Vous avez dit « dualité » ?
Ce texte répond à l’article de Bernard Ginisty L’intelligence de croire
Largement d'accord avec le compte-rendu de Bernard Ginisty sur L'intelligence de croire du Père Valadier.
La dualité, on la rencontre effectivement à tous les coins de la vie humaine : elle est, dans sa tension même, créatrice. Le va-et-vient de ce qu'on appelle la dialectique, fondée sur l'existence de deux réalités, qui se présentent souvent comme deux vérités, dont il convient de résoudre l'apparente opposition, est la voie royale pour une progression de la pensée. La Somme de saint Thomas d'Aquin procède de la démarche : thèse, antithèse, synthèse.
Aux mises en garde de l'auteur, en particulier à propos des risques que comporte le fusionnel dans un groupe, je me permettrai d'en ajouter au moins une : la "dualité, si elle est créatrice" peut également devenir un danger en figeant une image finalement comparative en un absolu explicatif.
Reprenons la fin de la dernière citation de Valadier ; « Jamais l’homme sans la femme, jamais l’âme sans le corps, jamais le spirituel sans le temporel ». Sans doute, mais pendant des siècles (et ce n'est pas fini), le corps social, Église comprise, a tiré de ces paires érigées en catégories contraignantes une conséquence négative.
En assimilant l'homme à l'âme et au spirituel, et la femme au corps et au temporel – vision aristotélicienne plutôt que chrétienne – on a sacralisé une inégalité dont on n'est pas encore sorti. En effet, l'âme est plus que le corps (bien que, comme disait mon confesseur « on n'a jamais vu une âme sans un corps » !), et le spirituel (à condition de savoir de quoi on parle) plus que le temporel. L'association homme/femme a fortement souffert de ce type de comparaison.
Sur le plan "politique ", à la fin du XIe siècle déjà Grégoire VII avait formulé le principe : le pape avant l'empereur (Querelle des Investitures, qui est de fait une lutte de pouvoirs). Boniface VIII a lancé le bouchon plus loin en liant le salut à la soumission au pontife romain. (Bulle Unam Sanctam de 1302).
Si on ajoute à ces couples parallèles mais déjà inégaux, car Dieu est plus que l'homme dont il est le chef, et la femme moins que celui-ci puisque son chef (= sa tête) est l'homme (1Corinthiens 11,7), certaines autres phrases de saint Paul – parfois mal interprétées dès le christianisme primitif – sur la soumission requise de la femme (Éphésiens 5,21) etc., on risque d'établir et justifier une inégalité de longue durée.
La comparaison de l'union de l'homme et de la femme à celle du Christ avec son Église a longtemps été fatale à une dignité équivalente de la femme dans la famille. Elle a faussé l'équilibre du couple humain en le caporalisant. D'un couple complémentaire (à condition de ne pas figer l'un ou l'autre "genre" dans un rôle préjugé) on a fait un couple antagoniste.
Cette injustice a rendu utile et légitime la révolte féministe, même si elle dépasse parfois son objet : l'égalité des sexes.
Dualité sous bénéfice d'inventaire ?
Albert Olivier