La conversion du dedans

Publié le par Garrigues

Matthieu 6 et 23 ; Marc 11,38 ; Luc 11,37, etc.

« Malheur à vous les pharisiens qui aimez les premiers sièges dans les synagogues et les salutations sur les places publiques... Malheur à vous les légistes parce que vous charger les gens de fardeaux impossibles à porter et vous-même ne touchez pas à ces fardeaux d'un seul de vos doigts... Malheur à vous scribes et pharisiens qui fermez aux hommes le Royaume des Cieux quand vous-mêmes n'y êtes pas rentré... Malheur à vous qui dévorez les biens des veuves et affectent de faire de longues prières. »

Pas facile de se convertir quand on est croyant. À plus forte raison quand on est d'une église qui revendique la propriété du salut, de la vérité et du savoir sur l'homme. Déjà, avec ceux du dehors, il n'était pas tendre : malheurs à vous les riches, les repus, les jouisseurs, les savants, etc. (Luc 6, 24). Mais avec ceux du dedans, il savait être violent jusqu'à tout casser, à user du fouet, à les vomir d'invectives et de noms d'oiseaux : « hypocrites, sépulcres blanchis, tombeaux, pourris de l'intérieur, serpents, engeance de vipères, Satan ». Quand sa relation au Père ou quand le petit peuple étaient en jeu, il savait être dur et dans son indignation, ses colères, il n'hésitait pas à outrager hôte et ami, surtout s'ils se donnaient pour responsables de la Loi, juges du salut des mécréants. Serait-ce que le péché c'est l'institution ? Les autres le lui rendaient bien : « glouton, ivrogne, blasphémateur, ami des publicains et des pauvres types » et sans doute d'autres reproches. Pourtant tous ces braves gens, docteurs de la Loi, pharisiens, prêtres et autres zélateurs poursuivaient un même objectif : Dieu. Ils étaient les spécialistes de la vérité divine sur la réalité humaine, un peu comme la pythie ou l'oracle antique. Ils savaient. Surtout les pharisiens, des laïcs d'abord puis globalement fonctionnarisés en gardiens du bon ordre religieux et enfin, peuple sacerdotal par excellence. Ils étaient issus de tous les milieux mais la part belle, l'encadrement spirituel et religieux du peuple, revenait surtout à ceux issus de la bourgeoisie, moyenne et petite. Leur prodigalité en bienfaisance et autre charité n'avait d'égale que leur observation scrupuleuse de pureté légale, de jeûne et autre prière de trois heures par jour. Sans oublier la dîme, l'impôt à payer pour en être. Leur foi, leur piété, et la bonne conscience des œuvres les mettaient, du moins le croyaient-ils, au dessus des autres : « Mon Dieu, je te rends grâce de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes » disaient-ils dans leur prière, satisfaits de leur vertus (Luc 18,11). Le jeune homme riche en était et, comme le montrent ses paroles à Jésus, pour lui et ses congénères, le salut est un capital qui s'accroit à coup de mérites et de bonnes œuvres : tout cela je l'ai fait dès ma jeunesse dit-il... À lui et aux autres croyants, Jésus répond : convertissez-vous !

On exagérerait beaucoup en prêtant à Jésus une hostilité de rigueur envers les religieux de son temps, toutes catégories confondues. Il savait à l'occasion, reconnaitre la sincérité des uns et des autres, pharisiens compris. On réduirait plus encore en situant ses invectives du côté du moralisme. L'hypocrisie, la vanité, l'orgueil, la piété légaliste ou bondieusarde, tout cela c'est mesquin, soit... mais c'est tellement humain ! N'empêche, les paroles de Jésus forment aussi une critique de la religion, de ceux du dedans, qu'il appelle à se convertir comme les autres, et on mutilerait sérieusement l'évangile à l'amputer de la dimension essentielle du conflit, parce que c'est de ce conflit à plusieurs dimensions que le Christ est mort. Se convertir alors à quoi quand on en est déjà ? Pour le dire autrement, où situer le conflit ?

Ce qui saute aux yeux dans l'Évangile c'est d'abord, je crois, la conception théologique du Royaume des Cieux ou règne de Dieu : il est en Jésus Christ une réalité historique présente et agissante, et Jésus lui-même est ordonné, c'est-à-dire ordonne ses actes, ses paroles, sa vie et sa mort à l'avènement de ce Royaume ou Règne de Dieu. Toutes les paroles et les actes du Christ ont pour centre et pour destination cet avènement, ce déjà-là. Conséquemment, la religion dans ses formes comme dans sa finalité ne trouve pas en elle-même sa justification mais autant qu'elle travaille à la réalisation concrète de ce Royaume. Évidemment, la religion, celle du Christ de l'histoire, c'était le judaïsme et Jésus s'est d'abord pensé, a pensé le Royaume en termes d'appartenance à sa religion, se considérant comme envoyé d'abord pour sa chapelle, la maison d'Israël. Mais très vite (en tous les cas en moins de deux mille ans) il a fait la distinction entre le règne de sa chapelle, de sa religion et de ses membres et le Règne de Dieu : c'est bien à un centurion, à un étranger de sa maison, à qui il décerne un label de foi inédite : « en vérité, je vous le dis, chez personne je n'ai trouvé pareille foi en Israël ». Et, à l'intérieur même de sa religion, son passe-temps favori est de faire voler en éclat les clivages : ethniques puisqu'il ose fréquenter, davantage il les gratifie de miracles, les samaritains et les cananéens et s'émerveille de leur foi ; sociaux puisqu'il s'invite chez les publicains, trouve beaucoup d'amour chez une prostituée, une adultère et autres pauvres types crucifiés comme lui et voit davantage le don de Dieu lui-même dans l'obole d'une vieille que dans les largesses des nantis ; religieux et rituel puisque la loi du sabbat passe à la trappe quand il s'agit de guérir un aveugle et autres éclopés, tout comme les rites et les traditions de purification quand ils se donnent pour brevets de premiers de la classe. Quant à la Loi et à son Temple c'est simple : il abroge l'une et dit qu'il détruira l'autre, car ni l'une ni l'autre ne sont éternels, comme le croyaient ses membres et ses chefs. Il va même plus loin. En général, quand on critique un système et ses institutions c'est pour mettre en avant son propre système et ses propres institutions, ses propres valeurs. On connaît. En religion, ça s'appelle du prosélytisme et, temporellement, ça a donné la formule bien connue « hors de l'Eglise point de salut » ce qui, théologiquement revient à identifier le Royaume de Dieu avec le Règne de l'Église, l'extension de celle-ci en Royaume de Dieu impliquant l'entrée dans la bergerie par agrégation de tout ce qui est en dehors. La confusion d'eschaton est plus commode que sa distinction. Historiquement c'est humain... et tellement facile à concevoir : la petite graine qu'est l'Église plantée par Jésus Christ ne doit-elle pas s'épanouir en un grand Royaume de Dieu aux limites du monde confondu alors historiquement (c'est-à-dire à la fois du point de vue de la croyance et de ses modèles historiques) avec une religion et ses modèles ? Sauf que le Jésus de l'histoire a lui-même signifié que le Royaume de Dieu débordait et de loin les seules limites de son Israël, de sa religion, de ses membres et de ses institutions ethniques, politiques et sociales d'une part. D'autre part, quand Jésus, chef de file de la nouvelle petite chapelle des douze, envoie ses disciples en mission, il ne leur dit pas d'annoncer le règne d'une église, du petit germe qu'elle était, mais le Règne des Cieux, le Royaume de Dieu, la Bonne Nouvelle. Le Ressuscité fera de même. Plus précisément, autant le Jésus de l'histoire que le Christ glorifié ordonnait à son église de se mettre au service du Royaume de Dieu, à annoncer non elle-même mais ce Royaume. C'est le sens du lavement des pieds et de bien d'autres paroles et gestes du Seigneur. Le Règne de Dieu n'est pas le continuum du mouvement du règne de l'Eglise qu'il a impulsé. Ce Royaume est présent dans l'histoire par Jésus Christ et l'Eglise en est le sacrement certes, le signe opérant, mais ce sacrement ne trouve sa raison d'être que dans son dépassement par lequel elle opère l'avènement du Royaume. De ce fait elle n'est ni l'origine ni le lieu unique de sa réalisation, elle est historiquement située, comme l'est le Christ de l'histoire, ce qui l'oblige à admettre que ce qui n'est pas elle, ce qui est en dehors d'elle, peut partager et opérer à sa manière l'avènement du Royaume.

Évidemment, cette conception du Royaume de Dieu avait de quoi faire grincer des dents. Elle mettait la Loi et le Sabbat, non hors service, mais au service de l'homme, de tous les hommes, (sans exclure ces dames évidemment, ce qui n'allait pas de soi dans l'attitude morale ambiante) c'est-à-dire au service des Béatitudes, et non l'homme au service de l'une et de l'autre. D'où le conflit central sur l'origine et la légitimité de l'autorité de Jésus dans l'Évangile qui s'autorise à modifier la Loi. D'où aussi le drame. On ne prétend pas détruire le temple impunément. Plus exactement, on ne remet pas en question sans s'exposer gravement, l'identité établie entre le Royaume de Dieu et l'autorité historique compétente, qu'elle soit peuple comme Israël, institution comme la Loi et le Temple, rites et traditions et enfin piété : « Là seront les pleurs et les grincements de dents, lorsque vous verrez Abraham, Isaac, Jacob et tous les prophètes dans le Royaume de Dieu et l'on viendra du levant et du couchant, du nord et du midi, prendre place au festin du Royaume de Dieu. Oui, il y a des derniers qui seront premiers, etc. » (Matthieu 8,10 et les autres). Au festin du Royaume de Dieu qui est là, présent et opérant, tout le monde est là: croyants anciens et païens modernes, le nord et le sud, l'est et l'ouest, etc. Or cette conception du Royaume de Dieu n'est que la conséquence théologique d'une conception de Dieu lui-même. Ce que les pharisiens, les prêtres et les doctes tout ensemble n'ont pas pardonné à Jésus c'est sa prétention à affirmer le « déjà-là », le « parmi vous »  de Dieu dont le signe le plus manifeste (et manifesté !) n'est pas l'appartenance à la Loi et le respect scrupuleux  de sa casuistique et de ses rites, mais, pour le dire rapidement et simplement, la possibilité offerte à quiconque, d'où qu'il vienne, de pouvoir dire et surtout redire à Dieu « papa ». Telle est l'essence même de La Loi, telle est théologiquement la Bonne Nouvelle qui accomplit le dépassement de la Loi et réalise théologiquement le Royaume de Dieu. Telle est enfin le « sacrement » de l'Église, signe et instrument à la fois dont elle ne saurait être que le témoin sans frontières. En somme le Royaume n'est limité ni par un quelconque spiritualisme (à l'intérieur du « cœur » de chacun), ni circonscrit à l'intérieur d'une tradition religieuse particulière, ni appartenant à telle ou telle forme d'existence ou d'incroyance.

On voit bien comment les paroles de Jésus définissant le Royaume de Dieu et révélant la Bonne Nouvelle de ce Royaume dépassaient le seul moralisme des conduites bien humaines de l'hypocrisie et de la vanité. Jamais il n'était aussi dur avec les croyants de son milieu que lorsque ceux-ci, au nom de leur casuistique légaliste et morale, au nom de leur étroitesse de chapelle, fixait un individu à une prescription et Dieu à une tradition religieuse, ce qui fait beaucoup d'exclus et très peu de religion. Fin de l'Histoire, début du péché : « Si vous étiez aveugle, vous n'auriez pas de péché, mais vous dites : « nous voyons » ! Votre péché demeure ». Ceci implique une première conversion, un retournement qui est un mouvement de décentration, et non de dilution, ce qui ne va pas de soi : Jésus fut scandale pour les juifs parce qu'il ébranlait le fondement même de la religion en la soustrayant de l'éthique et de ses thuriféraires pour la rapporter aux pécheurs et aux paumés, non aux justes. Il fut aussi folie pour les païens (1e lettre aux Corinthiens 1,23) parce qu'une religion basée sur la rémission au service du Royaume plus ample qu'elle même, et non plus au service d'un règne humain, ou bien un Dieu, humble nourriture des hommes et serviteur crucifié pour la rémission de tous, ça fait désordre dans l'égocentrisme élitiste et la puissance narcissique, individuelle et communautaire. Mais ce n'est pas tout. Une seconde conversion attend ceux du dedans : le Royaume de Dieu ainsi conçu implique que nul n'en a le monopole et donc sa réalisation ne repose pas que sur les seuls chrétiens, d'une part. C'est évident. D'autres part, la mission, la construction du Royaume, est horizontale : elle traverse les cultures, les religions, les sociétés. Cette transversalité est sa condition d'existence même, laquelle exclut a priori un consensus illusoire de ces catégories, notamment sur ce qui au religieux, les fondent historiquement. On ne peut demander à des milliards d'individus d'adhérer au Christ de l'Histoire, pas plus que de se reconnaitre dans le Prophète ou le Bouddha. C'est s'exposer à une dialectique élémentaire qui consiste à s'opposer pour se poser, de faire de l'anti en somme, à l'image du fils prodigue, sans rien lâcher au passage de la rente, ou « héritage » du père. C'est exactement ce que fit le christianisme antique. Tout en éliminant au demeurant d'autres oppositions. On connait, hélas, ce que les manuels déroulent aux chapitres « persécutions », « guerres des religions », et autres histoires, que l'Évangile, en plus pragmatique, montre tout simplement dans la crucifixion. Elle exclut aussi un autre type de consensus non moins illusoire et tout aussi invalidant du Royaume de Dieu, le consensus par mimétisme. Tout en ayant une religion différente, on se pose sans s'opposer puisqu'on partage les mêmes valeurs, de fraternité, de charité, de paix, etc. En somme, on est du même bord prédicatif. Le champ lexicologique, souvent humaniste, le signifiant tant à la mode des uns et des autres, y tient lieu et place de réalité. Quant à la réalité vraie... C'est exactement la démarche conservatrice de l'aîné de la parabole de l'enfant prodigue ou celle du jeune homme riche qui pratiquait la Loi depuis sa jeunesse. Jésus ne conteste pas ce consensus, pas plus que le père de l'enfant prodigue ne conteste la fidélité de l'aîné. Mais voilà : le dépassement n'y est pas dans tous les cas puisqu'il y a absence de dépassement. C'est pourquoi, dans sa réponse au jeune homme riche, il le convoque non plus sur le terrain du lexique et du signifiant, mais sur celui de sa formalisation, du signifié : « Une seule chose te manque ; va vends tout ce que tu as, donne le aux pauvres puis vient, suis moi ». Jésus ne s'opposait pas à la loi en soi, pas plus qu'à ceux qui la pratiquaient d'un cœur sincère, autant que faire se peut. Mais dans un premier mouvement, il la rapporte d'abord à sa capacité dynamique à rejoindre la subjectivité humaine, plus précisément à sa responsabilité dans la prise en charge des contradictions humaines et sociales  qu'elle rencontre, d'où qu'elles viennent, à commencer par les contradictions dont elle est elle-même productrice. En somme, il renvoyait toujours ses adversaires à la confrontation entre les valeurs qu'ils professaient et les réalités psychosociales qu'elles défendaient. Ce qui les obligeait évidemment à l'autocritique permanente de la relation qu'entretenaient leurs valeurs religieuses et éthiques mises en avant avec les réalités humaines concrètes et les intérêts que ces valeurs organisaient dans les rapports sociaux. Et là, les contradictions étaient flagrantes. D'où les reproches d'hypocrisie du type : « Malheur à vous les pharisiens qui aimez les premiers sièges dans les synagogues et les salutations sur les places publiques... Malheur à vous qui dévorez les biens des veuves et affectez de faire de longues prières », etc. Mais c'est également dans la détermination des rapports psychologiques issus de la Loi qu'il convoque les religieux à l'autocritique : si les pauvres et les pécheurs ont la préférence de Jésus c'est non seulement parce qu'ils sont démunis mais également parce que la Loi les condamnaient aussi sûrement que leur conscience coupable (et les anthropologues nous disent que la conscience coupable résulte de l'intégration de la loi). Si un homme comme Zachée, un riche, est jugé digne d'accueillir le Seigneur dans sa maison c'est parce que la Loi classait les publicains parmi les impurs. D'où les reproches, très graves, de fabriquer le désespoir psychologique et l'incrédulité, qui du reste, faisait l'affaire des « pieux » : « malheur à vous les légistes parce que vous chargez les gens de fardeaux impossibles à porter et vous-même ne touchez pas à ces fardeaux d'un seul de vos doigts ...malheur à vous scribes et pharisiens qui fermez aux hommes le Royaume des Cieux quand vous-mêmes n'y êtes pas rentré... ». Au final, ces contradictions opérées par les religieux barraient l'accès et à l'homme comme personne en société et à Dieu comme Esprit à l'œuvre dans l'histoire des hommes. Le tout, au nom de Dieu et de sa Loi. Le péché irrémissible, qui ne sera pas pardonné, est là. Et de ça on en crève, ce que Paul, l'ancien pharisien, avait parfaitement compris. (Romains 8 entre autres). Mais Jésus ne s'arrête pas à ce premier mouvement critique de mise en demeure des contradictions. Dans un second mouvement, et au nom de Dieu, comme ces contemporains prosélytes, il fait de la loi du cœur l'essentielle loi de Dieu et le principe même de la construction du Royaume de Dieu. Cette loi du cœur, Jésus l'inscrit dans la subjectivité humaine, très exactement dans les contradictions mêmes, morales et sociales, que la Loi avait générées, pour l'en émanciper, non comme par le haut, avec des valeurs venues d'en haut, toujours susceptibles de cautionner biens des intérêts particuliers, mais à partir des aspirations de bases de ceux qu'il rencontrait : aspiration à manger à sa faim, à la liberté, à la guérison, à la dignité, à l'interrelationalité, à la transcendance, à la reconnaissance et à la connaissance. À la vie que veut le vivant enfin. Bref, cette loi du cœur, il en fait une initiative et, partant, une praxis, le service du serviteur, la mission du disciple. Ainsi, la Loi est accomplie, en ce que d'impératif divin elle fait synthèse définitive, le sens de l'humain, elle devient Bonne Nouvelle du Royaume déjà là et à construire. Au même temps, en lieu et place de la casuistique et de la méritocratie, cette praxis est le seul critère de  discrimination entre l'ivraie et le bon grain de l'actualisation du Royaume de Dieu. D'où la radicalité, l'urgence, le conflit qui apparait à chaque page de l'Évangile : « si ton œil est pour toi occasion de péché arrache-le : mieux vaut pour toi entrer borgne dans le Royaume que d'être jeté avec tes deux yeux dans la géhenne ». Ce Royaume, comme tout royaume, a une constitution, ce que les bibles nomment les Béatitudes. Celles-ci ne retranscrivent pas d'abord des valeurs antithétiques, aux bons soins des idéologies, religieuses ou profanes. Sinon elles ne diraient pas l'accomplissement du Royaume de Dieu car la pauvreté, pas plus que l'injustice et la persécution n'ont jamais réjouis ni accompli personne, croyant ou incroyant. Mais l'annonce - celle qui a précisément scandalisé et cristallisé le conflit avec les religieux - que les pauvres, les publicains, les pécheurs, les persécutés pour la justice sont les priorités du Royaume, non comme signifiants encore une fois mais comme signifiés de l'amour de Dieu au point qu'ils y en précèderont les « justes », cette annonce amorce un renversement des valeurs dans la construction du présent, renversement qui inaugure, comme sa source même, et le Royaume de Dieu et la mission des disciples. C'est cette bonne nouvelle là qui peut devenir la Bonne Nouvelle pour tout le monde, croyant ou incroyant, du levant au couchant et du nord au sud. Encore faut-il en faire un scandale et une folie dit l'Évangile, une dialectique diront les philosophes. Aussi, je comprends que ces Béatitudes ne pouvaient s'énoncer qu'à partir d'un seul mot, non l'expression d'un bonheur béat du futur, mais l'expression de l'enthousiasme d'un nouveau courage, d'une conversion : Heureux !

Angelo Gianfrancesco

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