Choses vues (ou entendues) n° 22 : Dans une démocratie, il y a d’abord le peuple…(*)
Parmi tous les livres, articles, discours politiques de ce temps, on se réfère abondamment à la démocratie. Chacun a son avis sur ce qu’elle est ou doit être, beaucoup ont des manières de la concevoir diverses, voire contradictoires.
« Gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple » aurait déclaré Lincoln. À partir de cette formulation classique et au fond étymologique, la démocratie peut s’interpréter de façons très différentes. Entre le vécu de la Confédération suisse, démocratie à la fois directe et représentative, et la Chine, que sa Constitution définit comme un « État socialiste de dictature démocratique populaire », il y a plus que des nuances.
Remarquons d’abord qu’un régime démocratique est indépendant de la forme institutionnelle du pouvoir. Une monarchie peut être démocratique, comme en Angleterre ou dans certains pays scandinaves ; une république peut être soit illibérale, comme on dit aujourd’hui, soit autoritaire, voire tyrannique (les exemples ne manquent pas !).
Que le gouvernement d’un pays agisse « pour le peuple », c’est la moindre des choses, il est élu pour cela. Plus difficile à cerner l’expression « par le peuple », qui peut se comprendre : « sous le contrôle direct du peuple ». Peut-être serait-il utile et nécessaire de rappeler aux candidats aux élections que : « La démocratie n'est pas un lieu où ou obtient un mandat déterminé sur des promesses, puis où on en fait ce qu'on veut » (Churchill, discours à la Chambre des communes, le 11 novembre 1947).
Revenons au « gouvernement du peuple », qui semble demander quelques éclaircissements. En effet, si dans les démocraties authentiques, où les libertés des citoyens sont respectées, la population peut choisir, en principe, par qui elle souhaite être représentée, sa liberté reste « encadrée » par bien des contingences. Indépendamment de pressions éventuelles, plus ou moins violentes, exercées par les détendeurs du pouvoir – et qui trop souvent n’ont pas l’intention de le lâcher, mais cela est alors une vraie remise en cause de l’idéal démocratique – il existe des contraintes que l’on pourrait qualifier de systémiques : et d’abord la capacité des membres d’un corps électoral à discerner clairement les enjeux d’une politique proposée et des moyens plus ou moins justifiés à mettre en œuvre pour y parvenir.
Pour bien choisir un homme ou une femme politique chargé de me représenter, je dois le faire en conscience, ce qui suppose que je sois bien informé. Deux questions se posent alors : 1° Quelle formation ai-je acquise pour me préparer à cet acte politique ? 2° Quelles informations ai-je reçue pour éclairer mon choix au moment précis où il se présente ?
L’information transitant principalement par les médias – journaux, télévision, réseaux sociaux… –, qui pourraient tenir lieu de formation (politique) permanente, n’est pas toujours fiable, ne serait-ce que parce que ceux qui en détiennent les clefs sont trop souvent intéressés à la distribuer au profit de leurs propres projets ou intérêts. Il n’est que trop facile de dénoncer la prolifération des « fake news » qui faussent l’avis des citoyens de façon massive, étonnante et dangereuse. L’exemple de la vie électorale aux États-Unis d’Amérique, l’une des premières et des plus grandes démocraties dans le monde, n’est pas très rassurante à cet égard. On a pu constater comment plus une « nouvelle » était grossièrement mensongère, plus elle avait d’effets mobilisateurs chez les partisans d’un candidat pratiquant cette méthode. Les dernières campagnes électorales américaines nous ont offert le spectacle navrant et inquiétant de foules extatiques, embrasées par une parole vive mais vide, apparemment prêtes à tout pour servir le leader. Elles l’avaient montré en s’en prenant à des symboles démocratiques et garants de liberté publique, comme le Capitole. Cette hystérie n’est pas sans rappeler l’enthousiasme des partisans du Führer à Nuremberg, mais aussi, on peut le regretter tout autant, à la fin d’un match de foot-ball, c’est à dire sans contrôle.
Attention, ces remarques pessimistes ne sont pas destinées à proposer un suffrage de type « censitaire », réservé à une « élite » dont il serait, d’ailleurs, difficile de fixer les caractéristiques et de définir les critères d’admission. Elles voudraient rappeler, simplement, l’urgence qu’il y aurait à donner aux jeunes en formation, et peut-être à bien des adultes, une « instruction civique », matière souvent bien négligée dans les programmes et dans les faits (1).
On répète à satiété l’aphorisme de Winston Churchill, trop souvent comme une boutade alors qu’elle exprime une réalité : «La démocratie est le pire des régimes, à l'exclusion de tous les autres». Cet aphorisme l’un des plus inusables du débat politique, n’en reste pas moins vrai.
Marc Delîle
(*) Certaines choses devenues banales gagnent à être répétées.
(1) J’ai assisté jadis, comme professeur, à l’intervention de parents sollicitant un chef d’établissement pour transformer des heures d’instruction civique en cours d’histoire-géo « pour finir le programme ».