La colonisation (laquelle ? quand ? où ?…) est-elle un crime contre l’humanité ?

Publié le par Garrigues et Sentiers

Après avoir été louée, pendant plus d’un siècle, comme une forme de diffusion de la « civilisation » (à l’époque, ce mot se mettait au singulier, car on ne pouvait pas penser, avant les travaux des ethnologues, qu’il pût y en avoir plusieurs) et un élément de « grandeur » des pays colonisateurs, la colonisation a, aujourd’hui, mauvaise presse, parce qu’elle représente une forme de violence faite à d’autres peuples.
Mais est-il, pour autant, nécessaire, opportun ou juste de parler de crime contre l’humanité à son propos ? Cette expression a été définie par le Tribunal militaire international de Nuremberg, en 1945 : comme « l’assassinat, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation et tout autre acte inhumain inspirés par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux et organisés en exécution d'un plan concerté à l'encontre d'un groupe de population civile.

Si l’on passe sur l’erreur de méthode initiale qui consiste à confondre colonisation et guerres coloniales y afférentes, il faut constater que les guerres coloniales ont bien commis des crimes. Mais toutes les guerres ne le font-elles pas ? Les guerres font des morts, on le redécouvre à peine. Et celles-ci ont été le plus souvent plus qu’un crime, une inutile erreur. En Algérie, il y a eu des douleurs, de la répression, des exactions, des crimes, mais pas comme un « plan concerté d’extermination des populations », ce qui serait contradictoire avec une intention dénoncée d’exploitation de ces mêmes populations.
La colonisation est un moment de l’histoire, donc un moment du passé qu’il faut resituer dans son contexte, où la force primait encore le droit, parce que celui-ci n’était pas encore clair dans ce domaine. Le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » est un concept qui a moins de 100 ans, formulé par le président Wilson à la fin de la 1e Guerre mondiale, mais déjà mal appliqué par la SDN (et par les EU eux-mêmes qui n’ont pas fait partie de la SDN). C’est donc un péché d’anachronisme, le plus mortel en histoire, de reprocher aux nations qui, depuis le XVIIe, surtout au XIXe jusqu’au XXe siècle ont lancé leurs flottes à la mer et se sont installées sur d’autres rives, avec d’ailleurs des mobiles très variés : exploitation des richesses minières ou agricoles des pays colonisés, lutte d’influences, colonies de peuplement…, voire gratouillis missionnaires (NB. : pas dans le cas de l’Algérie car, après la conquête, les prêtres se sont vu interdire non seulement toute tentation de conversion des « indigènes » , mais simplement d’apprendre l’arabe.
En outre, il n’est pas inexact, même si ça fait bramer la (rive) gauche, que la présence française n’a pas eu que des effets négatifs. Les infrastructures bâties, les défrichements de zones malsaines et inexploitées, même si elles ont surtout servi aux colonisateurs, ont également profité aux autochtones ; les écoles, quoique longtemps insuffisantes en nombre, n’en n’ont pas moins permis la constitution d’une élite locale ; la médecine a probablement été l’une des meilleures réussites (recul de la tuberculose, du glaucome, de la malaria et autres maladies). Je sais que ce sont des arguments malheureusement utilisés par l’extrême droite, ils n’en correspondent pas moins à une partie de la réalité.
J’aimerais qu’un jour on maudisse définitivement les impérialismes, causes de souffrances et de malheurs, mais alors tous les impérialismes, et depuis le néolithique. Car si l’on reproche aux Français, aux Anglais, aux Néerlandais, aux Espagnols, aux Portugais, etc. leurs débordements coloniaux, pourquoi ne pas parler de la violation de la Gaule par César, des Grandes invasions des IVe au IXe siècles, de l’invasion de l’Islam à partir du VIIe siècle chez des peuples de l’Atlantique à l’Indus, qui n’en avaient rien à faire (ce n’était pas une pudique expansion de l’Islam, etc. Pourquoi ne pas dénoncer les « génocides » de Gengis Khan (et demander des réparations aux Mongoles), et celui des États-Uniens contre les Indiens ? (ils ont régulièrement des procès pour cette raison) etc.
Au fond, M. Macron, en employant sa formule malheureuse, a tout simplement cautionné l’argumentaire du président algérien Bouteflika, qui avait qualifié la présence française en Algérie de génocide. Une population qui passe de 1 à 9 millions d’habitants en 130 ans, c’est un génocide dont auraient rêvé les juifs d’Europe entre 1933 et 1945…

Outre la bêtise historique, la phrase de M. Macron est une faute politique. Elle va lui aliéner les voix d’une grande partie des pieds-noirs (dont beaucoup louchaient vers lui, j’en ai encore eu des témoignages dans des rencontres de hasard, sans pour autant lui en rendre de la gauche anticolonialiste, qui le considère comme un arriviste de droite. C’était donc aussi une erreur.
Et il lui faudrait réviser son histoire récente, car dire, en outre, à des « réfugiés » d’Algérie (pieds-noirs ou harkis) : « Je vous ai compris », c’est d’une naïve inconscience, une bévue irresponsable ou une inutile provocation.

Marc Delîle

Note du blogmestre : 1000 excuses à mon ami rédacteur de ce texte pour le trop long délai de mise en ligne de cet article.

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M
RÉPONSE AU COMMENTAIRE DE BRUNO A PROPOS DE «LA COLONISATION EST ELLE UN CRIME CONTRE L’HUMANITÉ ?».<br /> Cher Monsieur, ou vous m’avez lu un peu vite et avec prévention, car je ne déroulais pas un «anti-colonialisme» primaire à la mode, ou bien je me suis exprimé de façon insuffisamment claire. Peut-être un peu des deux.<br /> Je ne peux qu’être d’accord avec vous sur cette évidence d’aujourd’hui, et je croyais l’avoir dit : « La colonisation est bien un crime car fondamentalement elle nie la qualité d'humain aux colonisés ». Mais je n’idéalise rien du tout ; je constate les faits et essaie de les expliquer, ce qui est proprement le travail de l’historien.<br /> Cette confession faite, je réitère : en histoire, il y a un aujourd’hui et un hier, et même un avant-hier. Si l’on veut comprendre des événements passés, il faut tenir un compte rigoureux de la chronologie. L’anachronisme nous l’interdit. Vous n’allez pas reprocher à Galilée d’avoir ignoré que E= MC2 : il n’était pas pour autant un sous-doué, mais il pensait le monde avec les outils intellectuels et moraux dont il disposait. Cette autre évidence s’applique aux divers secteurs de l’histoire, dont la colonisation.<br /> Jusque, disons, à la moitié du XIXe s., les moteurs de la colonisation étaient divers, mais les intérêts économiques et géopolitiques dominaient. Rares étaient les personnes qui se posaient des questions morales à son sujet. Las Casas, admirable défenseur des indiens de l’Amérique espagnole, a d’abord accepté (il l’a regretté ensuite) l’«importation» d’Africains pour dispenser ses protégés des travaux exténuants des mines et des haciendas. En Europe, Montaigne est un des « esprits éclairés» (avant Jaurès et Clémenceau) choqués par ce qui se passait en Amérique espagnole. Il y en a toujours eu, mais ils n’ont été vraiment suivis que dans les 150 dernière années. L’abolition définitive de l’esclavage en France ne date que de 1848 sous l’impulsion de Victor Schœlcher. L’ouvrage «Race et histoire» de Claude Lévi-Strauss — écrit à la demande de l’UNESCO et confirmant pour un grand public que les «races», en tant que signe de différences de niveaux d’humanité, n’existent pas — ne date que de 1952.<br /> L’anticolonialisme n’est apparu comme une position humainement «naturelle» et exigible, devenue active et indiscutable, que depuis la fin de la seconde Guerre mondiale (= la «décolonisation» !). C’est très mal, bien sûr, d’avoir attendu si longtemps, mais c’est un donné, une réalité historique qu’on ne peut changer. En soi et selon nos critères actuels, on pourrait parler de « crime contre l’humanité», mais ce n’était pas ceux de ces époques. Ils avaient tort, comme avaient tort ceux qui croyaient que le soleil tourne autour de la terre. Mais… L’évolution c’est aussi cela : progresser dans les exigences morales (si ce mot ne vous paraît pas obscène) en fonction de l’état des sciences aussi bien physiques qu’humaines.<br /> Quant aux méfaits (absolus) ou les bienfaits (partiels) de la colonisation, je laisse à votre jugement, une fois éclairé, ce que vous en pensez, mais ne m’accusez pas «d'amalgames dont le but est de noyer le poisson », ce que vous supposez être une manœuvre volontaire de ma part pour masquer une vérité, serait une accusation injurieuse et gratuite, car les faits allégués existent bien, et durent parfois encore (comment définiriez vous la politique marocaine vis à vis des sahraouis ? Ou de la Russie face à l’Ukraine ?). Et, là encore, je répèterai si l’on condamne le colonialisme, il faut condamner tous les colonialismes, de même pour les racismes. Il faut distinguer connaissance et militance. <br /> Pax tecum
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M
Tu as tout compris, Marc. Comme toi, je juge les guerres coloniales des XXe et XXIe siècles injustes, absurdes, illégitimes… bref, criminelles, d’autant qu’elles ont été ou sont en outre inutiles. Quant à la colonisation européenne entre le XVIe et le XIXe s. (où mettre le curseur ?), je la classerai, avant jugement moral, parmi les «faits historiques» majeurs (non, elle n’est pas un «détail»). Ils ont eu lieu ; on peut, aujourd’hui, le regretter, condamner leurs excès et leurs crimes factuels, mais pour comprendre ces phénomènes expansionnistes complexes (qu’ont connu d’autres civilisations sous d’autres formes : Arabes à partir du VIIe s., Aztèques entre le XIVe et le XVIe s., Russes au XVIIIe etc.), il faut se demander ce qu’ils représentaient pour leurs contemporains. Sauf quelques esprits éclairés, les gens ne disposaient pas, le plus souvent, de l’»outillage mental» pour les apprécier négativement. Surtout, comme tu le rappelles, qu’ils avaient l’idée derrière la tête, inculquée par l’école, la presse, les déclarations d’hommes politiques, que les autres leurs étaient inférieurs, idée fausse, bien sûr, mais assez répandue jusqu’à une époque très récente (et a-t-elle vraiment disparu ?). Les inuits et quelques peuples amérindiens ne se considéraient-ils pas comme les «vrais hommes» ?<br /> Un apport «colonial», peu cité, véritablement ambigu mais malgré tout réel : la langue. L’Afrique compte 2011 langues. Quatorze (0,7 %) ont un statut de langue officielle, parce que les populations sont pulvérisées entre des centaines d’ethnies parlant des langues trop peu répandues ou posant problèmes pour les échanges, par exemple celles qui sont parlées par peu de gens, ou restent pas ou peu écrites. Les colonisateurs ont imposé l’emploi de la leur, c’est incontestablement une forme de violence culturelle, mais, aujourd’hui, le français, l’anglais, le portugais, l’arabe etc. permettent à l’ensemble des Africains de communiquer à l’extérieur des tribus, entre les pays africains, et aussi avec le monde.
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B
Monsieur Delile, vous parlez d'une colonisation bien peu concrète, très idéalisée. <br /> Constatons d'abord que la colonisation en Algérie et la colonisation en Afrique Noire sont deux phénomènes très différents.<br /> Pour l'Afrique noire que je connais mieux, la définition de crime contre l'humanité s'applique. Dans l'entre deux guerres, l'organisation du travail obligatoire : déportation des jeunes pour quelques années sur des chantiers comme le train Congo-Océan font beaucoup ne sont jamais revenus.Albert Londres témoignait que ce chantier a fait plus de morts que de traverses sur la ligne. <br /> Il s'agit bien de "la réduction en esclavage, la déportation ... inspirés par des motifs politiques, ..., raciaux ...et organisés en exécution d'un plan concerté à l'encontre d'un groupe de population civile". L'existence de Zoos humains en France jusque dans les années 30 peut être assimilé à une déportation. L'argument que la colonisation ait pu apporter des choses positives ne tient pas. Certains allemands témoignent par exemple que la délinquance a baissé pendant la période NAZI, et pour cause. <br /> Ceci dit l'instrumentalisation par Macron est insupportable. <br /> enfin, il n'y a rien anachronique là dedans. Certains esprits éclairés (Jaurès, Clémenceau) se sont opposés à la colonisation, car ils ont bien perçu le caractère raciste.<br /> Enfin votre article est plein d'amalgames dont le but est de noyer le poisson. <br /> La colonisation est bien un crime car fondamentalement elle nie la qualité d'humain aux colonisés. <br /> Bien à vous
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M
Mais j'en veux à César, moi Gaulois invétéré, et je ne pardonne pas tout à Napoléon (si ce n'est que les "autres" voulaient aussi sa perte). La colonisation qui nous révolte viscéralement est la colonisation récente (depuis le 19ème siècle) parce qu'elle n'est pas assez lointaine dans le temps pour que nous ne nous sentions pas impliqués (mon arrière-grand-père est né en 1809!). Ce qui me révolte est non seulement cet esprit de conquête des autres (il ne s'agit pas des guerres ordinaires entre Anglais et Français, ou autres, qui sont mitoyens et donc se disputent sans cesse) mais de "vol" violent de territoires propriétés d'autres peuples. Ce qui me révolte est notre idée de supériorité : les colons, même le petit peuple qui ne participait pas aux choix, étaient d'une "race supérieure" et l'organisation des colonies le faisait passer dans les faits. On se plaint que les Arabes, ou les Africains noirs gardent des coutumes, s'habillent avec des burkas ou autres, mais les colons ont gardé leurs habits européens et tellement bien qu'ils étaient le signe d'un être civilisé. Le colonisé qui voulait être respecté se dépêchait d'adopter ces nouvelles coutumes vestimentaires. Nous avons organisé en France les villes-ghettos pour les immigrés, qui sont les quartiers périphériques tristement célèbres, alors que nous avons organisé des quartiers ghettos dans les villes colonisées qui regroupaient les Européens dans un luxe inabordable pour les colonisés. Ceci dit, nous avons apporté des améliorations aussi, tout comme les Romains chez les Gaulois, et je le reconnais parfaitement, cela me laisse cependant un goût amer.<br /> Quant à Monsieur Macron, de telles déclarations sont tellement le résultat de petits calculs de communicants qu'il ne vaut pas la peine de s'en préoccuper sauf pour dire à ce genre de messieurs qu'ils perdent toute crédibilité à courir ainsi derrière les voix, à n'importe quel prix.
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