Faut-il toujours dire la vérité ?
Tel était autrefois l’avis des parents et des maîtres, qui considéraient le mensonge comme une faute grave, passible de sévères sanctions.
Mais, en grandissant, les enfants découvraient que les adultes ne disaient pas toujours la vérité : on dissimulait aux malades la gravité de leur état – ce qui pouvait passer pour un acte moral–, dans les moyens de transport, on n’indiquait pas l’âge réel des enfants pour bénéficier de tarifs réduits, on ne déclarait pas au fisc la totalité de ses revenus, etc.
Molière, étudié en classe, montrait que le comportement du Misanthrope, farouche défenseur de la vérité en tous temps et en tous lieux, pouvait créer des désordres dans une société où toute vérité n’était pas bonne à dire et où la politesse se définissait comme un art du mensonge.
Kant, moraliste intransigeant, affirmait, lui, qu’il fallait toujours dire la vérité, même à un criminel qui, le poignard à la main, recherche sa victime !
Cette question a inspiré au moins deux œuvres littéraires connues.
Dans Les Misérables, quand Javert demande à la sœur Simplice si l’homme qu’il recherche est là, la religieuse répond non, et Hugo insiste sur le fait que la sœur Simplice n’avait jamais menti. Sans connaître Kant, elle a donc estimé qu’il ne fallait pas livrer la victime à son poursuivant – même s’il ne s’agit pas d’un criminel, mais d’un policier ! Autre interprétation : elle n’a pas l’impression de mentir, car elle sait que Jean Valjean, moralement métamorphosé, n’est plus le délinquant que recherche Javert.
Sartre, dans Le Mur, traite le même sujet : au cours de la guerre d’Espagne, un républicain est capturé par les franquistes qui lui demandent où se cache son chef. Il n’en sait rien, mais, pour les égarer, il les envoie au cimetière. Et il les voit rentrer triomphalement : le chef se cachait bien dans le cimetière ! Objectivement, le héros de Sartre a dit la vérité. Voilà ce qui peut arriver quand on ment aux assassins en quête de leur victime !
Jean-Louis Vissière