L’Église de Marseille loge des Roms : polémiques
Depuis le jeudi 24 février, place Pol Lapeyre, tout près de l’église Saint-Pierre, l’Église de Marseille accueille dans un immeuble lui appartenant dix familles de Roms, soit 57 adultes et 9 enfants. À tous égards, il faut voir dans cet événement un signe des temps.
Signe noir, d’abord, de la triste partie de « mistigri » que les Européens jouent avec les Roms. L’état de pauvreté et la discrimination dont ils souffrent en Roumanie les poussent en effet à quitter leur pays pour gagner d’autres pays de la CEE dont ils sont citoyens – mais avec restriction jusqu’à expiration d’une période transitoire fixée à fin décembre 2013 pour la France. S’ils sont autorisés à circuler librement, ils ne peuvent ni résider plus de trois mois ni travailler facilement en Europe et singulièrement en France. Pas de travail en effet sans carte de résident, mais pas de carte de résident sans travail, pour lequel une taxe pouvant atteindre jusqu'à 900 euros est imposée à qui souhaiterait embaucher un Roumain. Si celui-ci se trouve être un Rom, de surcroît analphabète comme il arrive souvent, on imagine l’effet dissuasif de la mesure ! D'où les migrations pendulaires de ces sédentaires qui conduisent souvent à les confondre à tort avec les gens du voyage. Pour plus de détails, voir Roms en Roumanie : minorité discriminée et vulnérable.
C’est ainsi que, depuis des mois, plusieurs dizaines de familles Roms se sont établies à Marseille, au bord des routes et autoroutes, autour de la porte d’Aix, dans des squats et jusque sur la rue. Jouant au chat et à la souris avec les forces de l’ordre qui, à intervalles irréguliers, les expulsent et détruisent leurs abris de fortune, elles errent de place en place. D’un immeuble désaffecté à un carrefour, d’un groupe d’épaves de camping-cars à un terrain vague. Il est juste de dire que cette situation n’a pas laissé indifférentes les autorités municipales car les interventions du Samu social, les places en centres d’hébergement d’urgence, l’accueil gracieux des enfants démunis dans les cantines de la ville concernent aussi des Roms. Mais des dizaines de familles vivent toujours dans la rue, des enfants se lavent dans les caniveaux du centre-ville... sans compter ceux qui vont un peu plus loin tenter leur chance d’être mieux accueillis : des groupes de Roms sont ainsi arrivés dans d’autres communes des Bouches-du-Rhône.
Signe d’espérance, en revanche, dans l’engagement de l’Église catholique face à de telles détresses. Il s’enracine évidemment dans la Tradition biblique, qui fait de l’accueil des pauvres une priorité, et dans les traditions des Églises qui, depuis deux mille ans, s’efforcent de répondre à cette ardente obligation. Mais il procède également d’une mûre réflexion. Dès le 12 septembre 2010, Mgr Pontier, le pasteur protestant réformé Frédéric Keller et le Père orthodoxe Joachim Tsopanoglou écrivaient ainsi : « Les Roms ne sont pas d’abord un problème ou une question. Ce sont des hommes, des femmes, des enfants. Les solutions doivent être individuelles, généreuses, raisonnables. » Et, sans nommer expressément les Roms, Mgr Pontier exhortait en ces termes ses fidèles dans sa Lettre pastorale publiée en 2011 : « Nous ne pouvons pas annoncer l’Évangile sans nous faire proches des plus petits, des plus pauvres (…) Nous nous devons d’être parmi les premiers qui luttent pour plus de justice, de solidarité, de respect des plus pauvres. »
Appel largement entendu si l’on en croit un article publié sur le blog Le Meilleur de Marseille auquel nous avons emprunté d’autres éléments pour rédiger ce billet : « Cet engagement fort, souvent répété, a fortifié l’action des groupes de chrétiens qui, sur le terrain, dans la rue et dans les cités, se tiennent auprès des SDF, des Roms comme de tous les blessés de la vie, tendent la main, réconfortent et pansent les plaies sociales. À Marseille, l’Église renoue dans la ferveur avec le catholicisme social militant de la fin du XIXe siècle. »
Pour autant, l’accueil récent des Roms dans un local appartenant à l’Association diocésaine marque un degré supplémentaire dans cet engagement, qu’il convient de saluer à sa juste mesure. Il marque le souci de l’Église de parer à une situation de détresse devenue intolérable, nullement sa volonté de se substituer aux pouvoirs publics ou aux associations. La meilleure preuve en est que l’accueil des Roms de la place Pol Lapeyre est précisément géré par une association, l’AMPIL (Association méditerranéenne pour l’insertion sociale par le logement) qui accueille et accompagne depuis longtemps des Roms à Marseille et dans les Bouches-du-Rhône, en partenariat avec la Fondation Abbé-Pierre.
Signes plus mêlés, cependant, dans l’accueil réservé aux Roms dans le quartier Saint-Pierre. Une fois réglées les formalités, un peu (trop ?) tatillonnes relatives à l’hygiène et à la salubrité de l’immeuble qui leur était destiné, ceux-ci ont pu s’installer et travaillent comme ils peuvent, souvent de « petits boulots » ou comme ferrailleurs. Mais parmi leurs nouveaux voisins, tous ne partagent pas, loin de là, ce sentiment qu’une main anonyme a exprimé sur le cahier d’intentions de prières qui est à la disposition des fidèles dans l’Église Saint-Pierre : « Merci au Père et à la paroisse pour l’accueil de ces familles Roms ! »
Certes, il en est qui offrent leurs services à l’AMPIL pour l’aider dans sa gestion quotidienne de l’immeuble, dans le soutien scolaire aux enfants, dans l’alphabétisation... C’est l’occasion pour eux d’expérimenter, autour d’un café offert par les nouveaux arrivants, combien les Roms sont accueillants ; souvent aussi, pour les chrétiens, de découvrir qu’ils rencontrent en eux d’autres chrétiens, orthodoxes ou, pour certains, évangélistes.
Mais il en est d’autres, nombreux, chrétiens ou non, pour qui cela « ne passe pas ». Une réunion du Comité d’intérêt de quartier a été pour eux l’occasion de le dire avec force, et ils ont mis en circulation une pétition qui a déjà recueilli des centaines de signatures. Non sans rencontrer l’oreille de leurs élus. Toujours selon le blog Le Meilleur de Marseille, le maire de secteur, Bruno Gilles, aurait ainsi déclaré : « Je suis chrétien, mais ma casquette d’élu m’oblige à soutenir la population. Le quartier n’en veut pas. » De fait, avec deux de ses conseillers, Renaud Muselier et Marine Pustorino, il a cosigné et distribué une lettre ouverte allant bien dans ce sens, que l’on pourra lire en cliquant ici.
Il n’est pas question de juger, d’autant que chacun de nous peut se dire tout bas, un peu honteusement : « Que ferions-nous si nous habitions ce quartier ? » Mais enfin, cela n’est pas sans rappeler – sur un mode infiniment mineur, heureusement ! – le beau roman Le Christ recrucifié de Nikos Kazantzakis dont Jules Dassin a tiré le non moins beau film Celui qui doit mourir, qui peint le déchirement d’un petit village grec d’Anatolie face à l’arrivée dans ses murs d’autres villageois grecs chassés par les Turcs. Signe des temps, signe de tous les temps… Qui nous rappelle quel « signe de contradiction » (Luc 2, 34) s’est voulu Celui que nous confessons comme Seigneur et Sauveur. Et quel signe de contradiction, aussi, est la Bonne Nouvelle de son Évangile.
G & S