La multitude des « saints » de la Bible
Une question classique marque le début de la plupart des articles consacrés à un mot de la Bible. Elle porte toujours sur les racines que l’hébreu et l’auteur de cet article affectionnent tant : quelle est la première occurrence de cette racine dans la Bible ?
Il s’agit bien sûr de la racine קדש , qdsh, celle qui parle de sainteté en hébreu !
Je vous le donne en mille…
La première occurrence de cette racine est en Genèse 2,3 : Dieu bénit le septième jour et le sanctifia (en hébreu vayeqadesh)
Oui, le premier saint de la Bible est un jour, mais un jour très particulier, il est vrai, puisque c’est le 7e jour du récit de la Création.
Mais, direz-vous, pourquoi n’a-t-il pas plutôt sanctifié le 6e, celui de la création de l’être humain, la merveille des merveilles, ou le 1er jour, prémisse du monde magnifique dans lequel nous vivons ?
La réponse est : Élohim a sanctifié le 7e jour parce que c’est le jour où il se reposa (en hébreu shavat, où la lettre beïth, qu’on entend dans shabbat, est prononcée v) de tout son ouvrage de création (ce dernier verset du récit de la création est évoqué dans l’article Les 17 peuples et les 153 poissons).
Le premier Saint de la Bible est donc le JOUR DU REPOS !
Je vous invite, amis lecteurs, à prendre conscience que, sous l’aspect un tantinet humoristique de cette exclamation, le cœur de ce qu’on appelle la sanctification, sanctifier, est le fait de mettre à part, de sortir de l’ordinaire pour se consacrer à Dieu seul, ce que sont appelés à vivre les juifs tous les shabbats que D.ieu fait… et que les chrétiens sont tout autant appelés à faire le dimanche pour se reposer en Lui ; mais cela est une autre histoire…
Dieu sera obligé de rappeler la sainteté de ce Jour maintes fois au cours des pérégrinations de son peuple, par exemple en Exode 16,23 : « demain est un jour de repos complet, un saint shabbat » ; 20,8 : « tu te souviendras du jour du shabbat pour le sanctifier » ; 20,11 : « Dieu a béni le jour du shabbat et l’a consacré »…
o O o
Les trois occurrences suivantes de notre racine qdsh parlent d’une ville du nom de Qadesh ; aucun intérêt si ce n’est que pour ceux qui aiment la guematria on peut remarquer – non sans un petit clin d’œil amusé – que dans le récit de la guerre des grands rois il est dit – en Genèse 14,7 – que le lieu appelé Source du Jugement (’’ayin-mishpat, valeur 111, le nombre de la Trinité) est Qadesh, c’est-à-dire sainte : apparition très discrète et ô combien inattendue de la Trinité Sainte au cœur d’une bataille entre des rois peu recommandables…
En continuant de lire la Bible, surprise encore plus grande, on découvre un sens a priori inenvisageable : Juda demanda aux gens du lieu : « Où est cette prostituée (qedéshah) qui était à Énayim, sur le chemin ? » Mais ils répondirent : « Il n'y a jamais eu là de prostituée ! ». Oui, vous avez bien lu : le féminin de qadesh, saint, désigne une prostituée ! Jésus ne dit-il pas, d’ailleurs, aux grands-prêtres et aux anciens : « Les prostituées arrivent avant vous au Royaume de Dieu » (Matthieu 21,31) ?
Résumons les événements : Juda cherche là sa belle-fille, Tamar, qui s’est fait passer pour une prostituée afin de lui donner un descendant, ce que ses fils Er et Onan ont refusé de faire après la mort de leur frère. L’enfant sera Pharès, ancêtre de Jésus.
Il y a certainement quelque chose de la notion de prostituée sacrée dans ce mot. Mais il me plaît de penser que si la prostituée Tamar est dite qedéshah, c’est pour marquer combien son sacrifice, qui la fait mettre à l’écart par tous les bien-pensants, donne tout son sens au mot sainteté. C’est pourquoi elle – qui n’est en fait pas du tout prostituée – fait partie des quatre femmes qui ont l’honneur d’être citées dans la généalogie de Jésus en Matthieu 1,3 (je l’ai évoquée, entre autre, dans l’article Jésus : porteur de paix ou d’épée ?). Il faut noter qu’une autre femme de la généalogie de Jésus en Matthieu, Rahab (cf. Josué 2), mère de son ancêtre Booz selon une tradition non biblique reprise par Matthieu, est qualifiée de zonah, hôtesse, et non de qedéshah. Le monde moderne n’a donc pas inventé cette litote !
En continuant on arrive au désert où YHWH dit à Moïse : « N'approche pas d'ici, retire tes sandales de tes pieds car le lieu où tu te tiens est une terre sainte » (Exode 3,5). Il se fera connaître de lui sous les trois mots ’éheyiéh asher ’éheyiéh quelques versets plus loin (3,14 ; cf. l’article Je ne suis pas ce que je suis…)
En Exode 12,16 apparaît l’expression miqr’a-qodesh, de racine verbale qar’a, appeler, qui est à l’origine une convocation sainte (cf. Lévitique 23,4) faite par le qohêlêt (titre d’un des livres de la Bible appelé aussi Ecclésiaste, car l’ecclesia est l’assemblée en grec) et donc assemblée sainte.
Exode 13,2 ouvre une autre perspective dans la ligne de la mise à part car Dieu dit à Moïse : « Consacre-moi tout premier-né, prémisse de la matrice maternelle, parmi les fils d’Israël ; homme ou animal il est à moi. » La consécration à Dieu du premier-né est ce que feront Joseph et Marie dans l’évangile de Luc (2,22-24), même si la cérémonie décrite n’est pas strictement cela, selon les exégètes.
Il faut attendre Exode 15 pour trouver “3 saintetés d’un coup” : « Qui est comme toi parmi les dieux, Seigneur ? Qui est comme toi illustre en sainteté, redoutable en exploits, artisan de merveilles ? » (v.11) et : « Ta force a guidé [ce peuple] vers ta sainte demeure. » (v.15) Avez-vous noté que le texte dit que YHWH est le meilleur de tous les dieux (mais pas qu’il est le Dieu unique) et que la sainteté semble se trouver dans les exploits et les merveilles ? Mais la voilà enfin, la sainteté de Dieu !... Dieu qui ne peut habiter qu’une sainte demeure… et avoir au milieu de son peuple une résidence (oserai-je dire secondaire ?) tout aussi sainte, comme le dit son nom : sanctuaire, en hébreu miqdash (v.17). Car qui sort le plus de l’ordinaire et qui est le plus à part, sinon Dieu ?
Le peuple hébreu arrive au pied du mont Sinaï et Dieu prépare l’Alliance avec lui ; il est donc normal qu’il donne à Moïse la consigne suivante : « Va trouver le peuple et fais-le se sanctifier aujourd’hui et demain ; qu’ils lavent leurs vêtements et se tiennent prêts pour après-demain, car après-demain YHWH descendra aux yeux de tout le peuple sur la montagne du Sinaï » (Exode 19,10-11.14.22). En effet, quelle est la première conséquence de l’Alliance de Dieu avec le peuple, sinon de faire de ce peuple un peuple à part et qui sort de l’ordinaire ? Dieu reviendra plusieurs fois sur cette sanctification des hommes, comme en Exode 22,30 : « vous serez pour moi des hommes saints ».
Bien sûr, dès que Moïse monte sur la montagne, Dieu lui dit : « délimite la montagne et déclare-la sacrée » (Exode 19,23) ! Le Sinaï, montagne sacrée, montagne différente de toutes les montagnes, montagne à part, qui a accueilli la descente de Dieu vers son peuple…
Mais après toutes ces instructions pour montrer à son peuple combien est particulière la relation qu’il a avec lui, Dieu va aller encore plus loin, va solenniser encore plus sa présence : « ils me feront un sanctuaire, que je puisse résider au milieu d’eux » (Exode 25,8) dans le quel sera installée une arche en bois, l’Arche du Témoignage (’aron ha’’édout) en indiquant à Moïse tout ce qu’il désire pour sa sainte Demeure (en hébreu mishkan) : « le rideau marquera pour vous la séparation entre le Saint (haqodesh) et le Saint des Saints (qodesh haqadashyim) » (Exode 26,33).
Dieu n’a jamais été aussi près de son peuple et aussi éloigné de lui ! Dieu est insaisissable.
Reste à nommer un homme pour être le servant du Saint et exercer un sacerdoce (kehounah) en tant que prêtre (kohen). Bien sûr, Aaron sera un prêtre consacré à l’exercice du sacerdoce et devra porter des vêtements sacrés (Exode 28,2-4). Suivent des instructions très précises d’où il ressort que tout ce qui touche au prêtre doit être sanctifié… en particulier l’autel : « tu consacreras l’autel et l’autel sera très saint (qadosh qadashyim : saint des saints, façon hébraïque de dire le superlatif) » (Exode 40,10).
Vous vous doutez sûrement que les livres du Lévitique, des Nombres et du Deutéronome sont tout aussi pleins de saintetés, parfois redondantes avec celles de l’Exode ! Nous passerons donc directement dans d’autres livres pour chercher quelques autres lieux bibliques de sainteté…
Dans le 1er livre de Samuel (16,5), on trouve : « “Purifiez-vous (hitqadeshou) et venez avec moi au sacrifice”. Il purifia (vayetqadesh) Jessé », où il apparaît que la purification est étroitement apparentée à la sainteté…
Avez-vous remarqué que nous n’avons pas encore parlé de saints ? Il faut attendre Job 5,1 pour lire : « Auquel des saints t’adresseras-tu ? » et la note de la Bible de Jérusalem qui précise qu’il s’agit des anges… suivie par quelques autres bibles. Cruelle déception ! Mais faible déception en regard de celle qu’on ressent en lisant : « Comment l’homme serait-il pur, resterait-il juste, l’enfant de la femme ? À ses saints mêmes Dieu ne fait pas confiance » (Job 15,15)...
La moisson est riche dans les Psaumes, où apparaissent le Temple sacré de Dieu (5,8) qui devient son palais de sainteté (11,4), les cieux de sainteté (20,7), le lieu saint (24,3) qui n’est pas sans rappeler le cri de Jacob au réveil de son songe célèbre : « Dieu est en ce lieu et je ne le savais pas » (Genèse 28,16), l’éclat de sainteté de Dieu (Psaume 29,2 ; 96,9), son trône de sainteté (47,8), son esprit de sainteté (51,13), ses saints chemins (77,14), son huile sainte (89,21), la sainteté qui est la beauté de sa maison (93,5), son bras très saint (98,1), son saint nom (103,1), sa parole sainte (105,42) et les honneurs sacrés qu’on lui doit (110,3).
Chacun de vous, amis lecteurs, pourra trouver au fil de ses lectures bibliques d’autres expressions de la sainteté de Dieu, des lieux où on le rencontre et des hommes qui l’adorent (nous n’avons pas épuisé, loin de là, tous les livres de la Bible !).
Que la moisson soit pour vous source de joie, que vous pourrez faire partager en commentaire de cet article, qui sera en ligne tant que Dieu prêtera vie à notre blog et à ceux qui le font vivre.
Une constatation de prophète sera la conclusion de cet article… en forme de règle de vie à mettre en pratique :
Le Dieu saint a révélé sa sainteté (haqadosh niqedash) dans la justice (tsedaqah)
(Isaïe 5,16)…
et tous les autres « choses » saintes ne sont rien à côté de cette sainteté là !
René Guyon