La Vérité selon Saint-Jean : petits aperçus spirituels
Dès que l’on fait allusion à la « Vérité » dans un groupe de chrétiens, il vient sur les lèvres de chacun des participants la célèbre question de Pilate posée à Jésus :
« Qu’est-ce-que la vérité ? ».
La vérité c’est la « conformité de ce qu’on dit avec ce qui est ». La vérité est donc parole.
Or, dans l’Évangile de Jean, Jésus disait à Pilate : « Je suis venu pour rendre témoignage à la Vérité » c’est-à-dire : je suis venu pour vous dévoiler la vérité, vous la faire découvrir et témoigner de sa réalité. La « Vérité de ce qui est » prend une autre ampleur que la définition d’un simple concept dont le contraire serait l’erreur volontaire d’un fait retraduit à sa convenance ou même falsifié. La Vérité prend une valeur nouvelle à l’échelle de la spiritualité. La vérité devient là une véritable révélation.
Il nous vient naturellement à l’esprit ces premiers versets de l’Évangile de Jean : « Au commencement était le Verbe et le Verbe était avec Dieu et le Verbe était Dieu ». Le Verbe ou Parole c’est la loi du premier testament, la loi de Moïse que Jésus dit vouloir non pas abolir mais accomplir. Moïse portait déjà en lui ces vérités du Décalogue et était devenu le porte-parole de la Loi de Dieu.
Notre éducation fait que nous portons aussi en nous ces vérités du Décalogue : «Tu ne tueras pas, tu ne voleras pas, tu ne commettras pas de faux témoignages, etc. ». Dès notre enfance nous avons été formés dans ces vérités. Mais celles-ci nous ont été enseignées dans le but moral de ne nuire à personne et surtout d’être en accord avec la légalité en vigueur. Jésus vient nous dire de les transcender en amour pour autrui. Il ne s’agit plus alors d’enseignement mais de rencontre positive de l’autre, d’où le terme de « Nouvelle Alliance ». Jésus ne part plus du devoir d’observance de la loi. Il en vise tout de suite le but : l’amour du prochain. Jésus emploie le mot « accomplir » pour signifier le passage du devoir moral, souvent guidé par la crainte, à la dimension de l’amour guidé par le respect de la personne. Mais c’est à la fois un passage obligé et un lien, c’est pour cela que Jésus parle d’accomplir. « Il y a plusieurs demeures dans le royaume de Dieu » mais chaque demeure requiert les mêmes fondations et ces fondations se trouvent dans la Loi donnée par Dieu à Moïse, dans le Décalogue.
« Le verbe était avec Dieu ». La Loi dans son accomplissement et Dieu sont non seulement étroitement liés mais imbriqués l’une en l’autre et sont Vérité : « Le Verbe était Dieu ». Donc, Dieu lui-même est Vérité.
Jean parle d’un commencement dans lequel Dieu est Loi d’amour. Avec la Samaritaine, il envisage un aboutissement : « Bientôt viendra le temps où on n’adorera plus au Temple ou sur la Montagne mais en esprit et en vérité ». La vérité associée à l’esprit prend ici une portée vraiment universelle. Elle supplante toute forme de culte et de religiosité. Elle est destinée à l’humanité entière. À la fin, l’humanité dépassera les chemins des religions qui sont tous des chemins de vérité ; elle se rejoindra dans la Spiritualité quelles que soient les différences au sein de ces religions, toutefois en tenant compte de ces différences. La véritable unité se fera au sein de cette spiritualité qu’on peut appeler Dieu en nous et qui était dès le début des temps. Cependant, au présent, nous sommes tous sur le chemin, un chemin qui se révèle très long et difficile à notre échelle terrestre. Élargir l’œcuménisme aux multiples facettes de l’interreligieux n’est peut-être pas pour demain. Accepter l’autre dans sa différence c’est déjà être sur le chemin de la Vérité.
Quand Jésus dit (Jean 14,6) : « Je suis la Voie, la Vérité, la Vie » mais aussi (Jean 15,26) « L’Esprit de Vérité qui vient du Père » il transpose et focalise le concept amplifié et transcendé en sa propre personne devenant, à l’instar de Moïse, le porte-parole de ce qu’est Dieu : Vérité, celle-ci procédant du Père. Frédéric Lenoir dit même dans son livre Comment Jésus est devenu Dieu : « Jésus est plus qu’un porte-parole de Dieu, Il est cette Parole ».
Et encore ce verset Jean 16,13 : « Quand il viendra, lui, l’Esprit de Vérité, il vous introduira dans la Vérité tout entière ». Il s’agit de l’Esprit-Saint qui, comme la Vérité, procède du Père et du Fils, cette Vérité étant puissance de Parole d’Amour infini du Père. L’Esprit-Saint ravivera et complètera la révélation faite par Jésus. Le concept de Vérité est au cœur de la Trinité.
Mais, au moment où Jésus prononce ces mots, les apôtres n’ont pas encore reçu l’Esprit-Saint et ils n’ont pas encore en eux la Parole éclairée par l’Esprit. Jésus dira plus loin (Jean 17,17) : « Sanctifie-les dans la Vérité ». La Parole-vérité les rendra saints, leur permettra de témoigner jusqu’à accepter le martyre et la mort pour elle.
Jésus ajoute (Jean 17,19) : « Pour eux, je me sanctifie moi-même afin qu’ils soient eux aussi sanctifiés dans la Vérité ». Les apôtres sont appelés à suivre le même chemin que Jésus. Jean décrit ainsi le cheminement déjà entrepris des apôtres dans et vers la Vérité, une Vérité jamais acquise, jamais détenue, mais qui conduit à la Vie éternelle. Elle est donc une dimension de l’amour. Elle en est l’éclairage par la Parole. Jésus dira aussi « Je suis la lumière du monde », la lumière étant associée au Verbe de Dieu donc associée à la vérité.
Pourquoi Jésus traduit-il ce concept en sa personne ?
Il dit de même en Luc 11,25 : « Je suis la Résurrection » comme il dit : « Je suis la Vie ». Il ne dit pas qu’il est Fils de Dieu mais il se dit porteur de tous les attributs de Dieu. À Philippe qui pose la question (Jean 14,8) : « Montre-nous le Père », Jésus répond : « Philippe, qui m’a vu a vu le Père » et « Ne crois-tu pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ? » (v. 10). Il revendique donc ces attributs d’Amour et de Vérité du Père comme seul héritier de ces attributs, mais héritier d’un héritage destiné à l’humanité entière.
La première fois que j’ai entendu un prêtre, dans l’Église, massacrer Pilate en citant sa question « Qu’est-ce-que la Vérité ? » je me suis dit : « Pour ce prêtre je ne suis pas meilleure que Pilate car j’aurais posé la même question ».
Pilate a-t-il compris quand Jésus lui dit : «Mon Royaume n’est pas de ce monde » ? Certainement pas car il rétorque : «Alors tu es roi ? » mais dans un sens tout-à-fait terrestre. « Pas de ce monde » signifie peut-être pour lui : pas de cette nation ou pas d’une des nations dont il est gouverneur.
Jésus va répondre : «Tu le dis, je suis roi ». Il pourrait ajouter : « mais pas selon ta conception de la royauté, ma royauté étant spirituelle ». Mais Jésus ajoute : « Je ne suis venu dans le monde que pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix ».
Pilate ne comprend toujours pas et dès sa question posée : «Qu’est-ce-que la vérité ? », il n’attend pas la réponse de Jésus et il sort pour signifier aux grands-prêtres qu’il ne voit en Jésus aucun motif de condamnation. La réponse de Pilate est là, dans ce geste d’aller trouver les grands-prêtres pour sauver Jésus.
Par trois fois, Pilate leur dira qu’il ne trouve en Jésus aucun motif de condamnation. Trois fois la même parole pour essayer de sauver son existence, un peu comme s’il voulait sauver cette vérité que Jésus porte en lui sans pourtant la comprendre, sans tenter de franchir le pas entre ce qui est d’un domaine purement terrestre et ce qui est du domaine spirituel. Pilate tente de sauver l’homme Jésus et non Dieu en Jésus. Pilate est « du monde » incapable de recevoir l’Esprit-Saint car ni il ne le voit, ni il le connaît Il n’est pas au niveau de cette vérité du Père et du Fils. Mais il tentera de sauver Jésus jusqu’à mettre ses fonctions et sa propre vie en péril.
Il reste jusqu’au bout persuadé que Jésus est roi d’un pays qu’il ignore. Et il va lui demander : «D’où es-tu ? ». Cela fait penser aux apôtres, lesquels au début de la mission de Jésus lui demandaient : « où habites-tu ? » Mais Jésus ne répondra pas à Pilate : « viens et suis-moi ». Il ne répondra pas car Pilate ne comprendrait pas. Celui-ci s’attend à ce que Jésus lui dise : de Galilée ou de Judée ou d’une autre contrée moins connue. De plus, Jésus sait que son temps est compté. Il sait sa condamnation imminente. Il dira simplement à Pilate que le pouvoir qu’il détient sur lui lui a été donné de plus haut, pour mettre Pilate sur la voie et le faire accéder à cette dimension transcendante de la vérité.
Mais sous la menace grandissante des Juifs et des grands-prêtres des Juifs, Pilate le livrera sans avoir compris ce qu’était la Vérité, la vérité de Jésus.
Il gardera un certain dépit de n’avoir pu le libérer. Alors il rédigera un écriteau qu’il fera placer sur la croix : «Jésus le Nazoréen, le roi des juifs » en prenant soin de l’écrire en trois langues pour être sûr qu’il serait lu par beaucoup de juifs et de grands-prêtres des juifs, un peu par vengeance pour avoir été menacé et contraint de leur livrer Jésus car il savait très bien qu’il fallait inscrire : « Cet homme a dit : je suis le roi des Juifs ». Pilate n’accède pas à la vérité de Jésus mais il accède très bien à la vérité des juifs et des grands-prêtres des juifs. En répondant : « Ce que j’ai écrit, je l’ai écrit » sûrement d’un ton rageur, il signe sa vengeance envers ces juifs et ces grands-prêtres qui l’ont contraint à leur abandonner Jésus pour le faire crucifier. Quelque part dans son inconscient, Pilate est interpellé par les Paroles de Jésus sur la Vérité et ce pouvoir venu d’en-haut. Cela, il le manifeste par son insistance à vouloir le sauver. Pilate est un homme de notre temps.
Nous-mêmes, nous disant chrétiens, serions-nous prêts à franchir le pas, de donner notre vie ou tout ce qui en fait le sens : travail, famille, lieu d’habitation, au nom de la Justice qui est aussi vérité ?
Un peu plus tard Pilate fut condamné au bannissement, l’évènement du tombeau retrouvé vide n’ayant pas été étranger à la sanction. Il perdit ainsi son poste de Préfet de Judée et mena une vie d’exilé perdant aussi son lieu et cadre de vie. On dit qu’il mourut en France à Vienne dans l’Isère. Comme le dit si bien Eric Emmanuel Schmitt dans son livre « L’Évangile selon Pilate » : Pilate n’est-t-il pas le premier chrétien ? » Car on peut se demander si en suite à cette condamnation et au cours de son exil, Pilate n’aurait pas trouvé un début de réponse à sa question : «Qu’est-ce-que la Vérité ? » ou à ce « d’où es-tu ? » resté sans réponse.
Dans le début des Actes (1,6) la question des apôtres à Jésus : « Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas restaurer la royauté en Israël ? » montre qu’ils ne sont pas encore, eux non plus, au niveau de cette royauté spirituelle instaurée pour toute l’humanité et non pour un seul peuple. Jésus leur répond qu’avec l’Esprit-Saint ils comprendront et même en deviendront les témoins, non seulement pour Israël mais jusqu’aux extrémités de la terre. Les apôtres veulent des dates comme Pilate voulait de Jésus le nom d’un pays d’origine. Mais la spiritualité avec la rencontre de Jésus dans notre vie se fait dans un temps pour chacun quel que soit son pays ou sa race ou même sa religion ou alors, elle ne se fait pas. On revient à « Je suis la Voie » cette voie qui va vers la vérité mais quelquefois nous partons vers le Royaume sans avoir trouvé l’entrée du chemin ou bien n’en être qu’au tout début.
Le concept et la personne peuvent-ils ne faire qu’un ?
Oui, si on croit que la vérité est celle de la personne dans sa dimension spirituelle.
Son contraire est alors le mensonge dans sa signification de mal et dans son degré de mort.
Jean 8,44 : « le diable est menteur et père du mensonge ». Cela embrasse toutes les formes de mort.
Nous, chrétiens, pouvons dire que la mort biologique, elle-même, est un mensonge puisque nous croyons à la vie éternelle. Et là nous rejoignons facilement le trio « voie, vérité, vie ».
On peut dire alors qu’il n’y a pas d’autre vérité que celle de la personne humaine, le Sabbat étant fait pour l’homme et non l’inverse.
Si on me dit deux et deux font quatre, je répondrai « je sais » mais c’est un savoir définitif qui ne peut pas changer. Par contre, si on me dit « Dieu est vérité » je répondrai « je crois ».
Il y a une vérité qui fait appel à la foi et une vérité qui fait appel au savoir. Il y a la vérité de Dieu et la vérité de Pilate.
La vérité est une porte ouverte. Elle est toujours à découvrir, toujours prête à avancer. Ainsi vont certaines vérités établies par les sciences mais aussi vont, surtout, les vérités de la foi. Ce n’est pas pour rien que Jésus associe la vérité au chemin. Notre foi n’est jamais établie définitivement. Le doute peut survenir à tout moment et il y aura recul mais notre foi peut aussi avancer par le biais des textes évangéliques et par le biais des autres religions et même par le biais de ceux qui se disent athées.
L’expression « la vérité vous libèrera » (Jean 8,32) est cette vérité de la foi en nous qui évolue sans cesse et nous ouvre ainsi un chemin de liberté non seulement en nous mais aussi à l’égard des autres. Une « vérité » qui enferme l’autre est un mensonge.
Si la vérité en nous reste au niveau d’un savoir ou d’un préjugé de savoir, elle devient une histoire établie avec un passé sans qu’on puisse y revenir, elle nous emprisonne et peut se réduire à la superficie d’un pays comme pour Pilate et à l’enfermement des Pharisiens (Jean 7,32) : « ce n’est pas de la Galilée que surgit le prophète » ou bien à une date comme pour les apôtres, et pire, pour aujourd’hui, à une idéologie imposée aux autres. Elle peut alors se traduire en racisme ou en mépris ou en toute autre forme de mort donc le contraire de la vérité c’est-à-dire le mensonge. Si elle franchit ce niveau et s’élève pour rechercher celui de la foi et celui du bien de l’humanité, elle devient avenir, espérance. Elle nous ouvre des portes et elle nous libère. Dés que nous ouvrons les pages des Évangiles, il y a toujours au moins une parole qui s’éclaire en nous et qui prend soudain un sens sans que nous le cherchions.
Ainsi tout l’Évangile de Jean est éclairé de cette vérité où les mots eux-mêmes franchissent cette barrière terrestre de l’histoire établie pour prendre une signification transcendante et éternelle. Ainsi un pays devient royaume de Dieu, l’eau devient eau vive de l’Esprit, le pain c’est le pain qui vient du ciel, le temps-écoulement devient temps-Éternité.
On peut dire que l’Évangile de Jean est un Évangile ouvert à toute l’humanité (Jean, seul, a parlé des 153 poissons représentant les 17 peuples de l’humanité de l’époque) et pas seulement aux seuls chrétiens car la Vérité comme l’Esprit sont des valeurs universelles que Jésus, par Jean, lie à Dieu mais qui peuvent être liées aussi à cette autre dimension de l’humain : la spiritualité de chacun. C’est curieux de constater qu’on appelle aussi l’Évangile de Jean : « le quatrième Évangile ».
Et nous, ne sommes-nous pas des êtres à quatre dimensions, les trois étant celles de la terre et la quatrième celle de l’esprit ?
Christiane Guès