Editorial
Garrigues & Sentiers on the Net
Dossier n° 19
En ouverture de ce dix-neuvième dossier de notre blog, Saints & Sainteté, nous vous invitons à délaisser un instant les garrigues du Midi sur lesquelles vous nous faites l’amitié de cheminer à nos côtés. Non pour vous dépayser, car cette incursion hors de nos frontières visera tout au contraire à relever un trait commun à l’ensemble de notre pays, et non réservé la Provence : l’extrême fréquence des noms de saints dans la titulature de nos villages ou des quartiers de nos villes. Et ce jusqu’à l’autre extrémité de l’hexagone où nous conduit l’article de Joseph Thomas, Les saints bretons de l’Armorique, qui pointe aussi de quelles antiques racines procède le culte des saints dans cette région. Partout aussi en France, d’autre part, la vie rurale est scandée par des fêtes patronales, particulièrement pendant les chaudes journées d’été : à preuve cette fois la Corse dont traite la contribution de Jeannette et Jean-Pierre Reynaud, À quel(s) saint(s) se vouer ?
Dans ces références aux saints, si omniprésentes que nous n’y prêtons plus guère attention, s’il fallait à tout prix chercher une originalité de nos garrigues, on ne saurait la trouver que dans Les santons, ces « petits saints » parmi nous qu’évoque ici l’un de leurs meilleurs connaisseurs, Régis Bertrand. Les crèches de Noël qui rassemblent leur petit peuple ne sont-elles pas une sorte d’emblème de notre région ? Oui, vraiment, grands ou petits, les saints font partie de notre horizon familier, au point qu’à rebours du proverbe, beaucoup de nos contemporains, face aux embarras de leurs vies, « préfèrent s’adresser à eux qu’au bon Dieu. » Non sans découvrir parfois quelque malice dans la réponse qu’ils reçoivent d’eux en retour, comme en témoigne le piquant fioretto de Christiane Guès Il y a des saints dont il faut se méfier !
Dans ces diverses traces du commerce plus ou moins étroit que nous entretenons avec les saints, le sociologue verra un des signes les plus manifestes que dix-sept siècles de mission chrétienne dans notre pays ont inscrit dans les terroirs et les esprits. On aurait tort cependant de lire le phénomène en terme de « religiosité populaire » car l’histoire enseigne au contraire que le culte des saints, depuis ses origines, participe au moins autant d’une pastorale très réfléchie de la hiérarchie ecclésiastique que d’une demande des fidèles.
La preuve en est donnée par les cinq articles qui composent le deuxième volet du dossier. Les trois premiers sont pour dessiner la « parabole historique » de ce culte : d’abord enraciné dans le souvenir des martyrs et des évêques fondateurs d’Église comme le montre la contribution de Jean Guyon, Aux origines du culte des saints, il a connu au Moyen Âge et aux temps modernes des inflexions dont traite la Brève histoire du culte des saints que brosse Marcel Bernos, avant que ne soient définitivement arrêtées les procédures de proclamation des Saints et bienheureux que présente Joëlle Palesi, en soulignant combien Jean-Paul II s’est montrée innovant en matière de promotion des saints. Deux contributions viennent nuancer en contrepoint ce que pourrait avoir de trop schématique cet aperçu qui ne traite que des saints « officiels ». L’un, de Marcel Bernos, Jeanne Perraud : une canonisation ratée à Aix-en-Provence eu XVIIe siècle, évoque donc une « laissée pour compte » des béatifications. L’autre, Un aspect du pape Pie X, permet inversement de vérifier pour ce pontife élevé sur les autels que l’« héroïcité de ses vertus » n’était pas aussi évidente aux yeux de tous ses contemporains. On comprend mieux, à le lire, que F. Mauriac ait pu écrire de lui que « ce saint n’était pas de sa paroisse » !
Au terme de ce rapide survol, nul doute cependant de l’enracinement profond du culte des saints dans l’histoire et les pratiques des Églises chrétiennes. Ce qui ne surprendra guère le théologien pour qui la vertu de sainteté est comme consubstantielle au christianisme. C’est ce qu’essaie de montrer le dernier volet de notre dossier.
En s’efforçant de répondre à cette simple question Qu’est-ce que la sainteté ?, Jacques Lefur livre d’emblée des pistes qui s’originent à la fois dans les deux Testaments et dans la tradition de l’Église telle que l’a traduite pour notre temps le concile de Vatican II. Et les autres articles ne font que frayer plus avant ces pistes afin de nous aider à les fréquenter par nous-mêmes. Celui de René Guyon, La multitude des « saints » de la Bible approfondit l’approche scripturaire, avec ce ton bien à lui que connaissent les lecteurs de notre rubrique D’une Alliance à l’autre. Les deux contributions suivantes sont comme des propédeutiques à un exercice personnel de la sainteté. L’une, de Michel Rondet, De la sainteté désirée à la pauvreté offerte, a déjà été publiée dans notre dossier sur La Pauvreté ; si nous la reprenons ici, c’est parce qu’elle dessine ce qu’est tout itinéraire spirituel. L’autre, de Christian Montfalcon, est en forme de mise en garde contre ce que l’on pense encore trop souvent – et bien à tort – être la sainteté : une Inaccessible perfection. Car même si nous sommes voués à la sainteté, nous n’en restons pas moins des pécheurs – mais des pécheurs pardonnés. C’est ce que soulignent pour terminer Nathalie Gadea dans son article Appelés à la conversion, tout autant que Monique Sellier en conclusion de sa belle méditation sur La communion des Saints.
Est-ce à dire qu’au terme de ce dossier, nous en savons assez pour devenir des saints ? Non sans doute, car un tel savoir ne résulte pas essentiellement d’une quête intellectuelle, mais de la foi qui est au plus intime de nous. Cela, Bernanos l’a exprimé mieux que personne, lui dont cette conviction têtue, « Notre Église est l'Église des Saints ! », procède, viscéralement, de sa foi. Osons nous affronter à ce texte d’un lyrisme à la fois abrupt et brûlant qui nous servira d’envoi. Car le souffle qui l’anime nous accompagnera longtemps sur notre route, pour nous faire découvrir et approfondir, pas après pas, cette vocation à la sainteté que nous tenons de notre baptême.
G&S