«Choses vues (ou entendues) » 12. « Un pour tous ou tous pour un ? »

Publié le par Garrigues et Sentiers

N. B. : Les courts articles de la rubrique « Choses vues (ou entendues) », qui portent sur des sujets politiques ou de société, ne se prononcent pas sur le fond des questions abordées, souvent complexes, mais uniquement sur le côté incomplet, illogique, paradoxal ou contradictoire de la présentation de faits ou paroles rapportés.

 

Quantité de nos débats ou de nos combats peuvent s’interpréter à travers la grille : « Individu ou Société ? ». Fait-on passer en premier les droits de l’homme attribués à chaque personne particulière, ou privilégie-t-on la sauvegarde collective de la société ? Les deux perspectives apparaissent souvent contradictoires. Les applications de ce dilemme sont multiples, nous n’en prendrons que trois exemples.

Dans les sociétés anciennes, disons au moins jusqu’à l’époque de la Guerre de 14/18, y compris pendant la Révolution, française, il était beau de « mourir pour la Patrie ». Avoir des enfants était quasiment un devoir, à la fois pour avoir des soutiens présumés dans le grand âge, mais aussi par un geste quasiment « patriotique », pour « donner des soldats au roi et des âmes à Dieu ».

Il est plus évident qu’élever des enfants aujourd’hui, avec le choix d’en avoir ou pas, relève de la seule volonté des géniteurs, de leur désir personnel, étant exclu, bien sûr, le cas des « enfants accidents » qui peuvent alimenter la rubrique « avortement » (1). Les systèmes de retraite enlèvent le besoin d’« assurer ses arrières », et la patrie est une notion devenue largement obsolète. On voit bien comment, en cas de conflit, de jeunes mobilisables ne manifestent aucun enthousiasme et même pour certains essaient de se soustraire à cette « obligation » de défense collective. On l’a observé, récemment, dans un conflit proche de chez nous : aussi bien les jeunes russes que les jeunes ukrainiens préfèrent parfois l’exil à la mobilisation (NB. : Ce n’est pas un jugement – car on les comprend aussi – mais un constat).

L’exemple le plus évident de cette primauté de l’individu s’est manifesté dans les débats autour de la peine de mort. Le « respect de la dignité de la personne » et sa valeur absolue dans les Droits de l’homme (2) s’opposaient au désir d’éliminer des risques de forfaits commis contre la population, en particulier dans le cas des multirécidivistes de crimes graves. Cela a été l’une des questions les plus disputées.

Un même problème – primauté de l’individu ou du collectif, quoique moins grave évidemment – se présente dans les controverses agitant (une fois de plus) l’Éducation nationale à propos des « classes de niveau ». L’affrontement sur des propositions, peu claires et mal présentées, les instituant, peut grossièrement se résumer ainsi : on « mixte » (mélange) les enfants doués pour les études, vivant souvent dans des familles aisées et plus facilement cultivées, avec des enfants ayant, pour des raisons diverses – capacités, milieu social défavorisé, famille à problèmes, maladies, handicap etc. –, des difficultés pour suivre la classe. On espère ainsi une émulation et une entraide entre les bons et les moins bons, genre « un pour tous, tous pour un ». Ce n’est pas faux, à condition d’y mettre les moyens qui, en l’occurrence, font défaut : classes pas trop nombreuses, salles et matériel adaptés, enseignants formés à cette pratique, élèves « prévenus » sur leurs rôles respectifs, information des parents, etc. Sinon, les moins bons risquent de ne pas progresser, et les meilleurs de perdre leur temps et de régresser ; seuls les élèves « moyens » pourraient peut-être, s’ils saisissaient cette chance, être stimulés et profiter cette organisation des études.

Les manifestations de tels antagonismes pourraient être multipliés, tant ils impactent toute notre vie sociale. À rapprocher, sans en confondre totalement les caractéristiques, car c’est une autre histoire, des grands courants politiques : l’exigence impérieuse de l’égalité et du collectif étant plutôt le lot de la gauche, et la revendication d’une liberté individuelle la plus grande possible relevant plutôt de la droite.

Marc Delîle

  1. Le thème a déjà été abordé dans « Choses vues 8. Quand la « fin de vie » commence dès le début. »
  2.  Cf. la Déclaration universelle des Droits de l’homme (1948) : la « dignité » figure dans le Préambule et les articles 1, 22 et 23.
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