Appelés à la conversion
Mystérieuse invocation que celle de notre « sainte église de pécheurs » qui réclame à cor et à cri à son Seigneur « de lui donner des prêtres, des saints prêtres, de très saints prêtres ». Étrange conception de la sainteté ou étrange conception du ministère sacerdotal, je ne sais, mais là n'est pas la question.
Cette réticence toute personnelle à joindre ma voix à celle de mes frères baptisés met en lumière cette inclination, toute personnelle sans doute, qui me pousse à mesurer la sainteté à l'aune de la perfection morale et donc de confondre le saint avec l'homme vertueux, voire le héros. Ne resterait-il pas en moi cette ancestrale perception de la sanctification comme consécration séparant du reste du monde ? L'homme ainsi mis à part deviendrait alors l'homme du sacré.
Cette confusion est quelque peu alimentée par la première étape de la procédure de canonisation. En effet, l'Église enquête sur les « vertus ou le martyre » du saint potentiel, étant sous-entendu que pour être l'équivalent du martyre, la pratique des vertus ne peut avoir été qu'héroïque. Dans ce cas, je ne me reconnais pas dans cette aptitude à la sainteté, pas plus que je n'y reconnais bon nombre de mes frères prêtres.
Et pourtant !!! L’Église honorant Saint Pierre et saint Paul, oriente ailleurs mon regard. Ils sont reconnus saints sans pour autant que soit effacés leur reniement ou leur participation à la persécution. Ils sont tout autant pécheurs que moi lorsque je renie, à mon tour, mon Seigneur ou que je Le persécute lorsque j'ignore le plus petit de mes frères qui mendie à la porte de mon église ou au parking de ma ville.
Dans la deuxième prière eucharistique du Missel romain, est affirmé l'essentiel : « Toi qui es vraiment saint, toi qui es la source de toute sainteté ».
Ce rappel m'éclaire. La réaffirmation de la seule sainteté de Dieu réoriente la prière d'invocation. Il s'agit alors de demander à l'Esprit de sanctifier les pauvres pécheurs que nous sommes et non pas demander d'apporter en paquet cadeau à nos communautés, un saint tout prêt, tout net, tout propre, déjà fait, en quelque sorte.
Nous ne pourrons parler des prêtres, des chrétiens, indépendamment de leur péché. Il ne s’agit pas de faire de nous tous des criminels, mais tous nous sommes pécheurs. Le prêtre, s’il est saint, n’est pas l’homme parfait ; il est le pécheur sanctifié par l’illumination baptismale. Tant que je confondrai sainteté avec perfection je serai dans l'imaginaire et ne pourrai unir ma voix à cette prière d'invocation suscitée. J'aime que le père Christian Duqoc ait donné à son ouvrage Je crois en l'Église le sous titre Précarité institutionnelle et Règne de Dieu, car sont prises en considération la faiblesse, la précarité, la faillibilité. Accueillir fraternellement les ministres qui nous sont envoyés c'est reconnaître qu'ensemble nous sommes appelés à prendre la route de la sanctification.
Ce sont bien des pécheurs qui, au nom de l’Église, rompent le pain. Nos prêtres ne sont pas à part. Ils partagent le sort de nous tous et parfois, par grâce, ils laissent entrevoir par leur vie le visage du Christ. Notre Seigneur, le seul saint, s'est rendu dépendant de nous autres pauvres pécheurs en nous faisant confiance pour annoncer son amour jusqu’à l’extrême. La grandeur de notre Dieu, c’est de s’en remettre à des pécheurs, tant que la victoire sur la mort ne sera pas définitivement remportée.
Plutôt que de prier pour la sainteté des prêtres, et celle des baptisés, même si c’est moins dans les habitudes, laissons-nous saisir par Celui qui seul est saint et qui jour après jour se confie à nous pour faire resplendir la Lumière de Sa Sainteté dans ce monde. Non, Le saint n'est pas le parfait, c'est celui qui vit tellement en Dieu, présent en lui, qu'il laisse transparaitre, par instant, Sa Sainteté. Le saint, c'est celui qui expose son péché au rayonnement de l'amour de Dieu. Le saint c'est celui qui se perd lui-même car il se fonde totalement en Dieu. Ce qu'il y a de merveilleux chez les saints (car par bonheur, il nous arrive d'en rencontrer), c'est qu'ils laissent transparaître Quelqu'un, une Source, une Liberté, une Lumière.
Me sera-t-il donné de comprendre que nous somme appelés à la sainteté non par la voie de la perfection mais par celle de la conversion ? Aussi, l'invocation qui devient mienne maintenant rejoint-elle celle du peuple de pécheurs dont je suis qui demande l'intercession d'autres pécheurs sanctifiés : « Saints et saintes de Dieu, priez pour nous »!
Nathalie Gadéa