Antisémitisme, antisionisme ou anti-judaïsme

Publié le par Garrigues et Sentiers

Bien que les deux derniers mots du titre ci-dessus ne soient pas recensés par le dictionnaire « Le ROBERT », aujourd’hui pour désigner des attitudes d’hostilité à l’égard de la religion juive, ou de la communauté juive considérée comme un peuple ou encore de la politique menée par le gouvernement de l’état d’Israël on dispose principalement de ces trois mots même si les deux derniers sont des néologismes. Les comportements qui correspondent à ces trois mots étant inégalement rejetés ou, voire pour certains, acceptés par l’opinion publique, on voit dans les débats les protagonistes se qualifier eux-mêmes ou traiter leurs adversaires de l’une ou l’autre de ces positions. Pour faire accepter ce qui relève en fait de l’antisémitisme certains se définiront comme antisionistes, ce qui est parfois jugé comme éventuellement acceptable, alors que des partisans de la politique menée par l’actuel gouvernement israélien qualifieront parfois ceux qui la critiquent d’antisémites. Est-il donc possible hors de toute polémique d’attribuer correctement les mots du titre de cet article aux attitudes évoquées ci-dessus ? C’est la question sur laquelle cet article cherche à réfléchir.

Il me semble donc nécessaire, pour atteindre éventuellement le but proposé, d’essayer de clarifier les sens précis que devraient avoir ces termes si on veut faire référence aux faits historiques, y compris les plus anciens, pour éclairer le sens précis qu’il faudrait leur donner. Mais, il ne s’agira pas ici d’une étude de l’histoire de la langue française en liaison avec les dates de première apparition de ces mots, que ce soit dans la langue orale ou dans des textes écrits, mais plutôt d’une étude des attitudes et des comportements et des mots qui auraient dû les caractériser même si cela n’a pas été fait dans le temps où ils sont apparus. Bien entendu l’analyse que je vais essayer de faire n’a aucun caractère de vérité scientifique ou de dogme, mais reflète le fruit de mes réflexions sur le sujet. En particulier, n’étant pas historien, j’espère que le lecteur qui serait un professionnel de l’Histoire voudra bien me pardonner les éventuelles inexactitudes ou imprécisions de ce texte.

Aux temps anciens, principalement connu par la Bible, des deux royaumes d’Israël au nord et de Juda au sud, le peuple qui se qualifie lui-même comme étant formé des « fils d’Israël » ou Israélites vivait dans ses terres historiques et n’était pas encore en grande partie répandu dans ce qu’on nomme la « diaspora ». Ce peuple, comme tous les autres, avait des voisins plus ou moins lointains avec lesquels il y avait parfois des conflits qui tournaient tantôt à l’avantage des uns ou à celui des autres. Mais si on tient compte de la brutalité et de la cruauté des usages de la guerre en ces temps, le traitement infligé aux Israélites lors de défaites n’est pas plus ni moins dur que celui infligé à cette époque aux vaincus.

Lors de la chute de Samarie, capitale du royaume d’Israël en 722 (ou 721), le roi assyrien Sargon II prend la ville, détruit le royaume du Nord, emmène les captifs en esclavage et les remplace dans leurs anciennes terres par des peuples probablement jugés plus fidèles ou dociles à leurs maîtres assyriens. De même presque un siècle et demi plus tard, lors de la chute de Jérusalem en –587 ou 586 (les fondamentalistes, tels les témoins de Jéhovah, pensent que c’est en 607…) par le roi babylonien Nabuchodonosor II (les noms des souverains sont ici francisés), le traitement que subissent les vaincus (déportation à Babylone, esclavage, assassinat des fils du roi Sédécias dont on crève les yeux) n’est pas un comportement spécial traduisant une haine ou un mépris pour le peuple juif en particulier.

Donc, on peut affirmer qu’en ces époques lointaines les termes évoqués dans le titre ci-dessus n’ont aucune pertinence. Il ne va pas en être de même par la suite au retour de la longue déportation à Babylone et surtout au cours de la période hellénistique. Ce qui va émerger en premier c’est que l’on peut appeler l’anti-judaïsme, c’est à dire une opposition à la religion juive et aux attitudes vis-à-vis de ceux qu’elle nomme les « Gentils » que celle-ci semble tendre à produire chez ceux qui s’en réclament. Les racines de cet anti-judaïsme qualifié parfois de « judéophobie » apparaissent être multiples et diverses suivant les époques.

 

L’anti-judaïsme

 

Il y a d’abord ce que je nommerai l’anti-judaïsme païen, c’est-à-dire celui qui est le seul avant à peu près l’an 75 de notre ère. Le monothéisme exclusif des juifs qui leur interdit tout culte ou pratique (alimentaire, vestimentaire, ...) des peuples voisins n’est souvent pas toléré par ceux-ci. Ce petit peuple, qui en ces temps où le polythéisme est presque partout la règle, prétend qu’il n’y a qu’un seul vrai Dieu (le sien), qu’il a été choisi par ce dernier comme « peuple élu » et que les autres prétendus dieux ne sont que de faux dieux, a tout pour être mal accepté par ses voisins et est souvent considéré par eux comme arrogant. Le récit biblique des persécutions allant jusqu’à des supplices effroyables évoqués pour ces sept frères juifs et leur mère qui refusent de manger de la viande de porc, montre que ce que nous jugeons comme héroïsme est pris plutôt pour folie et fanatisme aux yeux du roi persécuteur Antiochos.

Par la suite vinrent les rapports des Juifs avec les Romains. D’après la « Jewish Encyclopedia » la présence de Juifs, probablement originaires d’Alexandrie, à Rome est attestée depuis au moins 139, mais les relations entre les Juifs et Rome se font plus étroites après la victoire de Pompée en 63 : en 48 Hyrcan II est confirmé par Jules César comme ethnarque des Juifs, en 37 est créé le royaume hérodien « client » de Rome puis en 6 la Judée devient une province romaine.

Racontant l’histoire de cette période dans ses « Antiquités juives », l’historien juif romanisé Flavius Josèphe fait état de plusieurs décrets de Jules César, Marc-Antoine, Auguste et Claude accordant aux communautés juives un certain nombre de droits. Bien que l’authenticité de ces décrets ait été contestée, ils sont en général considérés aujourd’hui comme valides : il s'agit par exemple du droit d'être exempté d’un rituel comme le culte de l'Empereur ou de l’autorisation de suivre les lois, coutumes et religion de ses ancêtres.

C’est en liaison avec ces prérogatives que va apparaître semble-t-il, la première forme de l’anti-judaïsme chrétien dans lequel il convient de distinguer plusieurs périodes. Au début il n’y a et il ne peut y avoir aucun anti-judaïsme car Jésus et ses apôtres sont tous juifs. Même après que certains de ses compatriotes (essentiellement semble-t-il des saducéens) l’ont livré aux autorités romaines, le discours de l’apôtre Pierre rapporté dans les « Actes des apôtres » montre que cette action mauvaise est suivie d’un appel à la conversion de ceux qui, bouleversés par ses paroles, lui demandent : « Que ferons-nous frères ? ». Ainsi pendant plus de quarante ans ceux qu’on appellera assez vite les Chrétiens sont perçus comme une secte juive parmi d’autres ; et ceci, même si grâce à l’action de l’apôtre Paul de plus en plus de personnes issues du paganisme entrent dans la communauté chrétienne. Cet élargissement aux païens va produire un éloignement progressif de cette communauté de ceux qui dans le peuple juif refusent Jésus comme le Messie prédit par les prophètes.

Parmi les raisons qui ont poussé à un certain moment les communautés juives à exclure les Chrétiens des synagogues, il y a probablement le refus, décidé à ce qu’on a coutume d’appeler le « Concile de Jérusalem », d’imposer les rites juifs et en particulier la circoncision à ces nouveaux chrétiens non issus du judaïsme, mais surtout semble-t-il le refus des chrétiens d’origine juive de s’associer à la préparation puis à la participation à la « Première révolte juive » (contre l’Empire romain), survenue en 66, donnant lieu à la prise de Jérusalem par Titus en 70 et à la chute de la citadelle de Massada qui résistera jusqu’en 73. En fait il semble que les Chrétiens d’origine juive aient commencé à quitter Jérusalem dès 62.

Cette exclusion va faire que les Chrétiens ne soient donc plus, dans l’étendue de l’Empire romain, traités comme des Juifs particuliers, et ne bénéficient donc plus des exemptions prévues par les décrets évoqués plus haut. Les Chrétiens ne voulant pas plus que les Juifs considérer les empereurs romains comme devant bénéficier d’un culte, ils vont désormais subir des persécutions de la part des autorités romaines. Il est probable que cette séparation est l’une des causes de la première forme de l’anti-judaïsme chrétien. La phrase « par peur des Juifs » qu’emploie plusieurs fois l’évangéliste Jean dans les récits relatifs aux visites de Jésus ressuscité aux apôtres, fait peut-être référence à la crainte d’une dénonciation, anachronique au moment des faits relatés, des disciples comme non-juifs, ce qui alors est évidemment faux, mais qui se comprend bien mieux dans le cadre de l’époque où son Évangile a été écrit.

Plus tard la théologie chrétienne va d’une part expliciter la croyance en la nature divine de Jésus, d’où l’expression « peuple déicide » employé par les Chrétiens pour qualifier le peuple juif jusqu’au XXème siècle et d’autre part définir la communauté chrétienne comme étant le nouvel « Israël ». Ce qui autrefois avait été pour les peuples païens la prétention jugée insupportable des Juifs, va devenir chez les Chrétiens l’obstination, inacceptable à leurs yeux, des Juifs continuant à se considérer comme le peuple élu. Quand la religion chrétienne va devenir progressivement dans une partie de plus en plus grande de l’Europe, la religion officielle cet anti-judaïsme chrétien va être la cause d’innombrables persécutions que vont subir les Juifs sur ce continent : confiscation des biens, expulsions des royaumes, conversion forcée sous menace de mort ou exécution immédiate…

Bien sûr les raisons officielles de ces persécutions déclarées être de nature religieuse, cachent souvent des intérêts sordides : quand un roi a emprunté de fortes sommes d’argent à des banquiers juifs, il est commode, pour n’avoir rien à rembourser, de dire que la présence des Juifs sur son royaume offense sa piété chrétienne et qu’il convient donc de les expulser. Mais aussi tragiques qu’aient pu être ces événements, il ne s’agit pas encore vraiment de l’antisémitisme dans lequel une composante semblable à celle présente dans les autres formes du racisme est me semble-t-il nécessaire. On peut remarquer d’ailleurs que des mots comme « sémite » pour qualifier un peuple ou « sémitique » pour désigner une famille linguistique trouvent leur origine dans le nom du personnage biblique de Sem, l’un des fils de Noé, et que suivant cette étymologie l’antisémitisme pourrait désigner toute attitude hostile envers les peuples qui sont rattachés à ces groupes c’est-à-dire non seulement les Juifs mais aussi les Arabes. Ce n’est que parce qu’à l’époque où ce comportement apparaît en Europe, la population qualifiée de sémite sur ce continent est presque exclusivement formée de Juifs que le mot antisémitisme n’a été généralement appliqué qu’à leur égard.

 

L’antisémitisme

 

Il convient d’abord de chercher à savoir comment le racisme qui n’est en aucune façon religieux est apparu. Depuis sans doute l’origine de l’Humanité, les inimitiés ou rivalités entre clans, tribus ou peuples ont existé, mais la méfiance et le refus d’accepter comme des égaux ceux qui ne sont pas « comme nous » a relevé à mon avis pendant très longtemps bien davantage de ce que l’on nomme aujourd’hui la xénophobie que du racisme. Si les Grecs de l’Antiquité qualifient de barbares les peuples non grecs, c’est parce que, ne comprenant pas leurs diverses langues, ils pensent en terme de « Civilisation » : ils se considèrent comme les seuls Civilisés. Mais l’attitude d’Alexandre le Grand qui aboutira à ce qu’on nomme la Civilisation hellénistique montre bien qu’il ne s’agit pas de racisme : il veut non seulement conquérir les peuples de l’Asie mais aussi leur apporter la Civilisation grecque. Par contre l’emploi du mot « racisme » me semble nécessaire, comme on va le voir, pour qualifier des positions ou des comportements présents bien avant l’apparition de ce mot dans la langue française.

En effet pour qu’on puisse parler véritablement d’antisémitisme il faut me semble-t-il que cette attitude se manifeste non pas tant à l’égard d’un groupe, la communauté juive, mais à l’encontre de tout individu lié ou même seulement issu de cette communauté même s’il a rompu tout lien avec elle. Les persécutions dont les membres de la communauté juive vont être victime à partir des Croisades s’adressent encore seulement à ceux qui qui se reconnaissent comme en faisant partie. Or ce sont des événements historiques que je vais brièvement rappeler qui ont conduit à mon avis au « véritable antisémitisme ».

En effet dans ce qu’on nomme habituellement la Chrétienté, se préoccuper de la conversion des peuples non chrétiens a été longtemps l’objectif, au moins officiellement, de l’expansion territoriale même si évidemment des objectifs de puissance économique étaient sous-jacents. Ainsi lors de la conquête des Canaries commencée par des seigneurs castillans puis poursuivie au nom des « Rois catholiques », bien qu’elle se soit faite par des combats acharnés et sanglants de 1402 à 1496, il n’y a pas de présence de racisme : très vite il y a un métissage, les nobles castillans épousent des princesses locales…

C’est après l’action des Conquistadors en Amérique et l’interdiction de réduire en esclavage les populations amérindiennes (interdiction dont la mise en œuvre effective prendra plus de cinquante ans) que va se développer de manière de plus en plus massive la traite esclavagiste transatlantique de populations africaines : la justification idéologique de cet esclavage est la prétendue infériorité des Africains ; ainsi commence le racisme c’est-à-dire la supposée justification d’un traitement différent de certains êtres humains, non plus sur la base de leurs réalisations mais de ce qu’ils sont censés être intrinsèquement. Il faut donc remarquer que le racisme est apparu bien avant que sa théorie en soit faite, sur des bases prétendument scientifiques mais complètement erronées, d’abord par Arthur de Gobineau (14/07/1816 – 13/10/1882), puis par Georges Vacher de Lapouge (12/12/1854 – 20/02/1936).

À la même époque se produit sous Isabelle la Catholique la conversion forcée ou l’expulsion des Juifs d’Espagne. Certains d’entre eux, face à cette décision scandaleuse à nos yeux mais jugée bonne alors, pour éviter l’expulsion se convertissent par force à la religion chrétienne, mais le regrettant ensuite, reprennent les pratiques juives. Au lieu d’interpréter ces comportements comme une réaction normale face une persécution, on va en ces temps de racisme naissant mettre cela sur le compte d’une prétendue caractéristique « raciale » des Juifs : c’est le début de l’antisémitisme. Les antisémites vont dire désormais que les Juifs sont « par nature » menteurs, trompeurs, traîtres… Ainsi par exemple, quand vers la fin du XIXème siècle on découvre qu’il y a au niveau de l’état-major de l’armée française des fuites de documents militaires en direction de l’Allemagne, les antisémites qui y sont majoritaires diront puisqu’il y a un Juif dans cette structure ce ne peut être que lui qui est le traître : c’est le début de la tristement célèbre « Affaire Dreyfus ». C’est ce racisme particulièrement exacerbé chez les nazis, dont le parti se qualifiait d’ailleurs lui-même de parti raciste, qui sous la forme de l’antisémitisme aboutira à la Shoah qui fera environ six millions de victimes dans la population juive d’Europe.

Aujourd’hui encore des groupuscules néonazis se revendiquent toujours clairement de l’antisémitisme dans le cadre de leurs conceptions racistes. Il y a probablement aussi des antisémites qui n’osent pas dire qu’ils le sont mais puisque certains se disent antisionistes il convient de voir comment les diverses formes de sionisme et d’antisionisme sont apparus

 

L’antisionisme

 

Bien avant les horreurs monstrueuses subies par les Juifs dans l’Allemagne nazi et au cours de la Seconde Guerre Mondiale, les nombreuses persécutions dont souffraient les Juifs, particulièrement dans l’est de l’Europe avec les nombreux pogroms mais aussi avec des discriminations diverses en d’autres lieux, surgit d’abord avec le mouvement « Les Amants de Sion » de Léon Pinsker (13/12/1821 – 09/12/1891) et surtout la fondation en 1897 de « L’Organisation sioniste mondiale » par Theodor Herzl (02/05/1860 – 03/07/1904) ce qui sera le mouvement sioniste. L’un et l’autre sont favorables à la création d’un état juif indépendant, mais pour le premier ce pourrait être en Amérique du Nord, alors que le second crée en 1899 le « Fond pour l’implantation juive » destiné acquérir des terres pour de futurs agriculteurs juifs dans ce qu’on nomme alors la Palestine qui à cette époque est un territoire de l’Empire Ottoman.

Certes depuis des temps très anciens le repas rituel (le « Seder ») de célébration de la fête de « Pessah » (la Pâques juive) se terminait par la phrase « L’an prochain à Jérusalem », mais ce souhait était plus un vœux pieux qu’un projet politique. Mais le Sionisme reçut d’abord, c’est du moins ce que l’on dit habituellement, l’encouragement de la « déclaration Balfour » : il s’agit d’une lettre, datée du 2 novembre 1917, de Arthur Balfour (25/07/1848 – 19/03/1930), alors secrétaire d’état aux affaires étrangères du Royaume Uni à Lord Lionel Walter Rothschild (08/02/1868 – 27/08/1937) personnalité juive britannique et financier du mouvement sioniste. Dans cette lettre il est dit que le gouvernement britannique est favorable à la création d’un foyer national juif (« national home for the Jewish people ») en Palestine dont les britanniques, dans leur guerre contre l’Empire Ottoman, sont en train de faire la conquête grâce au soutien de leurs alliés locaux les nationalistes arabes (victoires à Beer-Sheva le 31/10, puis à Gaza le 02/11 et enfin à Jérusalem le 09/12). Il faut remarquer que Balfour anticipe donc sur le futur mandat britannique sur la Palestine et d’autre part qu’il est précisé dans sa lettre que rien ne devra être fait portant préjudice aux droits civils et religieux des populations non-juives existantes en Palestine. En France le ministre des affaires étrangères Jules Cambon (05/04/1845 – 19/07/1935) avait déjà adopté une position semblable dès juin 1917 dans une lettre à Nahum Sokolow (10/01/1859 – 17/05/1936) un des leaders de l’Organisation sioniste mondiale. Cette antériorité de la position française rend surprenante l’opinion courante dans notre pays que le premier encouragement du sionisme est britannique : est-ce une survivance dans l’esprit des français de la propagande du régime de Vichy qui accusait les Anglais d’être « pro-juifs » ?

Le sionisme va se développer d’abord par la fondation en 1920 de la « Haganah » (organisation d’autodéfense juive) placée dès décembre de la même année sous l’autorité de la « Histadrout » (fédération des syndicats de la gauche sioniste), puis, à la suite d’une scission survenue en 1931, par la formation du groupe beaucoup plus radical qui à partir de 1937 sera appelé « Irgoun » qui deviendra bien plus tard la base du « Likoud ». Après la « Révolte Arabe » de 1936-1939 d’autres scissions vont survenir mais je n’entrerai pas dans les détails. Simplement on voit que dès cette époque, et j’y reviendrai, il y a des désaccords parmi les sionistes ce qui peut se traduire en disant qu’il y a plusieurs sortes de sionisme et donc d’antisionisme qui commence à apparaître à cette époque.

Après la « Seconde Guerre Mondiale » et l’extermination d’environ six millions de Juifs d’Europe par le régime nazi de l’Allemagne, la création d’un État juif qui servirait de refuge possible apparaît de plus en plus nécessaire aux yeux de nombreux Juifs. Ceci aboutira à fin du mandat britannique votée par l’ONU avec un plan de partage du territoire anciennement sous mandat le 30 novembre 1947, puis à la proclamation de l’indépendance d’Israël le 14 mai 1948. Le plan de partage (résolution 181 de l’assemblée générale des Nations Unies) prévoyait que sur la superficie de l’ex Palestine mandataire 56% du territoire serait attribué à un état juif, 42% à un état arabe et les 2% restant, soit Jérusalem et ses environs, seraient placés sous contrôle international. Le découpage avait été fait pour minimiser en cas de nécessité l’effectif des populations à déplacer. Dans le territoire juif il y a alors 558000 Juifs et 405000 Arabes, dans le territoire arabe il y a 10000 Juifs et 794000 Arabes et à Jérusalem il y a 105000 Juifs et 100000 Arabes.

Ce plan a été dès le départ refusé par toutes les organisations arabes : c’était d’une part parce que compte tenu de l’importance relative à cette époque de la population arabe 42% semblait trop peu mais aussi parce le découpage du territoire arabe en quatre morceaux semblait non viable. Quant aux mouvements sionistes la plupart l’ont accepté, bien que partageant le territoire juif en trois morceaux, sauf l’Irgoun et le Lehi (deux mouvements extrémistes) qui trouvaient eux que 56% pour les Juifs c’était trop peu.

Ceci a conduit d’abord à la guerre israélo-arabe de 1948-1949, puis à la guerre « des six jours » en 1967 (suivie le 22/11/1967 de la résolution 242 du Conseil de Sécurité de l’ONU), puis à la guerre « du Kippour » en octobre 1973 (suivie de la résolution 338 du même Conseil) et enfin aux « Intifadas » (la première de 1987 à 1993 et la seconde à partir de l’an 2000), sans compter les nombreux attentats commis par des mouvements palestiniens et les représailles israéliennes dont certaines sont dirigées par l’armée mais dont d’autres sont le fait d’actions individuelles de « colons israéliens » en Cisjordanie. Ceci culmine avec le massacre épouvantable commis par le Hamas le 7 octobre 2023 et la riposte terrible par bombardement sur le territoire de Gaza par l’armée d’Israël qui a duré jusqu’à la récente trêve avec échange d’otages détenus par le Hamas contre la libération de prisonniers palestiniens détenus en Israël. Ces actions militaires israéliennes ont hélas repris, alors qu’on espérait l’arrêt des combats se poursuivrait jusqu’à la libération de tous les otages du Hamas.

Mais ces faits historiques que j’ai essayé de rapporter de mon mieux ont amené à des possibilités diverses d’acceptation ou de refus des diverses résolutions évoquées plus haut et ceci aussi bien dans le cas d’Israël et des personnes ou des états qui le soutiennent que dans celui des Palestiniens et de leurs partisans ou sympathisants.

En Israël les positions vont d’un sionisme expansionniste extrême ayant l’ambition de construire un « Grand Israël » (le royaume de David et parfois au-delà) à un refus total du sionisme chez les Juifs « ultra-orthodoxes » dont certains vont même jusqu’ à considérer que si le peuple juif a été chassé de sa « Terre promise » c’est par la volonté de l’Éternel pour les punir de leurs péchés et qu’il ne pourra y revenir en paix que lors de l’envoi du « Messie ». Une position intermédiaire est celle des partisans de « La paix maintenant » qui acceptent le partage du territoire avec la création de deux états.

Chez les antisionistes on va là aussi de la position extrême des mouvements qui tel le Hamas ou le Hezbollah veulent suivant leur propre expression « rejeter les Juifs à la mer » à ceux qui trouvent seulement injuste que le sentiment de culpabilité des nations « occidentales » pour l’action très insuffisante de protection des Juifs pendant la Seconde Guerre Mondiale, les aient poussées à accepter le retour (et uniquement pour les Juifs et non pour les Arméniens, les Kurdes…) sur ses terres historiques d’un peuple qui en a été chassé injustement il y a très longtemps et ceci au détriment d’une population (les Palestiniens) qui entre-temps vivaient sur ces terres depuis plus d’un millénaire.

Ces diverses attitudes me conduisent à la conclusion que rejeter l’anti-judaïsme ou l’antisémitisme doit provenir d’une attitude éthique de refus de l’intolérance religieuse ou de la haine ou du mépris de ceux que l’on ne considère pas (à tort bien sûr) comme nos semblables. Par contre pour l’antisionisme c’est le mot lui-même qui doit être rejeté car il est trop ambigu et peut recouvrir des attitudes relevant bien davantage de l’une ou l’autre des deux précédentes que d’une véritable position politique. J’espère que des journalistes interrogeant des hommes ou des femmes politiques qui diraient être « antisionistes » auront la présence d’esprit de leur demander aussitôt « mais qu’entendez-vous par là ? » au lieu de leur laisser poursuivre leur discours.

Jean Palesi

 

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