences c'est de l'exotisme. Elles ont à peu près le même message Et cela vous savez comment cela s'appelle ? On appelle cela la tolérance ».
Alors on a l’impression qu'on a fait un progrès énorme parce qu'on est dans une société qui prône la tolérance. Il vaut mieux la tolérance que l'intolérance, certes, mais si la tolérance, cela veut dire : « vous voyez bien dans le panthéon de la société, tous vos dieux ont une petite place et communiquent entre eux, à la mode de l'empire romain. Donc nous allons tous vers un même panthéon, et puis comme dans le panthéon il n'y aura que des choses mortes, et bien finalement vous verrez bien qu’on a réussi à vivre ensemble. »
Vous avez suivi cette logique ? Qui n'est pas complètement hors de question aujourd'hui, au contraire même. Voyez, les questions que ça pose ! Est-ce que cela veut dire que ma petite foi chrétienne du coup, j'ai plus tellement besoin d'être missionnaire, si vous voulez. Puisqu'au fond je ne vais pas essayer d'enlever aux autres leurs bonnes religions. Vous avez des raisonnements qui arrivent à dire : « au fond le but du dialogue interreligieux c'est de faire que chacun soit meilleur dans sa religion, que le musulman devienne meilleur musulman, le bouddhiste meilleur bouddhiste et le chrétien meilleur chrétien, et puis Dieu reconnaîtra les siens ».
C'est à peu près ça. Si vous voulez, c'est actuellement la pensée dominante, enfin dominante, ce n'est pas au sens de « elle s'impose », mais tout de même c'est ça.
Réflexion : et l'engagement de l'Église catholique ? : « Je suis le chemin, la Vérité est la vie, personne ne va au Père, sans passer par moi » (14,6)
Je vais me restreindre à l'Église catholique, mais cela serait facile de faire la même chose pour l'ensemble des chrétiens. J'ai travaillé personnellement essentiellement sur le protestantisme et on arriverait aux mêmes choses, à quelques nuances près, dans l'Église de la Réforme. Du point du vue de l'orthodoxie c'est un peu différent mais on arriverait à des choses à peu près semblables.
Ce que je voudrais dire d'abord, mais je vous l'ai déjà dit 2 ou 3 fois, je le répète une dernière fois, c'est que pour avancer dans ces questions on gagne toujours à s'imprégner le plus possible de l'originalité de la foi chrétienne. Il y a un très beau livre, malheureusement pas encore traduit en français, de Enzo Bianchi, qui s'appelle La differenzia cristiana. Il insiste là-dessus : l'étonnante différence chrétienne. Je crois qu'il faut, en même temps qu'on avance dans le dialogue, avancer dans l'habitation de sa propre foi.
Rappelons que le centre de gravité, c'est Vatican II en ce qui concerne la réflexion de l'Église catholique. Et dans Vatican II, il y a plusieurs textes, mais le texte le plus important sur les relations de l'Église avec les autres religions : "nostra aetate" promulguée le 28 octobre 1965. Si vous relisez un texte du concile à l'issue de cet exposé, c'est celui-là qu'il faudrait lire.
Pour résumer beaucoup, je dirai qu'il y a :
2 principes, un fondement, et une vocation.
2 principes, vous les trouvez très simplement énoncés dans la première lettre de Saint Paul à Timothée (2,4-6). Je lis :
Premier principe : la volonté, principe universel de Dieu. Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la Vérité. (1Timothée 2,4)
C’est un premier principe ; à certaines périodes de l'histoire de l'Église, on n’a pas toujours été aussi clairs là dessus.
Souvenez-vous de l'époque du jansénisme : « pas une goutte du sang du Christ, ne tombe pour les païens. » Remontez un peu dans le temps, à l'époque où il y avait les querelles sur la prédestination, la prédestination au bien et la prédestination au mal, voyez le concile de Chiersi par exemple au IXe siècle, où certains disaient : « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés, oui enfin... cela veut dire que Dieu veut de tout parmi les sauvés, qui y ait des hommes des femmes des blancs, etc. qu'il y ait de tout, cela ne veut pas dire qu'il veut que tous les hommes soient sauvés ».
Ce principe veut dire l'unité de la famille humaine, c'est déterminant. Si vous relisez les textes du concile Vatican II vous verrez que quasiment dans chaque texte vous avez ce rappel de l'unité de la famille humaine. Du coup, le refus de tout ce qui pourrait séparer les hommes, diviser.
Le deuxième principe (1Timothée 2,4) : Il n'y a qu'un seul médiateur du salut, l'homme Christ Jésus qui a livré sa vie en rançon pour la multitude. Cela revient à cette deuxième partie du verset 6 du chapitre 14 de Saint Jean : « personne ne va au Père si ce n'est par moi ».
Donc voyez, ces deux principes, la volonté principe universel de Dieu et l'unicité et l'universalité de la médiation du Christ pour le salut.
Nous partons des Écritures dans la réflexion de l'Église sur les questions que nous avons énoncées tout à l'heure ; le point de départ ce sont ces deux principes là. Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et il n'y a qu'un seul médiateur, l'homme Christ Jésus.
Un fondement : l'attitude dialogale de Dieu dans sa Révélation.
Ici, il faudrait lire le Pape Paul VI. En particulier sa première encyclique dont vous vous souvenez peut être, Ecclesiam Suam, promulguée le 6 août 1964, en plein Concile. Paul VI disait en gros ceci et je résume ainsi le fondement de l'attitude dialogale : c'est l'attitude dialogale de Dieu dans sa révélation qui fonde l'attitude dialogale de l'Église dans sa mission.
Voyez, cela est le résumé de ce que dit Paul VI au numéro 72 d'Ecclesiam Suam.
C'est-à-dire que Paul VI dit au fond : l'originalité de la foi, juive et chrétienne d'ailleurs, c'est de confesser que Dieu, pour se révéler, ne nous a pas donné un livre, ne nous a pas donné un catalogue de préceptes ; Dieu pour se révéler, a choisi d'engager avec humanité un coloquum. Mot latin qu'on traduit en français par dialogue ; c'est-à-dire une relation que la Bible nous décrit comme une relation d'alliance ; relisez, alliance proposée, alliance refusée, alliance reproposée, une longue histoire d'alliance, voilà ce que la Bible nous dit comme étant l'histoire du salut. Cette histoire de l'engagement de Dieu dans le dialogue avec l'humanité. Et Paul VI dit que l'Église essaie de s'ajuster aux gestes de Dieu, et puisque nous confessons que Dieu, pour se révéler, a choisi d'engager avec l'humanité un dialogue qui laisse libre cette humanité, eh bien l'Église qui cherche à témoigner de l'œuvre de Dieu, a pour mission d'engager avec l'humanité un dialogue. Voilà pourquoi elle fera aussi, du dialogue interreligieux.
Deux petites remarques là-dessus :
1 – Voyez bien maintenant que quand je dis dialogue interreligieux, ce n'est pas à la mode du maire et des autres, c'est fondé sur la confession qu'on fait de la révélation de Dieu. Ce n'est pas une théorie socio-politique du religieux, c'est une réflexion sur la révélation de Dieu.
2 – L'Église, pour s'ajuster aux gestes de Dieu, engagera avec l'humanité un dialogue, avec l'Humanité et pas simplement avec les religions ; cela serait grave si aujourd'hui l'Église ne faisait que du dialogue interreligieux, comme si elle n'avait rien à dire à ceux qui ne sont pas religieux, et qui sont la majorité de nos contemporains. On aurait tort aujourd'hui de se restreindre aux questions entre croyants où, ma foi !, on est déjà un peu entre nous.
Le dialogue est avec le monde et en plus j'ajoute que nous savons d'expérience que l'Évangile nous dit que Dieu n'est pas plus proche de l'homme religieux que de l'homme séculier, et qu'il vous est peut être déjà arrivé – en tous cas à moi ce fut le cas – de vous sentir plus proche d'un humanisme non religieux que d'un religieux plus ou moins fondamentaliste, fut-il déclaré comme chrétien. Qui dit dialogue le dit avec le monde.
Dans le monde, il y a aussi des religions dont le dialogue avec le monde comprendra aussi un dialogue interreligieux, mais aussi, c'est tout. Et il faudra y faire attention, car la religion, parce qu'elle peut faire écran en donnant une assurance, en donnant une espèce de fausse illusion de garantie du salut, la religion peut être plus un écran qu'un moyen. On peut donc plus favoriser l'incrédulité parce qu'on croit qu'on a obtenu de bonnes grâces de Dieu et qu'on n’a plus à croire à grand chose, que la foi qui persiste à s'abandonner en la grâce de Dieu. Et quand il est dialogue avec les religions, il faut faire attention que les religions qui se présentent comme proches de Dieu ne fassent écran.
Une vocation : La vocation de l'Église est de coopérer à la mission de l'Esprit Saint qui est présent partout.
Elle coopère à la mission de l'Esprit Saint. C'est avantageux pour elle parce que le dernier responsable de la mission ce n'est pas elle c'est l'Esprit Saint. L'Esprit Saint constitue l'Église (c'est le récit de Pentecôte), il l'anime et en même temps il est présent partout.
Dans une encyclique de Jean Paul II, qui s'appelait Redemptoris missio et qui date de 1990, vous pourrez lire au numéro 28 cette petite phrase étonnante et qui n'a pas fini de nous faire réfléchir ; je lis : « l'Esprit Saint, est présent et agissant, non seulement dans les personnes mais aussi dans les cultures, dans l'histoire, dans les sociétés et dans les religions. »
Elle le sait, elle le confesse, elle n'a pas a souffler à la place de l'Esprit, d'ailleurs quand elle fait cela elle s'essouffle. Mais elle, elle coopère au travail de l'Esprit Saint, et sa façon de coopérer c'est quoi ? Sa façon de coopérer c'est d'être présente. C'est souvent d'ailleurs plus par la présence qu'on vit la fidélité et qu'on fait la Vérité.
Je me souviens que j'avais été appelé par l'Évêque de Tunis pour donner une formation pour tous les prêtres de Tunisie, et dans les échanges que nous avions eus, revenait souvent cela. Nous, notre mission, au fond, c'est d'être présent et de dire la fidélité de Dieu à chaque vie humaine. Donc : être présent.
Mais elle n'est pas présente passivement, par sa présence elle rend témoignage au Christ ; c’est cela au fond la mission de l'Église. Elle n'a pas à convertir les gens, c'est l'Esprit Saint qui éventuellement le fera, mais elle a à être présente en rendant témoignage au Christ qui est la Vérité, le chemin et la vie. Au fond l'Église est témoin et c'est pour ça d'ailleurs qu'elle est l'Église des martyrs.
Elle accompagne le Christ dans la pauvreté de sa kénose. Elle accompagne au fond la marche de Dieu vers le peuple du monde. S'il est le Chemin, le Christ, il est chemin des hommes vers Dieu, mais il est chemin surtout de Dieu vers les hommes. Personne ne va vers le Père sans passer par moi, parce que c'est par moi que le Père va vers les hommes.
Le cardinal Ratzinger, dans un livre qu'il avait écrit au lendemain du concile, Le nouveau peuple de Dieu, décrit au dernier chapitre la mission de l'église, et il a cette belle image, il dit : « au fond la mission de l'Église, c'est d'accompagner la marche de Dieu vers les peuples du monde ». Or nous avons spontanément l'image inverse.
Nous pensons que nous allons accompagner la marche des peuples vers Dieu, et d'ailleurs comme ça on va discuter en chemin, chacun allant vers son panthéon et puis peut être on va essayer du coup de les ramener vers le vrai panthéon. Or, c'est à l'inverse. Dieu, qui est tout puissant, a voulu avoir besoin de nous pour que nous accompagnions sa marche vers les peuples du monde, et c'est en cela que l'Église dialoguera en chemin. Le mouvement est inverse, si on veut bien comprendre l'engagement de l'Église dans le dialogue inter religieux, il faut le placer à ce niveau là : Accompagner la marche de Dieu envers les peuples du monde.
Aux bouddhistes et aux musulmans que je vais rencontrer je vais dire : « voilà, moi qui suis chrétien, je crois et je te dis que ce qui est arrivé en Jésus, te concerne aussi. » « Je ne suis pas chargé de vous le faire croire, je suis chargé de vous le dire », comme disait Bernadette. Ce qui est arrivé en Jésus, te concerne aussi.
La deuxième chose que j'ai à dire c'est que ça c'est une bonne nouvelle qui demande sa conversion et la mienne, parce qu'elle institue entre nous une amitié qui est de Dieu.
L'amitié c'est un mot simple, mais c'est un mot qui a une teneur théologique très forte ; voyez les prêtres de Tunisie, ou du Maroc. Ça fait sept ans que je suis chargé de la formation de tous les prêtres du Maroc, l'amitié ce n'est pas simplement les relations qu'on a de bon voisinage, si nous voulons le faire sérieusement à cause de notre foi, l'amitié c'est le lieu du sacrement des frères.
L'amitié c'est une grande teneur théologique. Thomas D’Aquin disait : « La charité c'est l'amitié avec Dieu ». Le meilleur terreau du dialogue, c'est l'amitié, c'est le service.
Jean-Marc Aveline
Le Père Jean-Marc Aveline vit à Marseille où il est directeur de l'Institut catholique de la Méditerranée, institut qui est associé à l'université catholique de Lyon, dont l'objectif est de travailler surtout sur les questions que pose à la foi chrétienne la pluralité des cultures et des religions.
Pour accéder à la version audio (en 2 parties) de cet exposé,
cliquez successivement sur les triangles blancs ci-dessous
|
|