Les Églises chrétiennes confrontées aux récupérations nationalistes

Publié le par Garrigues et Sentiers

Le 26 mars dernier, un collectif de théologiens et d’enseignants-chercheurs de l’Institut catholique de Paris publiait une tribune dans le journal Le Monde, intitulée, « Les présidents américain et russe peuvent bien brandir la Bible, ils ne sont pas des serviteurs du christianisme ».

Les deux présidents à la tête de deux des plus grandes puissances mondiales se posent, chacun à leur façon, en « défenseurs  » du christianisme. « Arguant de cette attitude, ils se vantent paradoxalement de la pire brutalité dans les rapports entre États (et avec les oppositions nationales) et ils font la promotion décomplexée de la loi du plus fort. Dans le même temps, les mêmes réclament un christianisme identitaire, pour régler l’espace privé. C’est là l’occasion – et ce gain non négligeable est marqué de la pire des mesquineries – de donner au détenteur du pouvoir une légitimité trouble qui sollicite la dimension du divin afin d’apparaître comme l’homme providentiel inscrit par principe dans un registre d’exception par rapport au fonctionnement habituels des institutions ». Cette séparation entre un christianisme domestique et un darwinisme politique est contraire à l’Évangile.

Les signataires de cette tribune tiennent à dire qu’il « serait imprudent de penser que les considérations présentes ne concerneraient ni l’Europe, ni la France. Des acteurs politiques, culturels et économiques de premier plan œuvrent ouvertement, sur notre continent et dans notre pays, à l’importation du culte de l’homme fort. Certaines personnalités vont jusqu’à revendiquer leur foi chrétienne pour justifier d’inscrire dans la Constitution le principe d’une priorité nationale qui légitimerait, de fait, une xénophobie d’État » (1)

Dans un article intitulé : « Donald Trump façonne un nouveau culte mystérieux : une droite nationaliste qui sacralise l’Amérique, pas Dieu », la journaliste Alice Belkacem écrit : « Donald Trump est en train de jeter les bases d’une nouvelle « droite religieuse » centrée non pas sur la théologie, mais sur l’Amérique. Sa commission pour la liberté religieuse cristallise une vision dans laquelle l’Église se plie à la volonté du nationalisme MAGA (Make America Great Again). (…) Un renversement de paradigme qui repose tout entier sur le nationalisme américain, cette croyance que le projet des États-Unis est un exercice de liberté et de prospérité comme le monde n’en a jamais connu. Un modèle qui rappelle davantage la soumission de l’Église orthodoxe russe au Kremlin que les régimes religieux traditionnels » (2).

À ces dangereux dévots de la « théologie de la prospérité » américaine ou de l’impérialisme de « la sainte Russie », peut-être faudrait-il rappeler que l’élément fondateur du christianisme est la mort et la résurrection de Jésus-Christ. Et cette mort découle de la sainte alliance du Grand-Prêtre Caïphe, du roitelet local Hérode et de Pilate représentant de l’empire romain. C’est ce qu’explique avec beaucoup de justesse le philosophe et théologien Michel de Certeau :

« La foi chrétienne est expérience de fragilité, moyen de devenir l’hôte d’un autre qui inquiète et qui fait vivre. Cette expérience n’est pas nouvelle. Depuis de siècles, des mystiques la vivent et la disent. Aujourd’hui voici qu’elle se fait collective, comme si le corps tout entier des Églises, et non plus quelques individus individuellement blessés par l’expérience mystique, devrait vivre ce que le Christianisme a toujours annoncé : Jésus-Christ est mort. Cette mort n’est plus seulement l’objet du message concernant Jésus, mais l’expérience des messagers. Les Églises, et non plus seulement le Jésus dont elles parlent, semblent appelées à cette mort par la loi de l’histoire. Il s’agit d’accepter d’être faible, d’abandonner les masques dérisoires et hypocrites d’une puissance ecclésiale qui n’est plus, de renoncer à la satisfaction et à « la tentation de faire du bien ». Le problème n’est pas de savoir s’il sera possible de restaurer l’entreprise « Église », selon les règles de restauration et d’assainissement de toutes les entreprises. La seule question qui vaille et celle-ci : se trouvera-t-il des chrétiens pour vouloir rechercher ces ouvertures priantes, errantes, admiratrices ? S’il est des hommes qui veuillent encore entrer dans cette expérience de foi, qui y reconnaissent leur nécessaire, il leur reviendra d’accorder leur Église à leur foi, d’y chercher non pas des modèles sociaux, politiques ou éthiques, mais des expériences croyantes – et leurs communications réciproques, faute de quoi il n’y aurait plus de communautés et donc plus d’itinérances chrétiennes » (3).

Alors les Églises chrétiennes risqueraient de pâtir d’une maladie endogène que dénoncent les signataires de la tribune pré-citée : « Nous sommes surtout les tristes témoins d’une maladie endogène, d’un conflit qui dresse l’Occident contre lui-même, dans lequel les institutions chrétiennes n’ont pas pu ou n’ont pas voulu être un frein, voire se sont laissées complaisamment utiliser ».

Bernard Ginisty

  1. Journal Le Monde du 26 mars 2025, page 28. Parmi les signataires Emmanuel PETIT, recteur de l’Institut Catholique de Paris, Anne-Sophie VIVIER-MURESAN, doyenne de la faculté de théologie et sciences religieuses.
  2. https://www.slate.fr › source › alice-belkacem ›
  3. Michel de CERTEAU (1925-1986) :La faiblesse de croire, éditions du Seuil, 1987, page 313.

Publié dans Réflexions en chemin

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L
« … tristes témoins d’une maladie endogène, d’un conflit qui dresse l’Occident contre lui-même, dans lequel les institutions chrétiennes n’ont pas pu ou n’ont pas voulu être un frein, voire se sont laissées complaisamment utiliser » : analyse et diagnostics hélas des plus accordés à la réalité. Et en même temps l’attestation d’un désolant retour à un très long passé dont on avait cru que le dernier Concile tournait la page – celle où s’inscrivait le mot autorité, décliné dans toutes les négations de la liberté des disciples engagés au service du bien. <br /> Avec cette interrogation qui est venue auparavant dans la lecture de l’article : « La seule question qui vaille et celle-ci : se trouvera-t-il des chrétiens pour vouloir rechercher ces ouvertures priantes, errantes, admiratrices ? S’il est des hommes qui veuillent encore entrer dans cette expérience de foi (…) il leur reviendra d’accorder leur Église à leur foi (…). En hésitant sur les significations qu’appelle la résolution « d’accorder (son) Église à (sa) foi » : s’agit-il de faire ‘’bouger’’ l’institution romaine, ce que tout peut donner maintenant à tenir pour irréalisable, pour ne pas dire qu’on a affaire à un impensable, ou d’édifier son église dans le plus intérieur de son libre examen – sans pour autant cesser de communier avec les intelligences et les compassions qui se réunissent sur l’appel aux élargissements de la fraternité. <br /> Elargissement qui s’inscrit bien entendu dans l’histoire humaine. Et, partant, qui requiert la lucidité la plus alerte quant au temps que nous vivons. L’article dresse, exemples les plus menaçants à l’appui, l’état d’une désolation conquérante qui semble ne plus rencontrer de résistance. Pire : « Des acteurs politiques, culturels et économiques de premier plan œuvrent ouvertement, sur notre continent et dans notre pays, à l’importation du culte de l’homme fort. Certaines personnalités vont jusqu’à revendiquer leur foi chrétienne pour justifier d’inscrire dans la Constitution le principe d’une priorité nationale qui légitimerait, de fait, une xénophobie d’État ». Face à la pluralité des composantes de cette désolation, et déjà pour notre pays, le premier acte de refus et de résistance ne consiste-t-il pas à nommer les voix de la haine, de la xénophobie et de la propagation fanatisée des arriérations ? Qu’elles soient si nombreuses, et jusque dans des partis qui se prétendent encore ‘’républicains’’, ne doit pas décourager de dénoncer et de contredire.
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