Féminisme et Néo-Féminisme
De l’État de droit à l’Ordre moral
Prologue
Femme, médecin, pendant quarante années d’exercice de médecine générale j’ai activement participé aux luttes sur la contraception, l’Ivg, le soutien aux femmes dans des situations de violence conjugales. Je garde en mémoire de nombreux visages de femmes qui luttaient avec détermination pour se dégager de liens affectifs devenus des liens d’oppression.
Quarante ans plus tard je découvre avec le néo-féminisme le « victimisme » c’est-à-dire la femme définie comme victime d’un homme défini comme mâle prédateur.
Je ne peux que livrer mon expérience – une femme dans le métro parisien, un homme s’approche et la prends par le cou : il se reçoit une gifle – Une autre « je m’en vais, mon époux a porté la main sur moi il n’aura pas l’occasion de le faire deux fois » – Une autre « ce s.. il fallait que pour ma promotion je couche avec lui, il se la garde sa promotion » – Une femme battue en instance de divorce « il m’a battue puis il est parti, me laissant effondrée sur le sol, je regardais la porte, je me suis dit ou tu as le courage de franchir cette porte ou tu vas mourir, j’ai saisi mon sac et j’ai franchi la porte ».. Si maintenant on rend hommage aux femmes victimes durant des années de viols à répétition et d’humiliations qui ont besoin d’associations pour s’en sortir, mon expérience m’a mise au contact de centaines de femmes en capacité de se défendre et qui savaient utiliser leurs droits. Ne pourrait-on pas leur rendre hommage ?
Essence féminine ou droit des minorités ?
Existe-t-il une « essence » féminine qui définirait la femme comme « douce, soumise, victime... » et la condamnerait à une existence de servitude ?
En accord avec la tradition religieuse judéo-chrétienne mais aussi avec les philosophies de l’existence nous comprenons la femme comme un être libre et responsable. Il lui appartient de l’affirmer dans les difficultés de la vie, dans ses choix personnels, pour mener sa vie intellectuelle, professionnelle, amoureuse... L’homme partage la même condition existentielle. Les traditions historiques, culturelles et sociales fabriquent des moules pour des rôles féminins et masculins dont il est nécessaire de s’émanciper pour vivre une existence à distance des modèles sociaux exigés.
Dans de nombreux pays, à l’heure présente sévit toujours un ordre patriarcal qui privilégie l’homme par rapport à la femme.
Dans nos démocraties occidentales, cet ordre a été mis à mal et continue de l’être, par les luttes collectives féminines qui s’intègrent aux mouvements politiques de contestation des minorités (1). Ces combats aboutissent à l’élargissement du champ de l’état de droit par la reconnaissance légale des revendications. C’est ainsi que nous bénéficions de l’égalité homme/femme pour l’exercice du droit de vote, le droit à l’éducation, l’égalité des salaires etc..
La conquête de nouveaux droits, efface-t-elle les soucis de la vie concrète ? L’égalité homme-femme rend-elle la vie affective, sexuelle, amoureuse plus facile ? Si l’on en croit la littérature (américaine entre autre) ce serait plutôt le contraire ! (2)
Si le droit existe comme rempart de la justice dans les dissensions, les conflits, les violences à l’œuvre dans les relations humaines, peut-il empêcher que les relations humaines soient le lieu permanent de désirs conflictuels ?
En ce qui concerne les violences sexistes et les féminicides posons-nous les questions suivantes : les violences faites aux femmes sont-elles un « résidu » d’un ordre patriarcal qui subsisterait ? Sont-elles les conséquences directes d’un ordre patriarcal importé en relation avec des milieux d’immigration encore imprégnés des cultures du pays d’origine ? Ou sont-elles en rapport avec le niveau de violence de nos propres sociétés ? Nous ne nous tromperons pas beaucoup en disant que toutes ces causes interviennent, que l’élargissement des droits aux droits des minorités (femmes, homosexuels, transgenres.) ne crée pas une suite logique, comme une causalité et sa finalité ou pour le dire autrement la pénalisation des faits de violence ne diminue pas automatiquement les violences entre les personnes, en revanche elle permet aux victimes de se tourner vers les tribunaux pour obtenir condamnation et réparation.
Droits des femmes et Révolution culturelle
Il resterait à accomplir d’après le mouvement néo-féministe actuel une révolution culturelle qui consisterait à dépister, traquer toute conduite humaine masculine qui aurait le sens d’une agression sexuelle, soit en punissant leurs auteurs par le biais des tribunaux, soit en amont par les dénonciations sur la place publique, à l’aide de campagnes d’opinion. Ces façons de procéder sont-elles en accord avec les principes démocratiques comme les droits de la défense et n’imposent-elles pas dans l’esprit du public de nouveaux préjugés : l’homme mis en cause est toujours coupable, la femme par essence ne ment pas, ne manipule pas, est incapable de conduites lâches ou complaisantes...
Pour expliquer la poursuite des violences contre les femmes dans un état de droit les néo-féministes ont inventé de nouveaux concepts comme celui de l’emprise : l’essence de la femme en fait une victime à vie, lorsqu’elle n’utilise pas ses droits, c’est qu’elle est sous emprise !
Et si paradoxalement, ce concept d’emprise fondait une régression du droit des femmes ? Dans des pays comme l’Arabie Saoudite, l’Algérie, le statut de la femme la place sous tutelle masculine, elle a nécessairement besoin d’un père d’un mari, d’un frère pour sa vie quotidienne (accès à l’éducation, au travail, à l’héritage), dans notre démocratie une femme sous emprise se définit comme non responsable juridiquement elle a donc besoin d’une aide et cette aide devra lui être fournie de l’extérieur, par exemple par les associations féministes... La femme n’étant plus reconnue comme libre et responsable avec le risque de faire de mauvais choix (qui n’a jamais fait de mauvais choix dans sa vie ?) elle perd sa capacité de discernement personnel, elle perd son autonomie. C’est toujours « l’autre » qui est responsable de la situation qu’elle vit.
N’assistons-nous pas là, à un tour de passe-passe juridique, philosophique qui confirme une régression du statut de la femme ?
La liberté peut-elle être donnée de l’extérieur ? Est-elle à conquérir par un cheminement personnel que l’on définira comme émancipation ?
Une personne humaine qui renonce au retour sur soi, à la réflexion éthique sur ses actes, sous prétexte de son sexe, de sa couleur de peau, de son âge n’assume plus sa liberté. Elle gomme sa participation au mal, et sa contribution personnelle à l’injustice, soyons concret : une femme cède à son patron pour obtenir une promotion, par son acte elle confirme à son environnement 1° que son travail n’a pas de valeur 2° que le travail de toutes les femmes dans l’entreprise n’a pas de valeur 3° que l’injustice est la règle ! Supposons, que malgré la relation sexuelle cette salariée n’obtienne rien, ne peut-elle pas porter plainte devant les tribunaux du fait de l’emprise de son patron sur elle et obtenir réparation ?
Certains témoignages du mouvement « Me too » non seulement dévoilaient que les actrices étaient soumises à un tribut sexuel pour obtenir des rôles mais attestaient de la contribution des actrices à ce système corrompu, elles avaient intégré que pour obtenir un rôle il fallait en passer par là ! Idem pour d’autres métiers comme celui de mannequin. Le mouvement médiatique ne s’est pas beaucoup penché sur le lien à établir entre les hauts salaires de ces professions et la corruption qu’ils peuvent engendrer !
État de droit et Ordre Moral
Mais le plus grave de l’utilisation abusive de nouveaux concepts comme « l’emprise », « la victime » et de la pression des mouvements d’opinion sur l’appareil judiciaire, ne réside-t-il pas dans le glissement du champ de la justice démocratique à l’Ordre Moral avec ces définitions sans nuances et autoritaires (3) du Bien et du Mal ?
À l’encontre d’une réflexion personnelle éthique qui s’interroge : « Mon désir peut-il s’affranchir du désir d’autrui ? », à l’encontre de la réflexion des conséquences de mes actes sur autrui, son intégrité physique et psychologique, l’Ordre Moral, réduit la complexité des choix d’une « difficile liberté » (4), la mienne, à une position caricaturale : si je suis un homme je suis prédateur, si je suis une femme je suis une proie sans défenses ! Souvenons-nous d’une période où l’Ordre Moral a sévi aux États-Unis : une période exemplaire de ce point de vue est celle du Maccarthysme où la démocratie a sombré dans « la chasse aux sorcières » avec ses milliers de condamnations anti-communistes, ces vies brisées d’hommes et de femmes chassés de leur emploi ou déshonorés par l’exposition publique de leur intimité (découverte de leur homosexualité dans une Amérique homophobe). Le mouvement anti-communiste du sénateur Mac Carthy a substitué aux patientes enquêtes judiciaires un lynchage médiatique qui condamnait à priori les personnes désignées comme traîtres à la patrie !
Avant de joindre nos voix à l’indignation générale pour tel ou tel comportement d’une personne désignée nommément sur la place publique (personne remarquons-le qui s’adapte toujours très bien à une construction idéologique) ne devons-nous pas nous obliger au discernement, à la modération et douter de notre capacité à faire justice ?
Cité terrestre, Cité de Dieu
Si nous prenons en compte les jugements de saint Augustin dans La Cité de Dieu nous admettrons avec lui que la Cité terrestre ne sera jamais juste au sens où nous ne pourrons jamais en extirper la violence, la jalousie, la concupiscence, le désir de domination.
Nous-mêmes, dans nos propres relations humaines sommes-nous exempts de toute participation active ou passive à la violence sur autrui si nous définissons qu’est violent vis-à-vis d’autrui tout comportement, tout acte auquel il n’a pas donné son consentement. Le désir amoureux peut dissimuler la violence s’il ne se double pas d’une conscience de soi et si l’on partage avec Emmanuel Levinas (4) que « la conscience de soi n’est pas une inoffensive constatation qu’un moi fait de son être, elle est inséparable de la conscience de la justice et de l’injustice ». Le désir amoureux dont l’éthique est absente nous porte à croire ce que nous avons envie de croire.
L’amour est-il possible entre deux Ego dans la Cité terrestre ? Saint Augustin ne le croyait pas, lui qui s’est tourné vers l’amour de Dieu après une vie amoureuse remplie d’injustices, si nous ne le suivons pas dans sa foi retenons son esprit de modération dans les affaires humaines que nous interprétons librement pour notre époque
" Aimer au mieux pour une relation profonde et durable, au pire pour un plaisir éphémère sans préjudice pour l'un et l'autre des partenaires "
Christiane Giraud-Barra
(1) Essai sur le Politique (XIXe XXe) Claude Lefort, éd. Esprit(2) American Psycho. Bret Easton Ellis, éd Points
(3) L’autorité prenant sa source dans le mouvement d’opinion.
(4) Difficile Liberté. Emmanuel Levinas. éd. Livre de poche-essais. Dans cette suite de conférences EMManuel Lévinas éclaire la relation fondamentale entre liberté et choix éthique « L’exercice normal de mon moi qui transforme en mien tout ce qu’il peut atteindre et toucher, est mis en question. »
(5) Il a répudié sa concubine qu’il aimait beaucoup et a gardé leur enfant : cf. Les confessions de saint Augustin.