Ascension 2025*

Publié le par Garrigues et Sentiers

L’Ascension marque la fin d’un cycle, celui du temps pascal, et aussi la fin de la mission de Jésus sur terre (pas totalement, la Pentecôte nous éclairera). Remarquons d’abord que, comme pour Pâques, l’événement est très discret. Rien dans Mathieu, chez Marc : « le Seigneur fut enlevé au ciel et s’en alla siéger à la droite de Dieu », rien dans Jean, et dans l’évangile de Luc : « tandis qu’il les bénissait, il se sépara d’eux et fut emporté au ciel ». On ne fait pas plus sobre. Reste le texte de Luc dans les Actes : «  A ces mots, il fut sous leurs yeux emporté dans les airs et une nuée le déroba à leurs regards », puis il évoque les anges pour rappeler aux disciples que c’est ici-bas qu’on les attend : « Galiléens, que restez-vous à regarder le ciel ? ». Ce qui nous semble important, c’est l’ultime « formation » des disciples que le Christ a voulu leur donner avant de les envoyer, seuls, en mission. Elle justifie l’attente entre la Résurrection et l’Ascension.

 

Pendant 40 jours (selon Luc), le Ressuscité a multiplié les apparitions pour toujours enseigner la même chose : la Résurrection n’est pas un point final à sa vie terrestre, Il reste le Fils incarné. Par le Fils, Dieu est entré dans le temps des hommes, Il y reste. La Résurrection n’est pas une installation de Jésus en surplomb de l’humanité, mais une mise en marche de l’humanité invitée à ressusciter avec lui. Nous connaissons le Christ dans son avenir avec le monde. Les 40 jours de ce temps de la Résurrection sont une préparation à l’envoi.

 

«Allez donc. De toutes les nations faites des disciples […] Et moi, je vais être avec vous tous les jours jusqu’à la consommation des temps.» (Mt 28, 19-20)

«  Allez dans le monde entier proclamer l’Évangile à toute la création. » (Mc 16, 15.19-20)

« Vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre.» (Ac 1, 8)

 

Le Christ siège à la droite de Dieu, Il a sa place en Dieu (cela est signifié par la nuée de l’Ascension), mais Il reste avec nous pour nous accompagner sur notre chemin (d’espérance). Il n’est pas retourné au ciel, dans l’éternité de Dieu, comme si rien ne s’était passé entre temps. Jésus est devenu le Christ, l’oint du Seigneur, envoyé dans le monde pour le ramener au Père. Sa Résurrection est liée à son envoi dans le monde pour accomplir la promesse de salut.

 

« Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie » (Jn 20, 21), ou encore :

« Comme tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi je les ai envoyés dans le monde » (Jn 17, 18)

 

Quand le christianisme parle de Jésus-Christ, il ne peut le faire qu’en termes d’énoncés d’espérance et de promesses d’avenir. Nous ne connaissons pas un Christ « en soi », mais le Christ dans son avenir qu’il partage avec nous. La Croix et la Résurrection n’affectent pas seulement sa personne ; leur contradiction apparente est dépassée par l’avenir du Christ dans le monde. Cet avenir est marqué par la paix. « La paix soit avec vous » répète-t-il comme un let-motiv chaque fois qu’il apparaît aux disciples.

 

« Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix » (Jn 14, 27)

 

La paix est intrinsèquement liée à l’avenir du Christ avec nous. Réjouissons-nous que notre nouveau pape vienne de nous le rappeler, à nous et au monde entier auquel il a la mission de s’adresser, dans son premier appel juste après son élection. Dans notre mission nous devons être des artisans de paix.

 

L’envoi est au cœur de notre foi : le Christ est l’envoyé du Père, il le reste définitivement par sa Résurrection car le Père n’a pas renoncé à son plan de salut, il l’a au contraire confirmé. A son tour Jésus nous envoie en nous garantissant qu’il nous accompagne jusqu’à la fin des temps. Cette promesse de nous accompagner, qui suit la Promesse de l’Ancien Testament, est au cœur de notre espérance. L’espérance chrétienne est fondée sur cet accompagnement par Celui qui, par sa Résurrection, a vaincu la mort. Elle n’est pas l’espoir humain, qui garde toute sa valeur, car elle est en contradiction avec le monde. Elle consiste à espérer contre toute espérance. Actuellement cette espérance est bien difficile à vivre tant nos volontés humaines de paix, d’humanité dans le monde, sont bafouées. Il faut nous accrocher à la Promesse confirmée par la Résurrection pour continuer à vivre avec cette espérance.

Et il nous faut travailler, nous engager envers cette paix, cet amour des autres dès ici-bas, pour ne pas trahir l’espérance proposée par le Christ. Tout ce qui est visible, tout ce que nous vivons, tout ce qui nous préoccupe à juste titre, tout cela passera. Notre espérance nous affirme que cela sera dépassé. Par la Résurrection, le Christ a ouvert une brèche dans les limites où se brisent toutes les espérances humaines. La foi nous amène à transgresser, par une espérance qui anticipe le temps, les limites où la Résurrection du Crucifié a pratiqué cette brèche. La foi, partout où elle se développe en espérance, n’apporte pas le repos mais l’inquiétude. Elle ne rend pas patient, mais impatient. La foi nous projette sur ce chemin d’espérance que l’année jubilaire nous appelle à parcourir.

 

L’espérance chrétienne qui nous habite comme envoyés du Christ dans le monde, produit constamment une pensée marquée par l’amour pour l’homme et pour la terre, une pensée qui permet, à la lumière du futur promis, de faire ici-bas notre mieux, selon nos capacités. Ce qui est promis se trouve dans le domaine du possible et nous oblige, mais l’action du Christ est secrète, invisible. Par contre elle passe par notre action au service de la Création, hommes et nature. Cette action se fait dans l’amour, non seulement l’amour réciproque des uns pour les autres (la « philia »), mais l’amour qui anime la relation entre le Père et le Fils, l’« agapè ». C’est l’amour que Jésus a réclamé de Pierre pour le confirmer dans son rôle de pasteur, « pais mes brebis » (Jn 21, 17), avant de lui dire « suis-moi » (Jn 21, 19). Cet amour, l’Esprit, en nous faisant fils nous invite à nous fondre en lui.

 

Pèlerins d’espérance, nous ignorons quel est le « terminus » de notre chemin d’espérance, mais c’est bien cet avenir qui donne sens à toute notre histoire présente, qui la tire en avant, histoire plongée dans le monde tel qu’il est (et non dans le ciel). Par son Ascension le Christ nous laisse définitivement notre place dans la mission qu’il partage avec nous : sauver le monde en l’aimant, en l’humanisant dans la paix pour le rendre capable de répondre à l’amour du Père et devenir ses fils en Jésus-Christ.

 

Marc Durand

 

* Ce texte est inspiré par le livre de J. Moltmann : Théologie de l’espérance, Cerf, Paris, 1983.

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