« Choses vues (ou entendues) » n° 26 : À quoi sert l’ONU ?
Les quelques remarques ci-après voudraient poursuivre la réflexion de Marcel Bernos dans les « Choses vues n° 25 ».
La Seconde Guerre mondiale a été responsable de 62 millions de morts majoritairement civils, et de destructions massives mettant en péril la vie même de certains pays. L’Organisation des Nations-Unies a été fondée, outre par souci du développement des états les plus pauvres, dans une perspective : « Plus jamais la guerre ». C’est ce que souhaitait encore Paul VI, le 4 octobre 1965 pour le 20e anniversaire de l’ONU. Il n’a été ni le premier ni le dernier parmi les hommes politiques ou personnalités religieuses à rêver d’une paix réelle et pérenne (1). Pour tenter d’y parvenir, l’ONU s’est dotée, le 26 juin 1945 (à peine plus d’un mois après l’armistice avec l’Allemagne, et deux mois avant la reddition du Japon) d’une charte définissant ses buts et les moyens à mettre en œuvre. Ce « code de bonne conduite internationale » était précédé d’un préambule exprimant les intentions des signataires. Il est utile et il serait urgent de relire ce texte, ce que l’on fait trop rarement, même si les espérances qu’il contient se teintent aujourd’hui d’une ironie noire, voire d’amertume. On a mis en gras, pour attirer l’attention du lecteur, les passages qui permettent de poser la question simple, naïve et dérangeante : ces (bonnes) intentions ont-elles étaient suivies d’effets ou à quoi sert encore l’ONU ?
« Nous, peuples des nations unies, résolus
- à préserver les générations futures du fléau de la guerre qui deux fois en l'espace d'une vie humaine a infligé à l'humanité d'indicibles souffrances,
- à proclamer à nouveau notre foi dans les droits fondamentaux de l'homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l'égalité de droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et petites,
- à créer les conditions nécessaires au maintien de la justice et du respect des obligations nées des traités et autres sources du droit international,
- à favoriser le progrès social et instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande,
et à ces fins
- à pratiquer la tolérance, à vivre en paix l'un avec l'autre dans un esprit de bon voisinage,
- à unir nos forces pour maintenir la paix et la sécurité internationales,
- à accepter des principes et instituer des méthodes garantissant qu'il ne sera pas fait usage de la force des armes, sauf dans l'intérêt commun,
- à recourir aux institutions internationales pour favoriser le progrès économique et social de tous les peuples
avons décidé d’associer nos efforts pour réaliser ces desseins. »
Il y a actuellement, comme cela a été rappelé dans Choses vues n° 25, une soixantaine de conflits de plus ou moins grande gravité. Pour ceux qui nous touchent au plus près, et sur lesquels l’information est la plus abondante, évoquons les faits une fois encore.
Pour la seconde guerre en Ukraine, depuis le 24 février 2022 jusqu’à la fin février 2025, on nous propose les chiffres incertains des dégâts humains, tenus secrets par les gouvernements. Pour les Ukrainiens de 82.000 à 126.000 morts (moyenne probable : 100.000) ; pour les Russes de 213 à 328.000 morts (moyenne : 270.000). En tout, plus d’un million de tués et blessés, sans compter les civils. Ces derniers morts ne sont plus à décompter comme de simples « dégâts collatéraux », mais comme les victimes du système terroriste de l’impérialisme russe pour imposer par la force l’occupation du territoire voisin.
Quant à la guerre israélo-palestinienne, qui dure en fait depuis 1967, année de la fondation de l’État d’Israël, elle atteint une barbarie maximale, à commencer, bien sûr, par les attentats terroristes du 7 octobre 2023. Les pertes probables au 30 juillet 2025 seraient de 1.200 morts et 5.431 blessés israéliens ; plus 454 tués et 2.854 blessés parmi les soldats dans la bataille de Gaza ; au moins 60.000 morts et près de 150.000 blessés côté palestinien, sans compter les victimes de l’intervention « colonialiste » en Cisjordanie.
On pourrait passer au crible les conflits ouverts en Afrique, Asie, Amérique du Sud… le constat est toujours le même : la « communauté internationale » (terme flou et injustifié qui doit sous-entendre l’ONU) ne fait rien d’autre que s’indigner, « condamner fermement » (heureusement qu’elle n’approuve pas !), inviter les belligérants à plus de retenue, voter des résolutions souvent bloquées par le veto d’un état ami du pays incriminé, etc. Bref, elle ne peut rien faire et trop souvent ne fait rien concrètement.
L’assemblée des 193 pays qui se partagent la terre ne peut, il est vrai, que faire peu compte tenu de la division en blocs partisans, situation aggravée par la possibilité de certaines puissances de mettre leur veto à toute décision qui semblerait paraître avantager la nation demandant une intervention. Aucune autorité ne peut contraindre un pays en intervenant en force. En outre, l’ONU, important « Machin » alourdi par une forte bureaucratie qui retarde le processus de décisions, manque aussi des moyens financiers nécessaires pour accomplir ses missions de paix.
Certes, le Département de l’information des Nations-Unies dévoilait en 2005 les « 60 réalisations de l’Onu qui ont changé le monde », depuis la promotion du développement ou de la démocratie (pas très réussie pour celle–ci) jusqu’à introduire de meilleures techniques agricoles ou améliorer la situation des peuplesautochtones…
Mais l’Organisation reste bien démunie devant les conflits armés les plus graves, et dans la durée. Certes, elle a réussi à faire taire les armes au Kosovo, en 1999, en Colombie en 2016, ailleurs aussi… Mais la présence de Casques bleus, embryon d’une force internationale, n’empêche pas toujours les exactions des belligérants sur les civils et semble souvent réduite au rôle de témoin impuissant. En outre, ses soldats sont parfois critiqués pour leurs attitudes vis à vis des populations locales.
Cette idée généreuse d’il y a 80 ans devrait pouvoir se réformer pour gagner en efficacité (2). Pour l’heure, en Ukraine, en Palestine, à quoi sert l’ONU ?
Jean-Baptiste Désert
1. On se souvient que la Grande guerre de 14/18 devait être la « der des der ».
2. Cette impuissance relative ne pourra être dépassée que si l’Organisation réussit à modifier son … organisation, surtout si l’Assemblée se libère du droit de veto accordé à certaines des nations ayant vaincu les forces de l’Axe en 1945, aujourd’hui souvent opposées. Encore que cela risque de poser d’autres problèmes, en dispersant davantage les positions contradictoires au cours des débats et, là encore, de retarder la mise en œuvre des décisions…