Le diable et le bon Dieu

Publié le par Garrigues et Sentiers

À propos de l’article de Yorgos Mitralias
Trump le « pacificateur » comme Hitler le « chancelier de la paix »

 

La caricature qui coiffe cet article est éminemment instructive. Les tronçonneuses brandies par les trois personnages sont bien là pour retrancher, ou pour supprimer, ce que le genre humain avait fait pousser pour se nourrir d’un idéal,  pour donner existence et élévation à des idées.

L’article décrit des similitudes. Accablantes, certes, autant que factuellement fondées. Mais ne faut-il pas ramener ces similitudes à la place dont on peut présumer qu’elle leur sera impartie par les historiens ?

Le mal à son paroxysme, dans l’infinité de ses formes et de ses expressions, profite d’époques où des désordres outrés déchirent et ravagent l’humanité et sa planète, ou telle partie de cette planète, pour se dimensionner en une vague dont la puissance lui promet de bientôt pouvoir submerger le monde. A cet égard, la comparaison qui renvoie le mal d’aujourd’hui au passé d’épouvante le plus proche se suggère tout naturellement, tant les types de démence obsessionnelle qui sont à l’œuvre dans les deux séquences alignent des ressemblances de configuration.

Mais pour pathologiquement voisines qu’apparaissent, d’un siècle à l’autre, les aberrations mentales en lesquelles les indicibles monstruosités hitlériennes et les délires trumpistes les plus inconcevables trouvent leur source, ne faut-il pas se convaincre que l’histoire ne se répète jamais ?

Certes, les similitudes existent entre les évènements les plus tragiques, entre les caractères que présentent des menaces extrêmes, et entre des atrocités dont l’ampleur et l’étendue soulèvent l’horreur et la honte. Mais le mal porté à son comble n’est-il pas, en lui-même et dans chacune de ses occurrences, un fait nouveau voué à être unique dans les traits qu’il se donne(1) ? Et déjà pour la raison que le crime qui dépasse les culminances qu’on lui prêtait s’interdit les mises en comparaison.

Et surtout le mal n’agit-il pas sous deux espèces ? Celle qui ressort de l’imparfaite nature de notre monde (ou d’une création non terminée) dont proviennent, entre autres terribles calamités, les épidémies sans cesse répétées ou renouvelées, les séismes ou les éruptions volcaniques qui font table rase de l’existant, les famines de cause ‘’naturelle’’ qui suppriment des peuples presque en entier, et toutes les pathologies qui déciment le vivant, qui font mourir les enfants ou qui les rendent infirmes (dont celles que les poisons produits par nos cupidités ne cessent d’étendre). La liste de ces fléaux et de ces désastres, au milieu desquels nous habitons notre planète et parcourons nos vies  est aussi interminable qu’accablante.

L’autre espèce du mal ne tire-t-elle pas son existence d’une génération inconnue, quand bien même son énergie inépuisable et son génie exterminateur paraissent fixés dans la nature humaine ? Le siècle, voire les deux siècles dont nous sortons, et les commencements du siècle présent, nous infligent un inventaire possiblement hors de comparaison des horreurs perpétrées par l’homme contre l’homme.

Et si on se risque à citer des points culminants de ces horreurs, on décomptera deux guerres mondiales – dont les cimetières n’ont recueilli, parmi des dizaines de millions de victimes, que la fraction des morts un tant soit peu récupérables –, la répétition à toutes les échelles de génocides accomplis par des monstres, et une addition sans fin de peuples martyrisés – que ce soit par leurs conquérants ou par leurs dirigeants, les uns et les autres servis par le même type de tortionnaires et d’assassins de masse.

Aurait-on ainsi, d’un côté, le mal qui tient à l’inachèvement de la création – inachèvement prononcé pour une raison à vrai dire impénétrable et pour une séquence de temps également inintelligible –, et de l’autre, le mal dont l’espèce humaine a, tout aussi inexplicablement, gardé l’indéchiffrable liberté de le commettre à son encontre ? Rien ici d’une tentative (ou de la tentation) de se confronter au « mystère du mal’ », mais seulement une sorte d’ébauche de classement, et du type de celui qui s’essaierait à répertorier deux espèces restés jusque-là non identifiées comme probablement distinctes et, en même temps, apparemment des plus voisines.

Ce qui pourrait avoir pour conséquence de nous entraîner jusque dans la présomption de détenir une faculté à approcher ce même mystère du mal, une présomption de nature à nous faire dériver de surcroît vers le simplisme propre aux représentations manichéistes. Alors qu’il ne peut s’agir, dans cet essai de différenciation des aperçus que nous avons du mal, que de tenter de formuler deux interrogations identiquement tâtonnantes, l’une essentiellement d’ordre spirituel, l’autre incluant un possible composant anthropologique. Dans la forme d’une requête à entrevoir d’infimes lueurs, et seulement espérées comme les plus infimes qui puissent être, nous mettant sur le chemin de ce Bon Dieu qui nous laisse dans l’incomplétude du monde, et du lieu qui se figure pour nous comme celui où se démène le Diable.

Didier Levy

  1. Ce qui s’appliquerait aussi, quoique que soient quasiment identiques les buts de conquête qui y ont donné ou qui y donnent lieu, aux invasions, aux assujettissements et aux décimations perpétrées à leurs époques respectives par les impérialismes stalinien et poutinien.

Publié dans Réflexions en chemin

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D
bel article, comme didier lévy nous y a habitués. Néanmoins , même si chaque mal est unique et ne ressemble pas aux précédents, il y a un fond d'incapacité des hommes ( je ne dis pas de la nature humaine mais bien des hommes et femmes , qui tiennent entre leurs mains, à différents niveaux les choix qui font la vie du monde au jour le jour, et je ne parle pas seulement des gens de pouvoir, mais de tout un chacun) à vouloir connaître, travailler, s'emparer de son passé pour améliorer son présent. Ainsi, si l'histoire dramatique du 20ème siècle n'est pas tout à fait celle qu'on voit surgir en ce début de 21ème siècle, il y a pourtant tellement de similitudes, même approximatives qu'on pourrait/devrait ne pas reproduire les mêmes schémas ( ainsi, les "avant guerres", bien documentées par les nombreux récits des grands ambassadeurs de 1930-40, d'une part, et les nombreux documentaires pour la période actuelle). Est-ce que cela relève d'une sorte de paresse collective? d'un ressenti d'impuissance et de fatalité? d'un optimisme surrané? ou d'un "tout vaut mieux que la guerre", du style politique d'apeasement de 30-40 qui nous a conduit où on sait ( "vous aurez le déshonneur ET la guerre!" et on les a eus).<br /> Honte à nous pour nos incompétences qui nous font avancer vers le gouffre, les yeux ouverts!<br /> <br /> donc, personnellement, je suis pour le rabachage des similitudes ( sans cacher les différences, bien sûr, mais!)
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L
Il est incontestable, en effet, que l'insistance sur les similitudes a une valeur pédagogique qui la rend indispensable. Au delà du débat sur les natures et les occurrences des si nombreuses expositions du mal.
H
Pour apporter unn autre éclairage à cet article, lire l'un des derniers livres du prix Nobel d'Economie Joseph Stiglitz, sorti il y a quelques années, intitulé "Le triomphe de la cupidité". J. Stiglitz a été vice-président du FMI et de la Banque Mondiale, ainsi que conseiller économique de Bill Clinton (poste dont il a démissionné lui-même, car il touvait que Clinton avait trahi ses promesses de campagne). Cupidité hélas partagée par de nombreux humains et à la base de tous les conflits, peut-être aussi à la base du Péché Originel ?... A l'heure actuelle on assiste aussi au triomphe de la connerie. (L'un n'emêche pas l'autre). Un seul remède (proposé par Jésus) le partage dans la fraternité.
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