Qui dites-vous qu'elle est ?
Tour d'Ivoire, Trône de la Sagesse, Reine des Anges...
J'avoue avoir été irritée par ce chapelet de titres. Peut-être même le suis-je encore un peu. Irritée. Parfois du
moins.
Puis il y a pire qu'irritée. C'est écrasée.
Quand adolescente, « en aumônerie », il nous avait été proposé de dire à quelle femme nous souhaiterions
ressembler, j'avais dû tout bêtement, tout naïvement, citer le nom d'une quelconque chanteuse à la mode de cette époque. Et quand avait été citée en exemple celle qui avait eu la bonne idée de
répondre « la Sainte Vierge », je m'étais sentie un peu honteuse de n'avoir pas pensé à cette réponse magistrale.
Magistrale et écrasante (comme parfois ce qui est magistral).
Alors de l'irritation à l'écrasement se fit en moi le passage à la révolte.
D'abord on ne nous dit pas grand-chose de la Sainte Vierge dans les évangiles.
Bien pratique pour en dire ce qu'on veut. Ce qui nous arrange.
Ensuite elle n'a aucun mérite à tant de perfections énumérées, puisqu'elle est conçue sans péché. Et c'est la théologie
qui nous le dit.
De là à envoyer Marie et, tant qu'on y est, l'Église et la Religion au diable, il n'y a qu'un pas. Vite franchi quand
on a quinze ans.
Quelques années plus tard on intellectualise davantage.
Il y a d'un côté les hommes qui ont besoin d'une mère sublimée, de l'image d'une femme parfaite et du coup suffisamment
lointaine pour qu'elle ne vienne pas trop les embêter dans leur vie d'hommes quand même (voire dans leur vie d'hommes religieux, c'est-à-dire, entre autres, sans femme !).
Et puis, de l'autre côté, les femmes qui savent d'avance qu'elles n'arriveront jamais à la cheville de cette femme
parfaite (est-elle d'ailleurs encore femme ?) et qui, encore une fois, ne peuvent que s'écraser, ou bien se révolter.
« Par nature », je pencherais plutôt pour la deuxième solution. Mais, voyez-vous, cette nature-là, j'aime à
croire que je la tiens plutôt de Dieu et de la révélation que nous en a faite le Christ que d'ailleurs (d'où d'ailleurs ?).
J'ai entendu dire qu'on allait souvent au Christ par Marie. Personnellement, c'est plutôt le Christ qui me révélerait,
me restituerait le visage de sa mère. C'est ainsi.
Il m'en a fallu des années, du travail, des rencontres pour découvrir que le Christ est justement avec ceux qui se
sentent parfois un peu écrasés de ne pas correspondre au modèle que d'autres voudraient leur voir endosser, avec ceux qui se sentent parfois un peu honteux de n'être que ce qu'ils sont, et qui,
d'autres fois, revendiquent fièrement de n'être que cela, des hommes, des femmes.
Je n'ai jamais beaucoup aimé la Sainte Vierge.
J'aime Marie.
Comme une femme reconnue dans sa liberté de dire oui oude dire non.
J'aime Marie en chemin, joyeuse et confiante.
J'aime Marie qui n'en dit pas beaucoup, mais qui n'en pense pas moins (ça s'appelle méditer dans son
cœur…).
J'aime Marie fidèle à l'amour jusque dans la mort.
Comme ça, Marie, je l'aime.
Je ne suis sans doute pas parvenue à une telle liberté, une telle confiance, une telle fidélité, à un tel amour en un
mois.
Mais sur ce chemin-là, je sais que j'ai une compagne à qui je pardonnerais presque d'être conçue sans
péché !
Et vous, qui dites-vous qu'elle est ?
Corinne FENET