Un simple accident – Film palme d’or 2025 de Jafar Panahi

Publié le par Garrigues et Sentiers

Un simple accident – Film palme d’or 2025 de Jafar Panahi

Pour suivre l’actualité iranienne, rien de mieux à mon avis que le cinéma iranien car ce sont ses réalisateurs, comme Jafar Panahi, qui nous donnent le pouls de la société, en nous donnant à voir les moments spirituels qu’elle traverse.

« Un simple accident » nous livre le questionnement qui hante cette société : comment la vie commune sera-t-elle possible entre bourreaux et victimes ? Après un régime autoritaire qui depuis les années Khomeini a fait tant de morts, tant de victimes, comment vivre ensemble ? Combien de femmes ont payé le prix de leur engagement dans le mouvement d’émancipation contre le port du voile, par la mort, l’emprisonnement, le viol ? (1)

Dans ce film la question du régime n’est pas posée, le thème du drame tourne sur des personnes qui ont survécu à des séances de torture et se voient confrontées à leur bourreau. Un premier constat : il y a ceux qui peuvent tuer et ceux et celles qui ont intégré l’interdit du meurtre mais le traumatisme est bien présent et nourrit des sentiments de haine et de vengeance.

Le héros, Vahid, veut tuer son bourreau mais se pose la question : est-ce bien lui ? La question éthique arrête le bras vengeur, pour tuer il faut s’assurer de l’identité de la personne à tuer et cette question féconde une dynamique relationnelle qui entraîne d’autres victimes dans cette confrontation, et elle développe, à leur insu, une vie commune chargée d’émotions, de sentiments, où le quotidien est tout autant tissé par le tragique du passé que par l’imprévisible du présent. L’ouverture sur d’autres protagonistes, l’épouse, l’enfant du bourreau, ajoute au questionnement : la conjointe, l’enfant en quoi sont-ils concernés ?  

Les femmes victimes crèvent l’écran par leur force de caractère, leur désir de résilience, si elles sont habitées par leurs souffrances il faut vivre, aller de l’avant et leurs relations aux hommes témoignent d’une autonomie et d’une indépendance en rupture avec la tradition islamique. L’une d’elle défend sa décision morale : « Nous ne pouvons pas nous conduire comme eux » !

Vahid livre le récit d’une grève que le régime des Mollah a brisée par la répression, s’il n’est pas mort notre héros en garde des séquelles douloureuses dans son squelette mais surtout dans sa mémoire, livré plusieurs semaines au bourreau, dans un espace sans lumières il a intégré le bruit des pas de son tortionnaire qui annonçait la séance de torture et ce bruit ne le quitte plus. La problématique du traumatisme et de ses conséquences psychologiques ne peut trouver de solution que par la résilience individuelle, aidée ou pas par un thérapeute, mais qu’en est-il du questionnement spirituel collectif ? Le film ne nous le dit pas, mais si nous nous référons à d’autres situations politiques analogues nous pouvons affirmer que sans justice sociale, sans un gouvernement qui se donne comme objectif cette réparation sociale collective, la société iranienne continuera à charrier ses haines et ses ressentiments (2).

Aussi le film se termine sur un constat ambigu : si la conduite de Vahid témoigne de son humanité, lui continue, continuera d’entendre le grincement de la prothèse du membre inférieur du bourreau (victime lui aussi de combats en Syrie), associé à ses pas, elle provoquait sa terreur par l’annonce d’une traversée de souffrances et d’humiliations, quand livré à la jouissance d’un démon il devenait sa « chose ». L’expérience reste inscrite dans sa chair.

Christiane Giraud Barra

(1) La révolte contre le port du voile a abouti à l’arrêt de la répression, tout au moins dans les milieux urbains, et cette révolution culturelle acquise permet d’anticiper la chute du régime des Mollah.

(2) L’Afrique du Sud reste pour le moment l’exemple unique et remarquable, à la fin de l’Apartheid, avec sa Commission de réconciliation nationale présidée par Nelson Mandela et Desmond Tutu.

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D
La fin reste ouverte. Le bourreau revient il pour se reconcilier? Ou pour se venger? Votre avis? Dans le contexte de haine, je pense qu il veut se venger de yahid, qui lui a pourtant laissé la vie sauve.<br /> Question : faur il tuer les bourreaux?
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G
C'est une question très importante, il me semble qu'elle se pose à la société et non pas à la personne, par exemple elle se pose à la société syrienne dont une partie de la population a été martyrisée par les sbires du régime de Bachar El Assad. Je salue le chef actuel de la Syrie qui réclame à Poutine le dictateur, c'est une vraie démarche de justice. Pour le moment Poutine refuse mais déjà le fait de l'avoir demandé s'inscrit dans une démarche de reconnaissance des victimes. Au contraire les massacres du clan des Alaouites s'inscrit dans une logique infernale celle de la guerre civile. Ceci dit vous avez peut-être raison la peine de mort délivrée par des tribunaux peut-être une réponse provisoire ?