Trois femmes vers leur liberté

Publié le par Garrigues et Sentiers

Dans son article "L'hémorroisse, Jaïre et sa fille : ressuscités!", René Guyon avait décrit le décès de la petite fille de Jaïre d'après l'analyse de Françoise Dolto. Je n'ai repris que succinctement cette façon de voir mais je vous engage à lire ou à relire cet article,  ainsi que celui sur "La quatrième tentation du Christ" d'une analyse très riche et très détaillée

G et S

 

Dans l’Évangile de Luc trois femmes vont être sauvées de la mort :

  • la fille de Jaïre, le chef de la synagogue. Il a une fille unique d’environ douze ans,

  • une femme atteinte d’hémorragies, maladie inguérissable à cette époque-là,

  • la femme adultère (texte de l’Évangile de Jean mais pour la Bible de Jérusalem sûrement de Luc) condamnée à être lapidée.

Aucun nom n’est mentionné pour les trois femmes. Seul le nom du père de la fille de douze ans figure : Jaïre.

Jésus compatit souvent à la douleur des parents d’un seul enfant étant sur le point de mourir ou même déjà mort (Voir Luc ch. 7 v. 12 et 13 « On portait en terre un mort, un fils unique dont la mère était veuve… En la voyant le Seigneur eut pitié d’elle » Voir aussi Luc ch. 9 v. 38 «  Un homme de la foule s’écria « Maître, je te prie de jeter les yeux sur mon fils car c’est mon unique enfant »).

Jésus, lui-même enfant unique, connaîtra plus tard la douleur de sa mère en le voyant mourir sur la croix. Est-ce la raison de cette compassion ? À mon avis, c’est plutôt qu’à cette époque-là un seul enfant dans une famille n’est pas vraiment un signe de l’Amour de Dieu. Le « Croissez et multipliez-vous » n’a pas été respecté et, au regard des gens, même si les intéressés n’en sont pas responsables, Dieu rejette un peu ces familles. Jésus, en guérissant ces enfants uniques va démontrer que Dieu donne son Amour à tout le monde dans les mêmes proportions, aux familles nombreuses comme aux familles avec peu ou pas d’enfants.

 

Douze ans est une date charnière. C’est l’âge où l’enfance cède la place à l’adolescence. C’est une réelle transformation de l’être humain. C’est un changement souvent radical. Le chiffre douze est riche aussi de signification, c’est celui des enfants de Jacob, des tribus d’Israël, des apôtres. C’est aussi la durée de la maladie pour l’hémorroïsse.

Mais le plus significatif du chiffre douze, c’est Jésus, à 12 ans, qui surprend, par sa précocité, les docteurs de la loi. Il prouve qu’il est déjà devenu adulte. À l’insu de ses parents, il reste à Jérusalem. Le croyant dans la caravane, ceux-ci le recherchent parmi leurs connaissances puis retournent à Jérusalem où Jésus, dans le Temple, écoute et interroge les docteurs de la loi. À l’angoisse de ses parents il répond qu’il doit être dans la maison de son Père. (Luc ch. 2 v. 41 à 50).

Il découvre déjà sa vocation. Il prend son indépendance vis-à-vis de ses parents Au même âge, il est à l’opposé de la fille de Jaïre.

 

On peut donc penser que 12 ans est un âge décisif, celui où l’on prend conscience de son potentiel et de son devenir ou bien il peut-être aussi celui du refus de l'avenir, du refus du monde réel tel qu’il se présente, du refus d’entrer dans l’âge adulte. On préfère alors demeurer dans le cocon de l’enfance d’autant plus quand ce cocon est peut-être entretenu par des parents comme beaucoup d'autres qui sentent qu'en grandissant leur enfant va leur échapper.

Le père de l’enfant a, cependant, des raisons d’être inquiet. Il ne pensait pas que ça pouvait aller jusque là : D’abord elle se meurt (Luc ch. 8 v. 42) puis on lui dit « Ta fille est morte à présent » (Ch. 8 v. 49). Peu à peu, elle a perdu toute réaction. Elle se laisse dépérir et se trouve dans une espèce de léthargie conduisant inévitablement à la mort. Il n’a plus que le recours de faire appel à Jésus.

Cependant, une femme atteinte d’hémorragies successives est en train, elle aussi, de mourir à petit feu. Dans la foule, elle réussit, en rassemblant ses dernières forces, à tendre la main et à atteindre le bas du manteau de Jésus. À l’instant, elle guérit.

Considérée comme impure, elle sait qu’elle n’a pas droit au geste qu’elle vient d’accomplir. Elle, aussi, est enfermée dans les préjugés de l’époque et dans le cycle infernal des pertes de sang. L’important, c’est qu’elle vient d’accomplir un geste libre vis-à-vis d’une loi trop restrictive prouvant ainsi que la loi doit être faite pour l’être humain et non l’inverse.

Le texte de l'hémorroisse est imbriqué dans celui de la fille de Jaire comme pour signaler que ce sont les même défauts de la nature, deux défauts s'opposant l'un l'autre mais qui conduiront ces deux femmes vers la mort si ce n'est déjà fait pour la fille de Jaire.

 

Jésus, ensuite, laisse entrer Pierre, Jacques et Jean et les parents, pour, à son tour, guérir l’enfant. Le choix des trois mêmes apôtres pour être témoins de la guérison de la fille de Jaire et de la Transfiguration (Luc 9, 28-36), limite le danger pour Jésus d'être pris pour un magicien même s'il leur ordonne de se taire. Ce même choix signifie aussi que ces apôtres vont être témoins d’un signe de résurrection.

Dans la Transfiguration « son vêtement  devint d’une blancheur fulgurante (v. 29) ». C’est ce même vêtement qui vient de guérir l’hémorroïsse seulement par le toucher. Ap 7, 14 "Ce sont ceux qui viennent de la grande épreuve, ils ont lavé leurs robes, ils les ont blanchies dans le sang de l'agneau". Le vêtement fait donc réellement partie de nous-mêmes et il peut être à la fois objet et cause de « résurrection ». C’est encore ce même vêtement qui a été partagé par tirage au sort lors de la crucifixion (Luc ch. 23 v. 34) d’où l’importance du vêtement qui fera l’objet de vénération dans les siècles à venir, vêtements supposés appartenir au Christ. Le vêtement pourrait aussi préfigurer « l'enveloppe » de notre corps non séparé de notre âme signifiant l'incarnation du Fils de Dieu.. 

 C’est encore ce même vêtement qui a été partagé par tirage au sort lors de la crucifixion (Luc ch. 23 v. 34) d’où l’importance du vêtement qui fera l’objet de vénération dans les siècles à venir, vêtements supposés appartenir au Christ. Le vêtement pourrait aussi préfigurer « l'enveloppe » de notre corps non séparé de notre âme signifiant l'incarnation du Fils de Dieu.

 

Jésus dit : "Elle dort" car il a compris que chez cette petite jeune fille il y a un refus inconscient d'assumer son adolescence et son état de future femme dans l'avenir. Et cela se traduit par un refus de nourriture qui l'a conduite à un état semi comateux. L'anorexie (privation volontaire de nourriture) est une maladie connue seulement depuis quelques décennies, maladie peut-être entretenue par les parents sans qu'ils s'en aperçoivent. "Elle dort" car elle refuse de se réveiller

Jésus, lui-même, va alors prendre la main de l’enfant et lui dire « Enfant lève-toi » (Luc ch. 8 v. 54).

Le mot « enfant » est là bien prononcé pour lui signifier qu’il faut qu’elle assume l'avenir ! Nous pourrions lire « Enfant,  grandis ! » à l’impératif. Dans Marc ch. 5 v. 23 Jésus dit « fillette lève-toi »

L’enfant se lève à l’étonnement des parents. Jésus leur ordonnera seulement de lui donner à manger car elle a encore besoin de ses parents qui vont devoir accepter de la voir devenir adolescente puis femme c’est-à-dire suivre le processus inverse de la maladie, aller vers la guérison et la vie.

Il s’agit, ici, non seulement d’une nourriture matérielle mais aussi d’une nourriture psychique. 

Ce sont deux cas différents de guérison l’un biologique accompli par la foi et la volonté de la malade (Ta foi t’a sauvée) l’autre, à la fois biologique et psychique, guéri par l’intervention de Jésus lui-même.

 

Le troisième cas c'est « la femme adultère » qui sera sauvée par l’amour et la parole de Jésus.

Je n’analyserai pas en détails ce récit admirablement étudié par René Guyon dans "La Quatrième tentation du Christ". Je vais revenir, seulement, sur ce qui en fait le but essentiel et qui me paraît être celui de sauver cette femme de la mort.

Pour perdre Jésus, les scribes et les pharisiens lui amènent une femme prise en flagrant délit d’adultère et passible de la lapidation dans la loi de Moïse.
Pour sauver la femme, Jésus va tenter de les faire changer d’avis. Il va dans un premier temps tenter d’attirer l’attention de ces hommes uniquement sur lui.

Ces hommes sont nombreux, debout et « redressés » contre la femme la fixant durement tout en la désignant à Jésus.

Or Jésus, lui, est seul, assis, ne répond pas. Pire, il leur donne à voir une position penchée en avant (il s’est mis à écrire sur la terre avec son doigt sans même utiliser un bout de bois). La terre (le sol) c’est le lieu le plus bas, le plus rude n’offrant aucun appui face à ces scribes qui possèdent du parchemin, de l’encre, des plumes, un pupitre pour écrire comme s’il les invitait tous, scribes et pharisiens aussi, à faire preuve de plus d’humilité, d’esprit de pauvreté et de compassion. De ce fait, il ne regarde personne et paraît complètement indifférent à la scène.

Son attitude humble, priante et silencieuse est alors à l’opposée de celle de ces hommes, une position qui pourrait illustrer les « Béatitudes » (Heureux les pauvres, les non-violents, les artisans de Paix) mais adoptée ainsi pour les faire revenir sur le véritable motif de leur colère. Cela ne tarde pas. Ils insistent. Ils persistent à l’interroger. Ils sont déjà à-demi décentrés de la femme.

Ils focalisent leurs pensées et leurs regards uniquement sur Jésus : « Moïse a prescrit de lapider ces femmes-là. Toi qu’en dis-tu ? » Toi ? Toi ? Jésus devient l’enjeu principal.

Alors, Jésus se « redresse ». Il les domine tous ces hommes et même toutes les autres personnes présentes dans le Temple et il prononce cette fameuse phrase : « Que celui qui est sans péché lui jette le premier, une pierre ». En les poussant ainsi à se tourner vers eux-mêmes, il les invite à la réflexion par un examen de conscience détournant leurs pensées à la fois de la femme et de lui-même (Heureux ceux qui ont faim et soif de Justice).

Et de nouveau, il recrée le silence et l’attitude de prière de pauvreté et d’humilité en se penchant à nouveau vers le sol. Et cela porte très vite ses fruits. Ils repartent.

Jésus se redresse à nouveau.

Ainsi, Jésus a procédé par étapes élaborant un véritable accompagnement spirituel : l’invitation au silence et à l’humilité par une attitude de prière, la parole proclamée, à nouveau le temps de silence pour la réflexion et les fruits de la réflexion.

Et la femme ? Celle-ci a été amenée avec rudesse, honteuse, tremblante, angoissée au milieu de ces hommes qui veulent sa mort. Le milieu étant le point central du cercle, l’enfermement sans issue est ainsi défini à son plus haut niveau. Elle est totalement prisonnière de ce cercle d’hommes.
Une fois les hommes partis, elle reste toujours là, au milieu, psychologiquement enfermée, cette fois-ci, dans son attente anxieuse car elle ignore, à son égard, la décision que Jésus va prendre.

Et Jésus a alors cette parole : « Moi, non plus, je ne te condamne pas ».

Ouf ! Ses angoisses s’envolent brusquement. Elle va vivre. Elle est sauvée !

Et Jésus ajoute : « Va et désormais ne pèche plus »

« Va », un seul mot, deux lettres et la prison s’est ouverte pour elle. Elle n’est plus « au milieu » Elle est libre !

« Va » c’est comme l’envoi après un temps de prière et de réflexion, un envoi adressé à tous, même à ces hommes repartis invités à dépasser la loi de Moïse et à la traduire en loi d’amour.

« Va », va ton chemin, va et si tu peux, essaie de ne plus pécher, car, là aussi, tu étais « au milieu » de ton péché car tu étais triplement enfermée. Je t’ai délivrée des hommes et de ta peur mais la vraie liberté c’est de rester en accord avec toi-même et là, toi seule peut le faire. Telles sont les paroles que Jésus aurait pu ajouter.

« Va » ou « lève-toi » c’est pareil. Ces trois femmes ont été remises debout et à nouveau en marche.

Nous connaissons bien ces mots à l’adresse du paralytique : « Lève-toi et marche ». Ces trois femmes n’étaient-elles pas toutes trois paralysées dans leur souffrance ?

Pour ces trois prisonnières d’un mal, il y a eu trois guérisons différentes et trois façons de guérir.

Mais c’est comme si Jésus avait demandé à chacune d’elles « Où est ta liberté ? »

Là aussi la réponse aurait été différente : dans les franges du manteau (la foi), accepter de grandir (d’être), ne plus pécher (être réconciliée avec soi).

Trois façons, pour elles, d’être libérées pour pouvoir suivre librement Jésus.

On ne raconte pas la suite pour ces personnes. Ont-elles suivi Jésus ? Jésus ne le leur a pas demandé. Mais il les a rétablies dans leur vérité et leur a offert un nouveau départ dans la vie. Avec ces mots « Lève-toi et va », ce sont toutes les promesses d’un avenir heureux qui s’ouvre devant elles, un avenir où ce passé étouffant n’aura plus jamais sa place. Et cela, elles le gardent en elles.

« Va, lève-toi » ne les entendons-nous pas, nous aussi, ces mots-là ? « Va » ! Et nous voilà, après l’épreuve, à nouveau debout, en marche, libérés du poids de la maladie, de la lourdeur du passé, des moments de doute ou d’angoisse.

« Va » ! Et devant nous s’ouvre inévitablement « le chemin » un chemin soudain élargi en « Vérité et Vie »

 

Christiane Guès

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D
J'ajoute que je voudrais rendre hommage encore une fois, à "notre" rené guyon, qui nous a tant appris à lire les Evangiles!<br /> merci, on n'est jamais rassasié de relire tes articles!
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D
J'apprécie beaucoup l'article de Mme Gués. Le commentaire de D.Lévy me touche aussi beaucoup: même si l'on peut ne pas avoir subi des maltraitances dans les pensionnats catholiques, il n'en reste pas moins un déficit d'amour familial qui marquera la vie de l'individu "abandonné". Car ce qui est décrit, meêm s'il est encore plus impardonnable dans les instituts cathos, est pérsent dans toutes les institutions de mise au pas ( pour ne pas dire de redressement)<br /> mais ce qui me choque dans la réponse de Mme Guès, c'est les 2 mots accouplés "maltraitance éducative". Aucune maltraitance ne peut être éducative: ne faut-il pas plutôt un surplus d'explication, de dialogue sans cesse repris, avec une climat d'affection, pour ne pas dire "d'amour" qui témoigne de l'enseignement du Christ?<br /> combien de personnes passés par les écoles cathos, a fortiori les pensionnats, qui ont été , comme D .Lévy écœurés par l'attitude des accompagnants ( enseignants ou surveillants) et qui ont définitivement quitté la religion, mais aussi et c'est plus grave , la Foi.
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L
Eclairante et si stimulante lecture dans tous les aperçus conjugués auxquels, de rebond en rebond de l’investigation et de l’intellection des textes, elle appelle à s’attacher. Et même pour celui dont la même investigation est encline à se terminer toujours sur des points d’interrogation : pas tant de doute, mais comme une porte entrebâillée sur tous les sens qui resteront à explorer.<br /> J’ajouterai incidemment que ce qui est dit, presque en passant, sur l’âge de 12 ans en tant que cet « âge décisif, celui où l’on prend conscience de son potentiel et de son devenir ou bien il peut-être aussi celui du refus de l'avenir, du refus du monde réel tel qu’il se présente », a tout pour émouvoir au moins un lecteur, et le plus profondément qui soit Ce lecteur qui, à ce même âge de 12 ans, a été interné dans un pensionnat catholique pour de longs mois. Pour les 2/3 le passage très précoce dans une caserne, et pour le 1/3 restant la relégation dans une prison. Rien à voir avec ce qu’étaient à l’époque les violences commises à Bétharram et en tant d’autres lieux. Certes en ce temps-là, l’éducation des enfants, inclus dans les familles les plus respectées, recourait à des châtiments corporels, et les gifles étaient largement en usage dans le pensionnat en cause. Ce qui a imprimé en ce lecteur la marque ineffaçable d’une souffrance intérieure endurée pendant presque deux ans dans cet établissement catholique, aussi renommé que fort ancien (La Fontaine, m’a-t-on dit, en avait gardé un souvenir épouvantable), est d’une autre nature : la violence infligée, jour après jour, heure après heure, était celle dirigée contre un préadolescent enfermé dans un désert affectif total. Impossible de décrire vraiment ce qu'en était le vécu, et d'expliquer aujourd'hui l'entièreté de ses composantes : :tout tient dans le fait que pas une journée depuis ne s'est passée sans être marquée par un resurgissement de cette mémoire.<br /> Mais ce désert fut aussi le lieu de la prise de conscience peut-être la plus radicale et la plus décisive d’une vie : elle survint le jour où un surveillant, comme je tardais à me mettre en rang (pour la je-ne-sais combientième fois de la journée), me décocha devant une douzaine d’autres pensionnaires : « Toi, mon garçon, tu as une gueule subversive ». Pendant l’étude suivante, le Petit Larousse m’apprit le sens de ‘’subversif’’ et je m’y reconnus. Un qualificatif qui avait un sens particulier en ce temps de la guerre d’Algérie (et qui venait ses d’un pion dont je compris un peu plus tard qu’il possédait à peu près tous les critères de l’appartenance à l’extrême droite) Mais, par-dessus tout, une identification reçue, comprise et gardée pour être un fil conducteur.<br /> Ajoutons que mon délaissement de l’institution catholique ne s’opéra cependant qu’à la toute fin de ma relégation entre les mains et au pouvoir de ces Pères qui l’étaient si peu. Un délaissement qui me séparait à jamais de toutes les cléricatures.
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L
Je suis heureux de ce débat qu'ouvre Giraud Barra par son commentaire. Je me réjouis de l'expérience qu'il a pu vivre avec sa sœur dans ce couvent de sœurs catholiques, si épanouissante pour eux deux. Il est bien de rappeler qu'ont existé d'autres cadres d'enseignement confessionnel que celui que j'ai décrit. Notre désaccord porte sur da conviction qui légitime un " monde réel ou l'enfant subit l'oppression des adultes". Et plus encore sur son affirmation que "cette maltraitance est éducative" Certes la vie, l'enfance et l'adolescence bien sûr incluses, est un parcours d'épreuves en tous genres, des rencontres difficiles aux pires drames qui peuvent survenir ; et certains ont la chance ou la capacité de s'y construire une résilience, voire une sagesse. Mais je récuserai toujours, et nous sommes devenus nombreux à partager cette récusations, qu'une éducation puisse se former dans des maltraitances, au sens propre du terme et quelles que soient les formes que prennent celles-ci. Pour moi cette forme fut donc la condamnation à être abandonné pendant des mois dans un "désert affectif total", dont il n'est pas difficile de concevoir qu'il est littéralement invivable pour un enfant ou un adolescent - qu'un lieu d'enseignement se réclamant d'une religion dont l'amour fait tout le sens, puisse ignorer la souffrance qu'il inflige en excluant l'affection de la vie quotidienne de ses pensionnaires, constitue rien moins qu'un impensable. Et puisque s'opposent aussi des histoires. personnelles, j'ajouterai que passé sans transition, et par un concours de circonstances quasi miraculeux, de mon collège- prison à une Ecole d'origine et de culture protestantes, j'ai trouvé dans cette Ecole, pendant la continuité de cinq années, une réparation magnifique de ce que j'avais enduré : son exact contraire, où tout était attention, sollicitude et respect à l'égard des élèves, soit tous les piliers d'une exemplaire, et sans doute indépassable, éducation à la liberté et à la responsabilité..
G
je ne vais pas commenter la très belle méditation de Christiane qui se suffit à elle-même mais le commentaire de notre ami Lévy: à l'âge de 4 ans à la suite de péripéties familiales, moi et ma soeur, âgée de 6 ans nous avons été placés dans un couvent de soeurs catholiques. je pense que l'établissement n'avait pas bougé depuis le XVIIIe, notre vie était organisée autour de l'étude, la prière, la discipline. Et bien je vous l'affirme j'ai reçu une éducation à la liberté et à la responsabilité. J'ai vécu des moments de bonheur inoubliables dans les greniers du bâti principal que nous avions découvert ma soeur et moi, rempli de livres qui débordaient de carton ou s'étalaient sur le plancher, les "aventures de Sophie" de la comtesse de Ségur y côtoyaient la Bible illustrée par Gustave Doré et toutes sortes de romans de la littérature bien-pensante catholique pour jeunes filles pieuses aux romans universels de la vraie littérature. Dès que les vacances arrivaient, nos amies partaient en famille et nous nous retrouvions seules alors nous grimpions dans ce grenier ou nous lisions pendant des heures jusqu'au moment où la cloche sonnait pour nous rappeler l'heure du repas. Nous retrouvions notre grand-mère bien-aimée certains dimanche et nos parents pendant les grandes vacances, en France ou à l'étranger.<br /> Quand j'entends les plaintes concernant les institutions catholiques je ne peux m'y associer car je n'ai pas été maltraitée ou si je l'ai été c'est comme tous les enfants qui ne vivent pas dans un monde bisounours mais dans le monde réel ou l'enfant subit l'oppression des adultes et cette maltraitance est éducative.C'est à partir des plaies et bosses de l'âme que l'enfant se construit et apprend à être résilient et j'en suis d'autant plus convaincue pour avoir suivi des enfants "chouchoutés" dans un milieu conçu, créé pour leur jouissance et avoir assisté à bien des naufrages d'adultes immatures..<br /> Ce que j'écris évidemment est un raccourci... mais si les adultes ne vivent pas le bonheur pourquoi voulez-vous que les enfants le vivent et quand je parle de bonheur, je ne parle pas de consommation...