À quel(s) saint(s) se vouer ?
Il n’est pas une localité de France, grande ou plus discrète, jusqu’à de simples hameaux, qui n’ait son « fête-là draine un bon nombre de personnes des environs, de plusieurs dizaines de kilomètres à la ronde ; l’église est pleine et des hommes restent debout au fond, non par réticence ou amateurisme mais par manque de chaises.
Dans ce canton plusieurs saint-patrons sont fêtés en juillet-août pour les quatre communes de la vallée : le 10 août la Saint Laurent, le 15 août la Sainte Marie, le 16 la Saint Roch, le 25 la Saint Louis ; ces deux mois voient la population augmenter considérablement, du fait du retour dans les villages de bon nombre de natifs habitant à l’extérieur de la Corse, ce qui provoque des rassemblements festifs.
Mais la sainte ronde aura commencé dès le 28 juillet, par un pèlerinage régional en l’honneur d’un Saint Antoine (car il en est plusieurs) ; celui-ci, dénommé selon les cas Saint Antoine de la Forêt, Saint Antoine de Sarrada, voire Saint Antoine du cochon, rassemble des centaines de pèlerins de tous âges, venus de plusieurs cantons, à pied, en voiture (naguère à cheval). Certains auront parcouru en auto près de 75 km, descendant deux vallées et en remontant une autre ; des courageux viennent à pied dès la veille, montent pendant plusieurs heures, franchissant un col de plus de 1500 mètres, et dorment sur place à la belle étoile (lorsque brillent les étoiles et non les gouttes de pluie…).
Chaque 5 août, un autre pèlerinage, de plus grande ampleur, se déroule autour de la Vierge Marie, au Col de Bavella. Il y a là, davantage que plusieurs cantons, une bonne partie des deux départements corses. Pour accentuer le véritable sens d’un pèlerinage en un lieu très touristique donc pas toujours propice au recueillement, l’évêque de Corse André Lacrampe, grand montagnard (« devant l’Éternel » selon l’expression « consacrée »), avait inauguré une marche à pied de six kilomètres avant d’arriver sur les lieux. Son successeur Jean-Luc Brunin (qui en 2011 vient de partir sous d’autres cieux) a continué sa « démarche ». A l’arrivée au Col, il faut quand même, en chantant, péleriner vingt bonnes minutes sur un sentier pas commode pour les séniors, pour aller depuis la statue jusqu’au lieu de la célébration.
Pour amplifier encore le phénomène des nombreuses célébrations insulaires, voici le 8 septembre, fête de la Nativité de Marie. Ce jour-là se lèvent en Corse de nombreux pèlerins et pèlerines qui se rendent en divers lieux célèbres : pour les connaisseurs de l’île, voici Lavasina près de Bastia, Pancheraccia en Côte orientale, et surtout « A Santa » du Niolu, à Casamacciolu, région de Corte, la plus courue. Cette fête dure plusieurs jours, rassemblant une grande foule : pèlerins bien sûr, touristes, mais aussi marchands de toute sorte pour que ces gens se nourrissent et s’esbaudissent. Le jour central est celui de la messe et de la procession : celle-ci est originale, car elle fait tourner les rangs de processionnaires en spirale, s’appelant « A Granitula », nom donné à un coquillage marin ayant cette forme.
Pour en revenir aux fêtes « patronales », celles-ci ont vu leur physionomie évoluer au cours des âges et certains diraient que la sécularisation est passée par là. En effet, aux cérémonies religieuses traditionnelles en un tel jour (messe, procession avec portage de la statue du saint ou de la sainte, voire vêpres et Salut du (Très) Saint-Sacrement), se sont ajoutées des festivités plus profanes : concours de boules, jeux pour enfants, bal du soir, etc.), au point qu’il faut parfois négocier pour sauvegarder le caractère religieux de la célébration du « Saint » patron ; n’a-t-on pas vu une fois le concours de boules commencer à l’heure de la procession ! Dans un village du canton, on n’a pas pu empêcher que ces deux activités se déroulent aux mêmes heures ; mais comme la procession aboutit au terrain de boules, ces messieurs non pieux s’arrêtent de jouer pendant la station des pèlerins, et reprennent leur jeu quand ceux-ci sont repartis à bonne distance.
En fin de parcours de la procession, sur le parvis de l’église, on se partage des morceaux des longs rubans colorés qui ont orné depuis le matin le cou du saint ou de la sainte ; les participants emportent ces fragments d’étoffe chez eux (survivance, rappel, ou symbole de reliques ?).
D’autres problèmes se posent dans les petits hameaux qui veulent célébrer leur saint-patron : la statue d’icelui étant souvent fort lourde, pas assez de gros bras se présentent… Dans les meilleurs des cas on raccourcit le trajet, voire on conserve le saint au frais et à l’ombre dans la chapelle…
Quelques pratiques non prévues ont lieu çà et là : ne dit-on pas que le saint patron d’un lieu étant censé apporter la pluie et cette année-là les « précipitations » ne se précipitant pas du tout, on alla plonger la statue du saint dans le petit fleuve proche, sans doute pour le rappeler à ses devoirs ?!
Mais il est des « traditions » plus équivoques, ou plus gênantes pour La Tradition elle-même : nous avons participé à une célébration du 8 septembre dans un des sanctuaires cités plus haut, dont une source fournissait une eau ayant des vertus dont je ne me rappelle plus si elles sont curatives ou miraculeuses. Le jour de la fête permettait donc de faire provision plus ou moins abondamment de ce liquide bienfaisant. Mais la source se trouvait en un lieu qui obligeait à traverser l’assemblée pendant la célébration ; qu’à cela ne tienne, des dizaines de personnes ont sans arrêt traversé la foule recueillie en perturbant la messe, ravitaillement et miracle obligent !
Mais revenons aux « saints-patrons », ceux ou celles de la Corse tout entière : Saint Alexandre–Sauli, San Teofilu de Corte (Corse de naissance), Santa Devota (née en Corse), Santa Giulia… Sans oublier que Sainte Marie, Mère de Jésus est vénérée dans de nombreux lieux que nous avons présentés ci-dessus. À signaler que le 15 août, sa fête principale, voit se dérouler un curieux chassé-croisé à Ajaccio, car c’est aussi l’anniversaire de la naissance de Napoléon Bonaparte… c’est à qui l’emportera, car l’Empereur est fort vénéré dans sa ville natale et ses environs (ailleurs en Corse cette ferveur est beaucoup moins grande). Les responsables civils et religieux de la ville ont fort à faire chaque année pour accorder leurs violons et ne pas trop mettre à mal cette laïcité qui est l’un des fondements de la nation française !
Jean-Pierre & Jeannette Reynaud