Carême 2025
Mercredi des cendres. « Tu es poussière et tu retourneras à la poussière » (Gn 3, 19). L’homme a goûté à l’arbre de la connaissance, il est renvoyé à son humanité qui, par nature, n’est pas éternelle. Et Dieu fait garder l’arbre de vie pour que l’homme ne puisse en manger et gagner l’éternité par lui-même. Dans une certaine tradition cet arbre de vie deviendra l’arbre de la Croix (cf. ci-dessus la mosaïque de l’église de San Clemente), préparation à la célébration du mystère fondamental de notre foi, qui est la source de notre vie, nous sommes appelés d’abord à reconnaître notre place d’humains.
« Tu es poussière », mais cette poussière a été transformée par la vie. Vie partagée avec tous les animaux et les plantes. Nous sommes d’abord un être plongé dans la création, solidaire de tout ce qui vit. Dieu donne la vie dit-on... qu’en savons-nous ? Ce que nous dit notre foi est que parmi les vivants Dieu donne sa Vie aux humains. Je suis poussière transformée par la vie reçue, puis « déifié » par la Vie de Dieu qu’il me donne et qui est à la racine de mon être. C’est en rentrant en lui-même, en descendant au plus profond de ce qu’il est, que l’homme peut découvrir que sa vie n’est pas seulement animale, mais fécondée par plus profond que lui-même. Le « tu es poussière » doit lui rappeler cette réalité : d’où il vient et quelle est alors sa grandeur venue de la Vie de Dieu en lui.
« Tu retourneras à la poussière », affirmation quelque peu décourageante qui semble nous abaisser, nous disant que « tu n’es rien », « tout est pour rien ». Certains affirment que Dieu a donné la vie, qu’il en est maître, et qu’il la reprend quand bon lui semble. Ceci est quelque peu simpliste. La vie nous a été octroyée par la Nature au bout d’un processus d’une complexité et d’une lenteur inouïes. Cette vie, par définition, est éphémère, elle doit s’arrêter car la Nature n’est pas éternelle, c’est d’ailleurs ce qui donne sa valeur à ce que nous faisons, si nous étions dans l’éternel retour plus rien ne vaudrait. La mort, comme le disait Françoise Dolto pour la présenter aux enfants, survient quand nous cessons de vivre, c’est aussi simple que cela, et il n’est pas besoin de faire intervenir Dieu dans ce processus. Retourner à la poussière après le passage de la vie n’est pas un échec, un malheur, voire une punition. C’est la réalité de notre être. Mais, comme nous l’écrivions plus haut, une fois que, poussière, nous avons reçu la vie, Dieu a offert la sienne pour nous les humains, par grâce. Ceci transforme radicalement la nôtre. Nous ne sommes pas seulement des vivants, nous vivons de la Vie de Dieu. Peu importe que nous retournions à la poussière, la Vie de Dieu, elle, nous a été donnée une fois pour toutes, et celle-là ne peut pas s’éteindre. Le cheminement que nous allons faire pendant quarante jours nous amène à célébrer cette Vie donnée qui transcende la poussière à laquelle nous devons retourner.
Une fois remis à notre place, poussière mais vivants de la Vie de Dieu, nous pouvons envisager notre démarche de carême. Les textes de ce jour insistent sur la pénitence et le jeûne. Est-ce l’essentiel ? Ce qui importe est de nous reconnaître dans la vérité de ce que nous sommes. Celui qui ne se reconnaît pas pécheur ne peut pas s’ouvrir à la miséricorde de Dieu. Celui qui est plein de lui-même ne peut laisser une place à la vie de Dieu en lui. Alors oui, il nous faut couper ce qui, dans nos vies, s’oppose à la venue de l’Esprit en nous. Joël nous appelle à cette démarche :« Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements, et revenez au Seigneur votre Dieu, car il est tendre et miséricordieux, lent à la colère et plein d’amour, renonçant au châtiment. » (Jo 2, 13).
Et si pour cela nous devons renoncer à des biens auxquels nous sommes trop attachés, qui nous entravent, c’est le moment de le faire. Le but est de nous présenter à Dieu libres d’entraves et dans la vérité de ce que nous sommes. À chacun de définir le chemin qu’il doit emprunter. Soyons attentifs aux textes qui nous seront proposés tout au long de ce temps pour approfondir notre démarche de foi.
Jésus a vécu un carême au désert avant d’entamer sa mission. Il était nécessaire, même pour lui, de reconnaître sa place en face de son Père et parmi les hommes ses frères. Il était nécessaire qu’il se situe par rapport au Satan, à tout ce qui se lie pour empêcher la relation au Père. Pour cela il a ressenti le besoin d’aller au désert, pour se vider de ce qui faisait sa vie ordinaire et faire la place nécessaire à son Père. C’est en union avec lui que nous pouvons, nous aussi, aller dans notre désert pour marcher vers Pâques.
Cette marche, nous ne la faisons pas seuls. Nous la faisons en Église, avec tous les chrétiens de la terre. C’est l’Église (qui dépasse les différentes confessions) qui se met en mouvement pour faire une place au Seigneur.
Et ne nous limitons pas aux chrétiens, toute l’humanité est concernée par le salut apporté par le Christ. Nous ne pouvons pas marcher vers la Résurrection sans nous savoir solidaires de tous les hommes, tous appelés à vivre de la Vie de Dieu. Et cette solidarité sera réelle si elle prête attention aux plus démunis, à tous ceux qui souffrent. En ces temps d’incertitude et d’angoisse devant l’avenir, en ces temps où des millions d’hommes et de femmes souffrent dans leur chair, nous serions dans l’illusion si nous prétendions faire une place au Seigneur tout seuls en fermant les yeux sur la réalité du monde actuel.
Marc Durand