Le Pape est un homme libre
Contre la mondanité ecclésiastique, le pape choisit la politique de la chaise vide. Retour sur un acte de désobéissance papale, le 101e jour de son pontificat.
Le pape est
un homme libre. Il veut bien assumer la fonction suprême dans la hiérarchie catholique, mais pas comme un prisonnier de la gangue protocolaire ou mondaine qu’impliquait jusque-là le job.
L’exemple sans doute le plus fort de cette liberté papale est le geste qu’a posé François, samedi 22 juin, tablant sur l’intérêt médiatique autour des 100 jours de son pontificat, en n’allant pas
assister à un concert donné en son honneur à l’occasion de l’Année de la foi. Alors qu’au Vatican, 6000 personnes l’attendaient dans la grande aula Paul VI, il a fait savoir qu’il ne pouvait pas
venir en raison d’une “tâche urgente et impossible à reporter”, sans donner plus de précision, laissant en plan des centaines d’invités et surtout l’orchestre de la Rai. La 9e
symphonie de Beethoven a été jouée en son absence.
Un spectacle de prestige ? Le Vatican a toujours été coutumier de ce genre de happening où se presse le gratin d’une certaine société romaine aimant mêler divertissement et mondanités, avide de se retrouver et de côtoyer les monsignori de la Curie, eux aussi friands de contacts et d’échanges. Or, c’est la quintessence de ce que déteste Jorge Mario Bergoglio par dessus tout : la mondanité ecclésiastique. Il n’a cessé de la fustiger, d’abord comme archevêque de Buenos Aires, puis comme pape. Derrière cette mondanité se trouve le danger de la corruption de la hiérarchie par les honneurs, ou les “généreux donateurs”. Les Vatileaks ont révélé l’an dernier que de nombreux individus, avides d’avoir leur photo avec le pape, grenouillent autour du Saint Siège, et font pression en haut lieu moyennant le carnet de chèques.
Au lieu de savourer Beethoven, le pape a assisté à la rencontre de tous les nonces apostoliques, tous présents à Rome, ce qui ne s’était pas vu depuis des années, selon Frédéric Mounier, de la Croix. Selon le vaticaniste italien Giacomo Galeazzi, le pape aurait confié à des proches la raison profonde de sa défection :« Je ne suis pas un prince de la Renaissance qui écoute de la musique au lieu de travailler ».
Même si cette dernière phrase n’était pas avérée, et même si des commentateurs affûtés comme le vaticaniste John Allen nous invite à ne pas surinterpréter cette “chaise vide“, ce geste semble très parlant. Le pape rejette la mondanité de la Cour, la vanité des courtisans. Pourtant, il accepte de gouverner au sommet : quoi de plus régalien que la rencontre avec l’ensemble de la diplomatie vaticane ?
Le choix de Bergoglio ne pas aller au concert donne tout son poids à ses paroles antérieures de dénonciation de la mondanité. Il ne se contente pas de parler, mais d’agir, y compris avec une forme de “violence“ calculée. Car le pape prend sciemment le risque de déplaire profondément à ceux qui ont organisé le concert, et de s’en faire des ennemis, même s’ils garderont le sourire devant lui. D’autant plus que le lendemain, le pape n’a pas ménagé son temps pour accueillir des enfants venus en train jusqu’au Vatican. Il cherche ainsi à mettre sous pression ceux qui, au Vatican, ont des intérêts dans le système mondain.
Cette prise de risque montre le prix que le pape est déterminé à payer pour faire preuve de sa liberté. Déjà, son choix de ne pas habiter les appartements pontificaux avait paru comme une forme de résistance au système de cour qui prévaut au Vatican, où l’on parlait auparavant du “palais apostolique“ avec une nuance de révérence sacrée, parce que le pape y habitait. À la maison Sainte Marthe, où il a décidé de rester après son élection, le pape côtoie nombre de “simples mortels”, ou des évêques et prêtres qui y sont de passage. Le lieu est resté neutre.
L’affaire du concert renforce donc le choix de Sainte-Marthe : refus de la mondanité, refus de la Cour, mais non pas refus de la “royauté“ pontificale bien comprise, c’est à dire comme une instance de gouvernance au service des autres (via les nonces), et d’abord des pauvres, comme on l’a vu le lendemain lorsque le pape a pris son temps avec les enfants défavorisés.
Être libre, c’est aussi le mot d’ordre qui se trouvait dans l’exhortation qu’il avait adressée aux nonces, la veille du concert : « céder à l’esprit du monde pousse à agir pour sa propre réalisation et non pour la gloire de Dieu. C’est une sorte de confort bourgeois de l’esprit et de l’existence qui nous pousse à s’adapter afin de s’octroyer une vie commode et paisible… Or nous sommes des pasteurs, ce que nous ne devons jamais oublier. Les représentants pontificaux sont des pasteurs qui assument une présence sacerdotale… ».
Et le pape ajoutait, concernant la sélection des futurs évêques, qui leur incombe : “Soyez attentifs à ce que les candidats soient proches des gens, soient humbles, patients et miséricordieux, sensibles à la pauvreté intime entendue comme liberté pour le Seigneur, et extérieure comme mode de vie simple et austère. Qu’ils n’aient pas une mentalité aristocratique, ne soient pas animés par la simple ambitions de devenir évêques.“ En quelque sorte, des hommes libres, à la fois de leur besoin de reconnaissance, mais parce que non “achetables”, et donc capables d’être à la hauteur de leur mission.
Être libre, c’est aussi le message qu’il a adressé aux jeunes, lors de l’Angelus du 23 juin, en évoquant le martyre de la quotidienneté au service de la vérité. « N’ayez pas peur d’aller à contre-courant, lorsque l’on vous propose des valeurs avariées, comme peuvent l’être des aliments, ayez cette fierté d’aller à contre-courant. En avant ! »
Être libre, c’est aussi la possibilité dénoncer des vérités qui dérangent et de dénoncer des travers de l’Église, ce que fait sans cesse le pape François... Et on peut se demander si l’importance que le pape apporte à la question de la pauvreté de l’Église n’est pas aussi une volonté claire de plaider pour sa liberté. François d’Assise n’a-t-il pas dit que le problème de la possession des biens est la peur qu’on a de les perdre, le souci qu’on a de les protéger ? La pauvreté de l’Église, si elle lui permet de mieux rejoindre les périphéries existentielles et les pauvres eux-mêmes, lui donne aussi sa liberté fondamentale, foncière. Voilà sans doute le message essentiel des 100 premiers jours du pontificat.
Jean Mercier pour lavie.fr