Sur l’avenir du christianisme : la quatrième hypothèse (Maurice Bellet)

Publié le par Garrigues et Sentiers

Le Christianisme a-t-il un avenir ? C’est le thème développé par Maurice Bellet dans un ouvrage intitulé La quatrième hypothèse. Sur l’avenir du Christianisme (1). Maurice Bellet, prêtre, théologien, philosophe et psychothérapeute a poursuivi une voie très originale dans l’univers chrétien. Livre après livre, il a tracé des chemins neufs bien loin des débats éculés dans lesquels végète trop souvent le catholicisme contemporain.

C’est à une expérience de l’aurore, du saisissement de tout l’être par une « bonne nouvelle » qui arrache à la tristesse et à la mort qu’il nous convie. Si le mot Évangile a un sens, ce ne peut être que celui d’un événement nouveau, inattendu, radicalement “bon” et non quelque chose d’ennuyeux et de rabâché. Certaines formes d’éducation religieuse peuvent être le pire obstacle à ce qu’il y ait “bonne nouvelle”, en contribuant à éviter à chacun de faire l’expérience personnelle d’une parole neuve. Bellet écrit : « L’Évangile est par nature l’inouï, le pas encore entendu. C’est de tout temps. Toutefois, le nôtre, donne une vigueur particulière à cet in-ouï. Il y a désinstallation par rapport à un christianisme établi ; confrontation avec un post-christianisme ; relation avec l’extrême étranger (…) La force de l’Évangile, c’est d’annoncer que le chemin de chacun est son chemin, parce que c’est à lui que la parole est adressée, cette parole qui délie de l’installation et emporte aux lointains : « Tu ne sais où elle va » (2).

Les religions sont les langues maternelles du sens de l’existence. Elles ne sont pas des assurances automatiques. À ceux qui se réclamaient auprès de lui de la filiation abrahamique, le Christ répond : "des pierres que voici, Dieu peut faire des fils d'Abraham". Nul héritage religieux, aucune éducation, aucun hasard de naissance ne saurait dispenser d’une conversion. Le Christ est moins le fondateur d'une nouvelle religion que celui qui nous invite à interroger radicalement toutes nos religions de naissance dans une aventure personnelle. À ceux qui veulent l'enfermer dans la descendance abrahamique, il répond : "Avant qu'Abraham fut, je suis" . Tout homme doit un jour prononcer, à sa façon, cette phrase par laquelle il ne se réduit pas à son histoire et à sa géographie pour reconnaître le don de la filiation divine et de la fraternité universelle.

Il n’y a pas d’accès à l’essentiel sans l’expérience d’Abraham : quitter ce que l’on connaît, pour aller vers ce qu’on ne connaît pas. De ce point de vue, Maurice Bellet montre que le rapport critique vécu par les premiers chrétiens avec l’institution religieuse de l’époque est constitutif de la démarche évangélique. Pour celui qui fait l’expérience neuve de la Parole, le christianisme institué peut apparaître dit Maurice Bellet, comme « l’analogue de que fut le judaïsme établi au temps des premiers chrétiens » (3).

Il envisage plusieurs hypothèses pour l’avenir du christianisme :

1- Le christianisme disparaît, et avec lui le Christ de la foi. L’évènement annoncé par la critique des 18e et 19e siècle s’accomplit. Il ne reste plus que des œuvres d’art et des travaux d’historiens.

2 – La dissolution du Christianisme. Il n’est pas à proprement détruit, mais ce qu’il a pu apporter à l’humanité devient le bien commun et lui échappe. Le Christianisme se dissout dans les droits de l’homme et un spirituel indifférencié.

3 – Le christianisme continue comme avant On conserve, on restaure, on rétablit. On continue des querelles internes qui ont pour objet essentiel l’institution et son contrôle.

4 – Bellet choisit une quatrième hypothèse. Oui, il y a quelque chose qui finit, inexorablement. C’est un certain système religieux historique. C’est dit Bellet, « une fin du Christianisme, s’il s’agit d’un des ces ismes qui caractérisent la modernité : idéalisme, marxisme, matérialisme, existentialisme etc... » Mais cette fin d’un système historique ouvre à la possibilité d’un éveil de résurrection : « Un homme est venu parmi nous, un parmi tous les autres, et il lui fut donné de traverser l’impossible, de transgresser l’évidence – l’évidence de la mort. Aussi est-il descendu jusqu’en l’en-bas de l’en-bas, jusqu’à perdre Dieu – mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as tu abandonné ? Il est mort, nous l’avons tué. Quelques-uns affirment qu’il est vivant. C’est l’affirmation inouïe d’une humanité qui ose préférer la vie à la mort. (…) Comment connaîtrai-je ce Christ de façon vive et concrète ? Où sinon dans cette agapè, cet amour entre frères dont l’apôtre Jean ose dire que quiconque aime ainsi est né de Dieu et connaît Dieu ? Aussi bien, Paul déclare-t-il dans la première épître aux Corinthiens (chap.13) que tout passera, y compris la foi, seule demeure agapè pour l’éternité. Et c’est pourquoi la vie éternelle est déjà aujourd’hui, dans cette résurrection où nous sommes passés du goût du meurtre au don de la vie » (4).

Au terme de son ouvrage, Maurice Bellet nous indique un chemin : « Ainsi va-t-on selon ce que l’ai appelé la quatrième hypothèse. C’est sans jugement sur le chemin que d’autres peuvent suivre. La grande Église est l’antisecte : il y a diversité de chemins, de styles, de pensées. Quant’ aux maîtres… « N’appelez personne père ou maître ». Il n’est Église que de frères s’aimant et s’aidant les uns les autres (…) » (5).

L’œuvre de Maurice Bellet est salutaire pour nous rappeler que toute institution religieuse n’a de sens que d’inviter au risque de cette seconde naissance dont le Christ entretenait Nicodème (Jn 3, 1-12).

Bernard Ginisty

  1. Maurice BELLET (1923-2018) : La quatrième hypothèse. Sur l’avenir du christianisme, éditions Desclée de Brouwer, 2010.
  2. Id. pages 30-31.
  3. Id. page 21.
  4. Id. pages 119-120. C’est le thème de l’ouvrage d’Emmanuel TOURPE : À l’amour que vous aurez les uns pour les autres… Le dernier mot de Dieu, éditions Artège 2024 qui a reçu le grand prix catholique de littérature 2025 décerné par l’association des écrivains catholiques de langue française. 
  5. Id. pages 108-109.

Publié dans Réflexions en chemin

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H
Samedi 16/08 soir sur Arte, j'ai regardé le documentaire intitulé "L'Arche d'Alliance aux origines de la Bible".<br /> (Il s'agit ici de l'Ancien Testament, ou Bible Hébraïque).<br /> <br /> Ce documentaire réalisé par des archéologues de divers pays, sous la direction de l'archéologue Israël Finkelstein, présente les découvertes archéologiques sur le périple de l'Arche d'Alliance, et son impact sur les origines de la Bible au 8ème siècle avant Jésus Christ.<br /> <br /> J'avais déjà lu un livre de Finkelstein (il y a 8 ou 10 ans) sur ses recherches pour confirmer ou infirmer la narration historique de la Bible. Je savais déjà le rôle du roi de Judée, Josias, qui a ordonné une mise par écrit des récits oraux de la Bible avec un objectif politico-religieux.<br /> <br /> Dans ce documentaire, on découvre les dernières technologies mises en oeuvre pour déchifrer les manuscrits de la Mer Morte, en relation avec les fouilles en Judée et en Samarie. Le résultat est assez bluffant (en tout cas pour moi) Je savais déjà qu'au début de ce 8ème siècle, les Hébreux étaient divisés en deux royaumes Israël au nord (avec Samarie pour capitale) et Juda au sud avec Jérusalem.<br /> <br /> Ces recherches confirment que Israël et la Samarie étaient bien plus riches et puissantes que Juda. Et que leur roi, Jéroboam, avait abrité à Samarie la célèbre Arche d'Alliance avant Jérusalem, et que Jéroboam avait commencé à faire mettre par écrit les récits oraux pour entamer l'écriture de la Bible. Or peu après, le royaume d'Israël a été envahi par les Assyriens et Samarie détruite. L'arche a été sauvée et transportée par étapes en un périple de plusieurs années. Selon les archéologues, elle aurait été conservée dans une sorte de temple sur un oppidum découvert récemment à une trentaine de kilomètres au sud-est de Jérusalem, pendant plusieurs décénnies. Par la suite, le roi de Judée Josias (dont la capitale Jérusalem s'était très aggrandie avec l'arrivée de nombreux Samaritains) a récupéré l'Arche et a eu l'idée de recommencer l'écriture de la Bible en effaçant la version de Jéroboam et le rôle de Samarie, pour faire écrire par ses scribes une version qui magnifie le rôle de Jérusalem, afin de promouvoir Jérusalem comme capitale et rassembler les tribus hébraïques sous son autorité.<br /> <br /> Ce documentaire donne un nouvel éclairage sur les origines de l'écriture de la Bible, qui a été enrichie au cours des siècles suivants. (Et pose la question de la confiance en la partie "historique" de cette saga des Hébreux au cours des siècles avant J.C.)<br /> <br /> Si vous n'étiez pas déjà informés sur ces découvertes, je vous conseille amicalement de le revoir en replay sur Arte (disponible pendant plusieurs semaines) : c'est vraiment passionnant.<br /> <br /> Fraternellement. Henri
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S
MERCI pour tous vos articles qui me font réflechir et m'inspirent...<br /> Une question cependant: Lorsque de nouvelles idées fusent (Galilée, l'évolution darwinienne..) n'ont-elles pas eu des prémisses?<br /> Les idées humanistes de jésus n'ont-elles pas eu des prémisses dans cette société israélienne d'alors, imbue d'elle-même , rigide?<br /> Carl Yung disait qu'avant d'aller voir ailleurs, il fallait approfondir sa propre religion, certes, mais c'est à la lumière de l'archéologie, et de l'examen, même superficiel (la bible pour les nuls, le coran pour les nuls...) que l'on prend de la distance envers tout!<br /> Les enfants d'après 68 ont tout rejeté, maintenant, ils doivent tout réapprendre...Et pourquoi pas leur faire confiance? Déjà les évangéliques réécrivent les évangiles à coup de pubs et de slogans, comme les beatles, mais en moins honnêtes....<br /> Le capitalisme a tout investi, même la fratenité!
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L
Un article véritablement lumineux. Au point de nous donner à penser que cette "Quatrième hypothèse" participe déjà du Fiat Lux dont la promesse est gravée sur le mur de la Réforme à Genève. Comment ne pas garder en méditation ces énoncés spirituels bouleversants que sont : <br /> - "Il est mort, nous l’avons tué. Quelques-uns affirment qu’il est vivant. C’est l’affirmation inouïe d’une humanité qui ose préférer la vie à la mort",<br /> - "ou Comment connaîtrai-je ce Christ (...) sinon dans cette agapè, cet amour entre frères dont l’apôtre Jean ose dire que quiconque aime ainsi est né de Dieu et connaît Dieu ?",<br /> - "Aussi bien, Paul déclare-t-il dans la première épître aux Corinthiens (chap.13) que tout passera, y compris la foi, seule demeure agapè pour l’éternité",. <br /> Notre conscience veille aussi à garder une place privilégiée à cette mise en garde qui est d'abord une mise en réconfort :. "La grande Église est l’antisecte : il y a diversité de chemins, de styles, de pensées. Quant’ aux maîtres… « N’appelez personne père ou maître ». Il n’est Église que de frères s’aimant et s’aidant les uns les autres (…) ». Et à ce balisage irremplaçable du cheminement de la conscience :: " Il n’y a pas d’accès à l’essentiel sans l’expérience d’Abraham : quitter ce que l’on connaît, pour aller vers ce qu’on ne connaît pas". Pour nous, le cheminement de la liberté qui invoque l'Esprit.
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