"Ma" Marie à moi
Marie, mère de Jésus, est pour moi la figure même de la foi : celle qui a eu en son Dieu une confiance totale, mais
non pas aveugle notons-le, car elle cherche à comprendre ce qui lui arrive, qui était humainement impossible dans la logique même des lois de la création : « comment cela se
fera-t-il, puisque je ne connais pas d'homme ?... ». Mais une fois l'explication donnée, elle "plonge" dans l'inconnu de la
recréation sans hésitation : « Fiat » (la parole même du Créateur au matin du monde). Et puis, elle a aussi une totale
confiance en son fils, sans toujours, là encore, comprendre complètement ce qui leur arrive à lui et à elle, et dont elle garde les manifestations en son coeur, comme à Cana. Sa confiance nous
ouvre la seule voie à suivre : celui qui est la voie, non dans une rêverie pieuse mais dans l'action : « Faites tout ce qu'il vous dira »... Dans son abandon, Marie
n'est ni tiède, ni passive, ni " béni oui-oui ". Simplement, elle est patiente et compatissante, et elle nous apprend à attendre et à compatir.
Alors oui, j'ai de l'admiration à son égard et une tendresse, qui
essaie de n'être ni mièvre ni doucereuse, qui essaie de s'accoutumer de sa perfection et tente de s'y conformer. Elle nous rend humbles aussi lorsque nous osons comparer notre vie et notre foi
aux siennes. Elle nous rend respectueux de ce qu'est la vraie " sainteté " : être à l'écoute de Dieu et réceptif à sa volonté.
C'est pour cela que la "mariolâtrie" m'est insupportable. Je peux la comprendre chez certaines personnes malades, abandonnées, usées par la vie et ses malheurs. On a
tellement répété jadis que Dieu était lointain, impitoyable, qu'il fallait bien trouver un intercesseur plus " humain ", surtout qu'il s'agissait d'une femme, genre traditionnellement
ressenti comme plus sensible aux autres. Il n'est même pas nécessaire ici de soulever la question d'une récupération voulue par l'Église de la figure de la déesse-mère si répandue à l'époque
autour du bassin méditerranéen, en lieu et place d'une jeune croyante juive. Mais ces faux honneurs dont on veut la couvrir - elle et, parfois, elle seule - sont presque une injure à la
mère de Jésus toute entière tournée vers la " Gloire " de son Fils, comme si bimbeloterie et chiffons chamarrés pouvaient ajouter quoi que ce soit à la sienne : être la mère de
Jésus, " bénie entre toutes les femmes ".
Il y a, en outre, parmi les dévotions mariales bien des aspects
superstitieux voire magiques qui frisent l'idolâtrie et paraissent en contradiction avec le peu que les évangiles nous disent sur une femme humble et paisible. Les multiples désignations
superlatives qu'on lui attribue : " Reine " de ceci, " mère " de cela,
qui prétendent l'honorer, le font d'une manière trop humaine, trop calquée sur l'organisation de la cité terrestre, naguère encore très hiérarchisée.
On peut alors s'inquiéter du regain de la mariolâtrie tel qu'on le
perçoit depuis quelques années : multiplication des processions, pèlerinages, apparitions, dévotions topiques, recours systématique à son intercession par des prières souvent dithyrambiques
[et qui semblent toujours un peu "agressives" contre nos frères réformés]... Et ne parlons pas des titres à contenu théologique, qui irritent vraiment, comme Marie " médiatrice ".
Jusqu'à présent le magistère a réussi à ne pas le labelliser, afin de sauvegarder la médiation unique de Jésus-Christ, mais au prix de quelques contorsions verbales qui pourraient laisser croire
qu'il y aurait bien quelque chose dans ce style, qui ne serait pas inexact. Regrettons qu'on ait cru devoir dogmatiser des croyances, souvent très anciennes il est vrai, et respectables dans la
mesure où elles exprimaient une forme de foi sincère. Mais on ne voit pas très bien ce que tels concepts ou telles pratiques ajoutent aux " mystères " de Marie, sinon traduits à travers
des formules scolastiques, et plus précisément aristotéliciennes. Ainsi, l'Immaculée conception, que saint Bernard, pourtant dévot de Marie, jugeait " inutile ", est absolument
nécessaire si l'on considère que le " vase " ayant contenu l'enfant-Dieu ne pouvait être le vase d'argile, fragile et périssable de la commune humanité... Mais, si Marie était
prédestinée, quelle a été la valeur de son " Fiat " qui devait être librement prononcé ?
Prenons Marie comme elle est : la mère du Sauveur, un modèle
de foi, une vraie mère, qui a pu être tout à la fois inquiète - comme à Jérusalem, quand elle a perdu son fils de 12 ans, comme au pied de la croix, où elle perd définitivement cet enfant
pour sa vie terrestre - et forte (Stabat mater..., c'est-à-dire qu'elle se tient droite) ; forte parce que fidèle et qu'il fallait bien que
s'accomplisse un destin contre lequel elle ne regimbe jamais. Or cela déjà est extraordinaire ! Voyons Marie dans sa simplicité à Bethléem et à Nazareth.
Méditons comme elle en notre coeur. Soyons constamment prêt, comme elle, à répondre " me voici " à la sollicitation de
l'Esprit, ce sera le plus grand honneur que nous puissions lui rendre.