Les saints bretons de l'Armorique

Publié le par G&S

On l'appelait parfois la Terre-des-saints, et même la terre-des-prêtres. La Bretagne Occidentale en particulier (à l'Ouest d'une ligne Saint-Brieuc-Vannes) était et demeure une sorte de terre sacrée où les saints ont largement laissé leur empreinte ; l'air qui se respire là, est chargé d'un passé glorieux et mystique. Il n'est pas un village qui n'ait son saint dissimulé dans le nom en Plou ou en Lann le plus souvent. Houarneau, Tivisiau, Iltud, Gouesnou et mille autres. Mais la terre était imprégnée bien avant le Christianisme d'unMenhir-christianise-de-la-chapelle-Saint-Gouevroc--photo-.jpge présence sacrale. Les cairns ponctuent la Côte des légendes, entre Kerlouan et Le Conquet. Ces tumulus sont des tombes où les morts sont honorés majestueusement, le plus souvent dans une île ou presqu'île désormais. Ainsi l'île Carn (près de Ploudalmézeau) ou encore le cairn de Barnenez en Plouezoch. Les côtes ont en effet changé au cours des siècles, on parle même de village englouti, (Ys, Tolente) Avéré, l'envahissement par le sable, au XVIIe siècle, du lieu d'Iliz Coz (la vieille église) près de Plouguerneau. On voit désormais les anciens dallages retrouvés. Les pierres levées, stèles mais aussi menhirs sont d'abord des pierres rituelles de sacrifices aux esprits de l'eau, de l'arbre. La terre des prêtres était déjà depuis longtemps une terre des dieux. Les saints bretons ont pris le relais des dieux coutumiers et des druides.

On sait que l'implantation chrétienne dans l'extrême-ouest – à la différence de la région de Nantes ou de Rennes qui ont connu l'évangélisation romaine à partir de Tours – s'est faite pour l'essentiel à partir de l'immigration bretonne venant des pays de Galles et de l'Irlande, fuyant les invasions saxonnes et amenant avec eux le goût monastique de la solitude et de l'étude pour Dieu. Nombreux furent les moines venant en groupe découvrir des terres désertes pour vaquer à la prière et s'implantant progressivement dans les villages proches de la côte. L'île Lavret, l'île Vierge, l'île de Cézembre près de saint-Malo : la Côte nord de la Bretagne conserve le souvenir des îles habitées par les moines celtes débarquant sur les Côtes d'Armorique. Le récit Le voyage du Brendan évoque, de manière en partie imaginaire et symbolique, la traversée de ces moines qui partaient sur la mer à la recherche d'une île pour trouver un désert propice à la recherche de Dieu et à l'étude. Ce sont, entre autres, Iltud, Maudez, Gildas, Aaron ; avec le temps ces îles deviendront des lieux de formation et d'évangélisation. L'île de Saint Gildas, l'île Lavret près de Bréhat furent sans doute des écoles monastiquLe voyage du Brendanes. Abondent aussi les récits à propos des auges en pierre utilisées par les voyageurs d'outre-manche ; on en montre en différents endroits de Bretagne. Il semble qu'elles aient surtout servi de ballast aux curraghs qui traversaient la Manche.

La sainteté bretonne est une sainteté monastique et galloise, la plupart des lieux avec noms de saints se retrouvent avec leur équivalent au pays de Galles. Il fut un moment où les deux rivages de la Manche étaient parcourus d'un même mouvement de christianisation et ont dû faire face aux mêmes pillards du Nord. Les récits des vies de Saints ont été écrits à partir du IXe siècle pour justifier le retour  des reliques  des saints  dans les différents hauts-lieux de Bretagne. Vies de Saint-Malo, de Saint-Brieuc, de saint-Gwénolé ou de Saint-Méen...

Il semble qu'il y ait eu une première arrivée nombreuse de moines celtes au VIe siècle, et qu'après une période trouble de pillage et de fuite vers l'intérieur du pays, une nouvelle fixation des Saints près des monastères, d'où les reliques retrouvées au IXe siècle et ramenées de Tours à Landévennec. La tradition du Tro Breiz qui consiste à honorer les Sept Saints fondateurs en passant à pied d'une des sept cathédrales à l'autre est un pèlerinage attesté au XIIIe siècle, par exemple dans le procès de canonisation de Yves Hélory devenu Saint Yves. Mais elle est sans doute aussi l'écho d'une justification de l'installation monarchique ou au moins ducale.

La caractéristique de ce christianisme est d'être un christianisme de moines et non d'abord romain. D'où le maintien de coutumes particulières. Il fallut attendre environ le Xe siècle pour être romanisé tout à fait mais la richesse de la sainteté bretonne tient au désir du maintenir dans la période romaine un attachement aux moines et aux rites anciens – d'où la fréquence des fontaines devenues sacrées – et aux pierres sacrées devenues ces multiples croix de pierre, parfois stèles christianisées comme celle de Saint Gouevroc sur la plage de Keremma en Tréflez. Les paroisses bretonnes sont encore sous la protection d'un moine fondateur et à portée d'une fontaine et le lien se fait toujours avec ce qui reste aujourd'hui de vie monastique.

Il faut avoir lu au moins Le Voyage du Brendan et encore La Confession de Saint Patrick d'Irlande pour comprendre la qualité de cette quête spirituelle. Le Christianisme celte est une mise en chemin, un pèlerinage de la vie et nombreux sont encore les lieux qui gardent des parcours sur la trace des petits saints comme à Plouguerneau.

Tariec et Eveltoc sont ainsi deux des saints de mon pays pagan. C'est une terre dure et rebelle où la pierre parle naturellement et où les présences se font sentir. Les coutumes ancestrales affleurent. Le christianisme  est ici naturellement animiste ou au moins franciscain comme il devrait toujours l'être dans l'attention au beau. Tariec et Eveltoc sont deux de ces amis des dieux, deux des saints avec qui on peut vivre au quotidien. On n'en sait pas grand chose, mais ils sont les traces de ces multitudes qui ont apporté un christianisme vivant et solaire à la suite de Patrick d'Irlande et de la Croix celtique : l'union de la croix et du soleil. Quelques-uns de ces saints sont mieux connus et attestés par l'histoire. Parmi eux, Guénolé, Gildas, Hervé, mais aussi Méen, Malo, Brieuc et autres Samson, Tudy.

Le XVIe siècle et surtout le XVIIe siècle verront se lever d'autres saintetés. Retour des missionnaires locaux quelquefois truculents et joyeux comme Michel Le Nobletz ou l'étonnant Pierre de Kériolet, quelquefois plus sévères comme le bienheureux Julien Maunoir qui prendra davantage le parti d'une lutte contre les superstitions et autres sabbats redevenus communs. Louis-Marie Grignon de Montfort est également dans la mouvance de ces saints missionnaires bretons qui contribuèrent à l'évangélisation partout dans le monde.

La Bretagne d'aujourd'hui vit sans doute un peu dans la nostalgie et recherche ses racines. On a vu refleurir la culture bretonne des fêtes de la Nuit après la réussite économique, mais à quel prix ? Faut-il célébrer l'avenir religieux par la mise en place d'un millier de statues de saints en granit sur des collines bretonnes ? Le travail est même lancé. Espérons qu'il y aura des initiatives qui travailleront plus intimement l'espérance des plus jeunes. Bretagne est Univers a écrit le marseillais, devenu breton, Saint-Pol-Roux. La sainteté a aussi à voir avec la voie d'Henri Le Saux quittant son monastère pour devenir hindou parmi les hindous et vivant là une expérience christique indicible.

La Confession de Saint Patrick d'Irlande est peu ou prou la source fondatrice de ce christianisme irlandais devenu bien commun des pays celtique dont la Bretagne. Je ne connais pas de texte qui dise plus simplement la fraternité cosmique, le réenchantement possible du monde. Tout est sacré et les saints ne sont pas des errants solitaires mais comme des druides qui ont expérimenté l'union de la croix et du soleil. Telle est la voie du renouveau d'un christianisme autant celtique et breton qu'universel et traditionnel.

Joseph Thomas

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