Donald Trump et l’ombre de la fonction présidentielle

Publié le par Garrigues et Sentiers

Le poisson pourrit par la tête
(proverbe chinois)

 

La problématique des élections américaines du 5 novembre 2024

Donald Trump a gagné les élections américaines du 5 novembre 2024. Au contraire de ce qu’il a affirmé dès son élection sa victoire n’est pas éclatante, l’écart entre lui et Kamala Harris se limite à 1,47 % des voix, c’est un président mal élu. Dès son intronisation ses propos et ses premiers décrets sont ovationnés par une partie des médias et une opinion servile qui défendent sa victoire comme une preuve de son sens politique « Il a gagné donc il a raison » ! Et si la vox populi se trompait ? Si elle croyait ce qu’elle a envie de croire ? Donald Trump possède-t-il les qualités pour incarner sa fonction présidentielle ?

Quarante-septième président des États-Unis, il jouit d’une autorité nationale, historique, qui l’entoure d’une ombre de sérieux et de gravité, elle devrait agir comme une instance de régulation en lui rappelant la hauteur de ses responsabilités, mais il se pourrait que ce personnage désinhibé, décomplexé, admirateur de la force, vive sa fonction comme sans limites et lui imprime de la démesure. Cet hybris qui se fait jour et s’affirme pose-t-elle un problème politique conséquent à une nation démocratique ? Le régime peut-il devenir une dictature ? Et si l’hypothèse ne se vérifie pas, quelle évolution nationale percevons-nous dans ses discours et ses actes ?

Les contre-pouvoirs aux fonctions présidentielles

La fonction présidentielle donne de grands pouvoirs : Chef de l’exécutif, chef militaire, chef de la diplomatie avec la possibilité de nommer des fonctionnaires de l’administration, de la justice. Comme dans tous les régimes démocratiques il existe une séparation des pouvoirs entre l’exécutif et le judiciaire mais il existe un biais aux États-Unis car le président nomme les juges à la cour suprême et Donald Trump ne s’en est pas privé.

Sans rentrer dans la complexité de la constitution américaine (difficile de rendre compte d’une logique électorale qui ne relie pas le nombre de votants au nombre des grands électeurs, qui privilégie sept états-charnières) rappelons les contre-pouvoirs au pouvoir exécutif présidentiel. En tout premier lieu les décisions présidentielles doivent être confirmées par le Congrès formé de la chambre des représentants et du sénat : le parti républicain dispose actuellement d’une très faible majorité au congrès. Le président n’incarne que l’exécutif du pouvoir fédéral, les 50 états du territoire américain jouissent d’une grande autonomie de gouvernement, ils sont attentifs et jaloux de leur pouvoir face au pouvoir fédéral et ils peuvent avoir des législations différentes voire opposées : par exemple sur l’immigration, sur l’avortement…

Si le président américain impulse une politique générale pour l’ensemble de la nation, – et celui de Donald Trump marque un virage sans précédent par rapport aux présidences démocrates : expulsion par la force des immigrés, hausse des tarifs douaniers, retrait de l’accord de Paris pour limiter le réchauffement climatique…– au terme de deux ans son parti doit de nouveau se présenter devant les électeurs pour le renouvellement d’une partie du congrès. Il peut donc subir très rapidement un échec électoral si la majorité des électeurs souffrent de sa politique ou ne se reconnaissent pas dans les principes défendus.

Prenons le cas de l’émigration : la nation américaine s’est développée par des vagues migratoires successives depuis le XVIIe siècle. Ces émigrés venaient chercher un mieux-être économique mais pas que, le passé historique et l’imaginaire américain attestent que leur nation a été dès l’origine, une terre d’asile où les persécutés du monde entier ont trouvé refuge. La défense des droits humains, de la liberté y est toujours vive et s’exprime en permanence dans la littérature, le cinéma, la musique…

Évolution politique vers une dictature ?

Tous les grands évènements historiques de cette nation rendent compte de luttes et du prix du sang versé au nom des libertés (la Révolution américaine, la Guerre de sécession, les deux guerres mondiales…)

Que les américains le comprennent ou non un président incarne le versant mystique de la nation (1), pour le dire simplement, il est une garantie de la Justice pour tous (2) mais Donald Trump se disqualifie d’emblée pour ce rôle (3) : loin de toute prudence et d’humilité il attaque frontalement l’institution judiciaire et s’en prend aux juges. Plus grave, il gracie les émeutiers du Capitole, jugés et condamnés pour actes séditieux. À cela s’ajoutent ses propres conflits d’intérêts en vue de son enrichissement personnel et la corruption de son entourage (4).

Cela suffit-il pour passer d’un régime démocratique à une dictature ? Ce serait un raccourci majeur pour une transformation de régime, car outre les décisions autoritaires du personnage, cela exigerait une conjonction de facteurs tels que la disparition d’une opposition démocrate, la transformation des deux chambres du Congrès en un parti fanatique prêt à voter des lois anti-démocratiques avec la complicité des autres institutions que sont la justice, la police et l’armée !

Mythologie grecque et vérité biblique : l’hybris et le culte du veau d’or

Si nous écartons l’hypothèse d’une évolution du régime en dictature, quelle évolution se dessine à travers les faits et gestes de son président ? Prenons de la distance avec l’immédiateté présente, mettons-nous en quête de sens et de vérité, tournons-nous vers la mythologie grecque et la Bible

Hybris et Némésis
Les dieux grecs ne pardonnaient pas l’hybris qu’ils considéraient comme un mal et qu’ils châtiaient par Némésis. Traduisons ce jugement en langage contemporain. Donald Trump n’a « rien à cirer » de l’ombre de sa fonction, amoral, il ne s’encombre pas de réflexions éthiques, ce qu’il dit il le fait, « il croit ce qu’il pense mais ne pense pas ce qu’il croit » (5) ! Peut-il échapper à la logique de sa démesure ? C’est là le châtiment de Némésis, c’est une foudre qui s’abat sur le sujet provoqué par l’enchaînement de ses actes, Agamemnon meurt assassiné pour avoir immolé sa propre fille, Oreste devient fou pour avoir tué sa mère… Ce qui signifie qu’on n’échappe pas aux conséquences de ses actes et le héros en est d’autant plus foudroyé que dominé par ses pulsions et sa volonté d’agir par la force, il s’exonère de toute réflexion. Mais les victimes, elles, n’oublient pas !

Le culte du veau d’or 
Donald Trump promet un nouvel âge d’or aux américains, ne serait-ce pas l’âge du veau d’or, le culte du veau d’or ? Donner à la nation l’orientation « Enrichissez-vous » désigne la cupidité comme valeur suprême, et comme elle est accompagnée de mesures concrètes de dérégulation économique et judiciaire elle ne peut que stimuler la lutte de tous contre tous.
Se détourner des « Tables de la Loi », abandonner la recherche de Justice ne peut aboutir qu’au déchaînement de la violence dans la société et créer du désordre à l’international. Ajoutons que sur le plan intérieur Donald Trump favorise l’émergence de fanatiques à sa solde qu’il pourrait utiliser pour terroriser ses adversaires (6). À l’international ses propos décousus sur le Canada, le Groenland, Panama ne peuvent qu’attiser des tensions.

La malédiction de l’ombre

Pour incarner la fonction présidentielle point n’est besoin d’être un homme sage et pieux, un homme qui fonde sa politique sur le salut pour les individus et la paix universelle pour le monde, mais aller à l’encontre des idéaux de l’ombre présidentielle, désigner une partie de la population comme bouc-émissaire, soutenir la passion conflictuelle de l’enrichissement, se détourner du droit, crée une déchirure entre l’ombre et la personne, l’ombre se détache du corps, elle s’en éloigne comme d’un corps étranger, mais reste attachée à ses pas jusqu’à une procédure pacifique d’impeachment (7) – de destitution – ou dans une société trop fracturée, elle peut être un levain de guerre civile ?

L’imprévisible s’invite toujours dans la politique, pour le pire  et le meilleur, mais si la violence et le désordre augmentent dans la société américaine, gardons l’espoir qu’au sein de cette grande nation, une réaction politique s’organise pour limiter les souffrances des populations, reprendre les idéaux de justice pour tous et utiliser les moyens concrets d’un système démocratique pour mettre fin à une parenthèse qui serait risible si elle ne recouvrait pas trop de drames personnels et collectifs

Christiane Giraud-Barra

 

  1. Nous nous référons à l’enseignement théologico-politique de Kantorowicz : les fondements métaphysiques de l’État.
  2. Ce qui veut dire que la partie de l’électorat qui l’a porté au pouvoir ressent une injustice à son égard.
  3. Lui-même a été condamné et demeure sous la menace de dizaines de procès pour corruption, détournements de fonds, mensonges…
  4. Que ce soit Elon Musk ou sa propre femme qui utilisent leurs fonctions pour s’enrichir.
  5. Expression que j’emprunte au psychanalyste Jean-Michel Hirt auteur de nombreux ouvrages sur la pulsion et son renoncement.
  6. La grâce présidentielle va dans ce sens, le Klux-Klux-Kan a répondu par l’affirmative à son appel de traque aux migrants, rappelons aussi qu’interdisant le droit à l’avortement, il soutient des intégristes et leurs comportements fanatiques sur l’ensemble du territoire.
  7. Donald Trump a eu déjà deux procédures d’impeachment déclenchées contre lui, la première pour une affaire politico-judiciaire, la seconde pour l’assaut du Capitole.

Publié dans Réflexions en chemin

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L
Passionnant et revigorant article !<br /> Oui, l'espoir réside d'abord dans les contre-pouvoirs au pouvoir exécutif présidentiel qu'a établis la constitution américaine et qui ont fonctionnés jusqu'ici - même si ce ne fut pas toujours pour servir les intérêts profonds ni les valeurs fondatrices de l'institution des Etats-Unis d'Amérique (par exemple, le rejet par le Sénat du cadre politique de l'implication américaine dans la paix de l'après première guerre mondiale). <br /> Avec cependant cette question : ce qui survient d'effrayant aujourd'hui avec le retour de Trump à la Maison Blanche, entouré qu'il est de surcroît par un saint office de milliardaires déments, n'était-il en germe à l'origine dans la conception même de la fonction présidentielle américaine ? Celle-ci n'était-elle pas l'invention d'un substitut républicain à la monarchie héréditaire existant depuis des siècles dans la vieille Europe, et assurément non importable dans la nouvelle entité étatique qui s'inventait outre atlantique. Le substitut et son modèle européen n'avait-il pas, par là, en commun de comporter à leur tête le détenteur d'un pouvoir personnel ? Certes, la séparation et l'équilibre des pouvoirs auxquels avaient veillé les constituants américains, et qui répondaient aux avancées les plus novatrices de la science politique et du droit public de l'époque, précédaient de nombre d'années les progrès institutionnels qui allaient survenir en Europe (aux Pays Bas, puis en France avec la constitution de 1791 issue de notre première Assemblée constituante - et d'une très brève durée de vie).<br /> Mais, et avant de faire un départage entre les armes qu'ont en mains les composantes de la force de nuisance d'un Trump et les obstacles juridiques et juridictionnels que celle-ci peut se voir opposer, ne faut-il pas se remettre en mémoire le principe qui a été à la base en France du très long combat pour l'avènement de la République : pour un républicain le pouvoir personnel, par sa nature et ses effets, est l'objet d'une exécration absolue inscrite à tout jamais dans toutes les fibres de son être.<br /> Principe auquel nous avons tourné le dos depuis 1958 et dont, comme cela survient pour tout oubli par trop dangereux, nous voyons présentement combien son si long abandon à des conséquences funestes pour notre démocratie. Et d'autant plus, que chez nous, il n'est venu à l'esprit d'aucun responsable politique de se battre pour l'instauration de cette élémentaire précaution que comporte, par son existence, l'impeachment états-unien.
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G
Je vous remercie pour votre commentaire et les précisions qu'il apporte mais surtout je retiens votre mot concernant Trump : effrayant ! Nous sommes dans le temps anniversaire de la mort de Navalny ! Quand je vois ce qui se passe à Ryad : Vladimir Poutine et D.Trump dépeçant l'Ukraine je me demande si l'assassinat de Zelensky est inclu dans les négociations ? Non pas explicitement mais implicitement car Poutine n'a jamais supporté un opposant sérieux sans le mettre à mort et D. Trump serait complice car cerise sur le gâteau de sa gouvernance il a mis à la sécurité une femme pro-Poutine hors jusqu'à présent les services de sécurité ukrainiens et américains ont travaillé de concert pour la sécurité de Zelinsky ? Vous me direz que j'écris de la Science-fiction mais le réel est parfois beaucoup plus effrayant que la fiction ?!<br /> Amicales salutations