Merci François... Quel chemin suivre ?
Commençons par remercier le pape François pour ses douze années d’action au service de l’Église, de l’humanité. Il a fait lever un vent rafraîchissant, remettant la foi et l’évangile à leur juste place, en ouvrant l’annonce de la bonne nouvelle à tous, et principalement aux pauvres, aux exclus, à ceux qui ne comptent pas. Il a donné un nouveau visage de l’Église qui avait bien besoin de ce lifting. Rendons grâces pour ces douze années.
Avec toutes mes excuses pour me citer, mais le 12 mars 2013, la veille de l’élection du pape, Garrigues et Sentiers a publié un texte intitulé « Un nouveau pape...pour quoi faire ? » que je pense tout-à-fait d’actualité. On devrait y changer quelques formulations, mais l’ensemble pourrait être encore écrit aujourd’hui. J’invite les lecteurs à le reprendre.
En le relisant, on peut constater que le pape François a répondu en bonne partie aux espoirs que le texte mettait en lui. Sa parole s’est fondée principalement sur la vie du peuple de Dieu (et de l’humanité), il a œuvré pour que ce qui se vit à la base remonte jusqu’aux évêques et à lui...d’où la colère de ceux, dans la hiérarchie, qui veulent garder jalousement le pouvoir de « dire la Parole de Dieu » du haut de leur chaire. Très vite il s’est attaqué au cléricalisme, aux abus des hiérarques, il s’est attaché à « nettoyer les écuries d’Augias du Vatican », il l’a fait parfois avec brutalité. En ce sens on peut constater que son désir d’écouter le peuple pour saisir la Parole de Dieu n’était pas un aveu de faiblesse et de peur de décider, mais il n’a pas gagné cette lutte, elle est encore d’actualité.
Nous rappelions que le pape a la charge de l’unité de l’Église, et nous pensons qu’il a échoué. Est apparue au grand jour l’impossibilité de parler d’une voix unique à l’ensemble de l’humanité. Les Églises d’Amérique du Sud, du Nord, d’Afrique, d’Asie ne sont pas l’Église d’Europe et la parole globale a souvent été récusée par les responsables de ces diverses Églises. Alors François a tergiversé (rappelons le synode de l’Amazonie par exemple, ou les conclusions bien ternes du synode sur la famille), terrorisé par le risque de schisme (1). Il a déçu et rien n’a été fait envers les chrétiens plus ou moins marginaux qui se reconnaissent de moins en moins dans cette institution, par exemple ceux de Saint-Merry à Paris. Et certains hiérarques ont enfoncé le clou, menaçant de schisme afin d’imposer à l’Église universelle leur conception traditionnelle (pour ne pas dire plus!) de la Foi et des œuvres.
On a reproché au pape un manque de pédagogie, de diplomatie dans ses paroles. Que les médias le pensent, elles le peuvent, c’est un fait. Elles n’ont pas en charge la vérité de l’évangile. Mais à l’intérieur de l’Église il semble que ce reproche ne soit pas fondé. On ne tergiverse pas avec la parole du Christ, Jésus a parlé de « sépulcres blanchis » en s’adressant aux Pharisiens et autres, il n’a jamais mâché ses mots. Il a chassé les marchands du temple...et il a poussé jusqu’à se faire exécuter, ne l’oublions pas. François a « manqué de diplomatie, de pédagogie... » ? Quand il s’agissait de l’évangile, il a été exigeant, abrupt comme le Christ l’a été.
François a aussi été conservateur dans les questions de doctrine. Dès son élection il était clair qu’il possédait une doctrine solide et qu’il ne fallait pas attendre de lui des modifications. Ses opposants auraient dû s’en rendre compte et le porter à son crédit, mais ils étaient obnubilés par ses actes, par son attention aux exclus et autres qui leur semblait contredire la doctrine et condamnait de fait leur façon de se comporter, eux ou ceux qui les suivaient. Il y a là une contradiction que le pape n’a pas su lever.
De fait il a fait une révolution en prêchant à partir de la vie des gens et non à partir du dogme. Nous l’écrivions dans l’article cité plus haut, depuis deux siècles on ne peut plus faire de la philosophie ou de la théologie transcendantale. Il n’y a pas de vérité « là-haut », immuable, qui régirait la façon de vivre de l’humanité. La théologie, la connaissance de Dieu, ne peut venir qu’à travers l’expérience des hommes, c’est ce qu’on appelle la praxis. La Révélation ne tombe pas du ciel, l’Esprit Saint travaille dans le cœur des hommes, les inspire dans leurs vies. Il doit y avoir un aller-retour constant entre ce qu’on appelle (de façon abusive souvent) le dogme et la réalité vécue. C’est parce que je découvre l’amour (et après coup je crois que c’est l’Esprit qui me l’a fait découvrir) que je peux parler de l’amour de Dieu, c’est parce que j’approfondis cette notion de l’amour de Dieu que cela retentit sur ma façon concrète d’aimer. Si je peux croire à l’évangile, c’est parce qu’il répond à certaines de mes aspirations d’homme parmi les hommes, et il peut alors modifier mes comportements et m’éclairer sur mon humanité.
Les apôtres ont cru en la Résurrection parce qu’ils se sont sentis transformés, ressuscités, et qu’ils avaient déjà fait l’expérience de la Promesse de Dieu, de la Vérité de Jésus. Faire de la Résurrection un événement merveilleux tombé du ciel ne peut avoir aucune incidence sur nos vies et cela en fait un simple mythe. Saint Paul l’avait bien compris quand il écrivait aux Corinthiens :
« S’il n’y a pas de résurrection des morts, le Christ non plus n’est pas ressuscité. Mais si le Christ n’est pas ressuscité, vide est notre message, vide aussi votre foi. » (1Cor 15, 13-14)
La Résurrection nous annonce notre propre résurrection, mais nous devons ressentir notre propre résurrection pour croire à la Résurrection. Et cette « propre résurrection » que Paul situe dans l’au-delà dans ce texte, est déjà en œuvre en nous ici-bas. C’est ce qu’il a vécu à Damas, très concrètement quand il a été trois jours aveugle, sans manger ni boire, comme le Christ au tombeau (Ac 9,9).
Le pape François s’est trouvé en pleine contradiction. D’une part toute sa vie pontificale a été vouée aux pauvres, aux exclus, ouverte à tous, exigeant des chrétiens cet amour inconditionnel, et concret, des autres, quels qu’ils soient (« qui suis-je pour juger ? » a-t-il dit), et par là a prêché une Parole de Dieu qui nous a conquis par la Vérité qu’elle portait. Par ailleurs il est resté arc-bouté à la Doctrine transcendantale qui ne nous parle plus. Il n’a pas voulu repenser la Doctrine (ce qui ne signifie pas de la jeter aux orties, pas un iota de la Loi ne passera!) à partir de la praxis, comme ont fait les philosophes depuis deux siècles dans leur discipline. Pourtant il avait un exemple en Saint Paul, dans sa conception de la Loi. Saint Paul a fait ce travail de repenser la place de la Loi, qu’il n’a pas récusée, à l’intérieur de la Bonne Nouvelle qui transformait la vie des hommes.
On peut dire que François a été d’un côté un conservateur, et par ailleurs un « aventurier de la Foi » dans toute son action. Sera-t-il possible d’unifier ces deux tendances en réajustant les relations entre doctrine et foi vécue ? Son successeur, au nom de l’unité de l’Église, va-t-il retourner à la Doctrine transcendantale (ce qui fera fuir encore tout un pan des chrétiens qu’on dit « progressistes ») ? Ou va-t-il avancer sur le chemin ouvert par François, en repensant la place de la Doctrine traditionnelle ? Attendons….
Marc Durand
1 – Un schisme consiste à détacher une partie des chrétiens, avec leur hiérarchie, pour fonder une Eglise parallèle. L’exemple le plus clair est le schisme des orthodoxes au 11ème siècle (ou celui de Monseigneur Lefebvre, mais il y en a eu d’autres après les divvers conciles). Les chrétiens dits progressistes qui s’éloignent de l’institution ne font pas un schisme, car ils ne fondent pas une nouvelle Eglise avec hiérarchie et institutionnalisation. Alors il semble que la hiérarchie soit assez indifférente à leur départ, en termes institutionnels leur disparition n’a pas d’incidence.