«Choses Vues (ou entendues)» n° 23 Le Social Contre l’économie, le Politique, l’écologie ? et réciproquement

Publié le par Garrigues et Sentiers

Certaines situations, qui demanderaient une prise de position nette mettent dans l’embarras celui qui voudrait prendre une décision juste et définitive. Car, comme aurait pu dire le Curiace de Corneille (Horace Acte II, scène 3) : « de tous les deux côtés j’ai des pleurs à répandre : de tous les deux côtés mes désirs sont trahis…». Parfois, dans notre monde complexe, il y a antinomie entre deux réalités impératives, deux vérités fondées en raison qui s’affrontent dans une contradiction impossible à résoudre. Au hasard :

Il est immoral de fabriquer et de vendre des armes alors qu’on prétend désirer la Paix. Oui mais, si on fermait les usines qui les produisent, on créerait du chômage. Sauf si la prophétie d’Isaïe pouvait se réaliser (Is 2,4) : « [Le Seigneur] sera juge entre les nations et larbitre de peuples nombreux. De leurs épées, ils forgeront des socs, et de leurs lances, des faucilles […] ils napprendront plus la guerre» 1. La menace du chômage est d’ailleurs un des arguments les plus fréquents pour justifier des immobilismes. «En même temps», elle est un argument de poids non. négligeable : on ne peut priver des travailleurs de leur travail indispensable pour vivre et faire vivre leurs familles.

 

Relèvent de cette même menace de chômage les effets d’une remise en question de privilèges fiscaux manifestes. Il est immoral de favoriser, par des passe-passes comptables, des exonérations pour de grandes fortunes. On constate parfois leur accroissement indécent sans qu’elles contribuent, suffisamment à leur échelle, au bien commun. Oui mais, si on veut les imposer davantage, leurs détenteurs menacent d’investir leurs capitaux à l’étranger, privant le pays de créations d’emplois, voire provoquant leur régression, certaines industries «fermant» alors tout simplement leurs portes.

Une hypothèse, en passant : ne serait-il pas logique de mettre en question la nationalité française de ces personnes, qui affichent parfois un patriotisme verbal claironnant ? On peut douter de l’efficacité de la mesure quand on constate que les exils fiscaux de tant d’artistes ou de sportifs («qui font tant pour la renommée de la France »), ne nuisent en rien leur popularité !

 

Continuons : il est opportun et urgent de diminuer les émissions de CO2 et de particules fines, causes directes ou indirectes de nombreuses morts prématurées. Oui mais, si on empêche la circulation en ville de véhicules trop vieux pour respecter les normes admissibles, on prive beaucoup de Français de leur instrument de travail et de leur mode de déplacement. souvent indispensable Ce qui met en cause, en outre, la sacro-sainte égalité entre les citoyens.

De même, on sait que bien des produits phyto-sanitaires sont très dangereux pour la santé (et d’abord celle des agriculteurs), la survie des pollinisateurs, et, à plus long terme, risquent de polluer les nappes phréatiques. Oui mais si l’on renonçait à leur emploi, les rendements baisseraient au préjudice des agriculteurs, dont beaucoup ont un niveau de vie déjà dramatiquement faible.

 

Étendons l’enquête au domaine politique, apparemment rien de plus juste, en matière électorale, que «la proportionnelle». Chaque tendance, chaque courant pourrait ainsi figurer dans la représentation nationale. L’ennui, on en a fait l’expérience parfois amère, pendant les IIIe et IVe Républiques, elle favorise la multiplication des partis, et encourage les magouilles à chaque débat important en vue d’obtenir des majorités circonstancielles quoi-qu’aléatoires.

On pourrait allonger indéfiniment cette liste. ! Les incompatibilités non traitées aboutissent à des conflits insolubles, telles les confrontations à propos de l’immigration.

Tant qu’à faire — plusieurs internautes nous ayant demandé de prévoir des «devoirs de vacances», comme nous le fîmes naguère — on pourrait proposer à votre sagacité de relever durant l’été les antagonismes dans les exigences réciproques et contradictoires de notre vie sociale et politique, notre économie, notre environnement…

Marc Delîle

1. Même idée en Osée 2,18 et Michée 4,3 ; contredite en Joêl 3,10.

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