« La vérité vous rendra libre » ou l’art du discernement

Publié le par Garrigues et Sentiers

Je me suis longtemps demandé ce que signifiait cette phrase de Jean (1), et de quelle vérité et liberté il y est question. Voici, modestement, quelques éclairages possibles sur cette question qui me parait fondamentale pour notre foi et notre vie.

Voulons-nous être libres ?

Une lecture récente constitue un premier éclairage sur le sujet : c’est la légende du Grand Inquisiteur, extraite des Frères Karamazov, de Fédor Dostoïevski (2). Le texte met en scène le Christ qui décide de revenir sur terre dans la Séville du 16ème siècle. Mais le Grand Inquisiteur veille, l’arrête et le jette en prison : « Pourquoi es-tu venu nous déranger ? » S’ensuit une longue déclaration du Grand Inquisiteur qui met en lumière ces questions de vérité et liberté. J’en cite quelques extraits : « Il n’y a jamais rien eu de plus intolérable, pour l’homme et pour la société humaine, que la liberté ! » Il s’adresse au Christ : « Comment est-il possible que Tu n’aies pas pensé que, chargé d’un fardeau aussi terrible que la liberté de choisir, l’homme finirait par mettre en doute et par renier ton image, et ta vérité ? » Le Grand Inquisiteur revient sur ce qu’il considère être la mission de l’Église : « Nous avons corrigé ton œuvre et nous l’avons basée sur le miracle, le mystère et l’autorité (3). Et les hommes se sont réjouis d’être, de nouveau, conduits comme un troupeau. »

Ce texte pose une question fondamentale : souhaitons-nous accéder à cette liberté offerte par le Christ, ou préférons-nous faire partie du troupeau ? Sommes-nous prêts à tous les efforts et remises en cause, pour nous mettre en recherche de la vérité ?

Quelle vérité, quelle liberté ?

Je ne crois pas que le respect des règles et des rites ou l’adhésion aux dogmes fixés par l’Église nous conduisent à la vérité et à la liberté. C’est la quête permanente pour trouver la bonne réponse au message évangélique qui nous y aidera. Permanente car, pour le Christ, la liberté ne résulte pas d’une adhésion aveugle et irréfléchie, c’est une vérité qui se révèle et s’expérimente sur les chemins de la vie.

En nous appelant à la vérité, et à en vivre, le Christ laisse l’homme libre de sa réponse. C’est une caractéristique qui mérite qu’on s’y attarde : le Christ n’exige pas une adhésion, il invite, il propose une voie : « Va, et ne pèche plus » (4), affirme-t-il à la femme adultère, « Lève-toi, prend ton grabat et marche », dit-il au paralytique (5). Ce que saint Augustin résume en : « Aime et fais ce que tu veux ». Cette liberté ne nous est donc pas imposée par un pouvoir quelconque, comme le mettent en place toutes les religions (y compris la religion catholique), elle est celle d’une personne libre et responsable qui détermine elle-même ce qu’elle croit, ce qu’elle pense devoir faire, et où se situent ses engagements. Mais cette liberté-là, voulue par le Christ, n’est pas celle de la facilité, elle est, au contraire, d’une exigence extrême.

Comment discerner pour conjuguer vérité et liberté ?

Mais comment peut-on rester vrai (œuvrer en vérité), rester libre et rester, autant que possible, fidèle à l’Évangile ? Il y a, de toute évidence, beaucoup d’écueils à surmonter, qui peuvent nous empêcher de discerner où se situe pour nous la vérité, ou de prendre les bonnes décisions dans la vie de tous les jours : nous héritons d’un ADN qui nous façonne et peut être nous enferme dans des postures, nous avons un ego qui peut nous aveugler ; et il y a toujours la « facilité » qui peut nous détourner de la voie difficile où l’exigence de vérité nous conduirait.

La vérité vous rendra libre implique donc une exigence personnelle d’honnêteté, de lucidité et de discernement. Facile à dire, pas facile à faire. Quatre facteurs importants peuvent toutefois nous y aider :

  • L’importance du doute : le doute n’est pas ce qui nuit à la vérité, mais ce qui y conduit ; si l’on refuse de se remettre en question, si on est enfermé dans des certitudes irréfléchies (6), il est impossible d’accéder à la vérité ; et cela s’applique aussi, et surtout, à la foi ;
  • L’importance de la communauté : le regard bienveillant de l’autre, l’échange avec l’autre, la confrontation de nos idées avec celles des autres sont des conditions nécessaires pour accéder à plus de vérité ;
  • L’importance de la psychanalyse : comme il a été dit plus haut, notre ADN, notre ego, nos blessures mal refermées, restreignent notre capacité à accéder à la vérité ; la psychanalyse est le meilleur remède pour éclairer ces zones d’ombre qui nous empêchent de faire la lumière en nous ;
  • L’importance de la méditation : terme peut être abstrait pour beaucoup, disons concrètement le temps de prendre du recul, le temps de faire silence en soi (de taire son ego ?), pour certains le temps de contempler la beauté de la nature, pour d’autres le temps de s’ouvrir au silence de Dieu (7). C’est, me semble-t-il, le sens du mot prière utilisé dans l’Évangile, où l’on voit Jésus partir à l’écart dans le désert (8) ou la montagne (9) précisément pour discerner : « Non pas ma volonté, mais la tienne ».

Et l’intérêt de savoir discerner, c’est de nous permettre de devenir des hommes et des femmes libres dans nos actes, nos attitudes et nos engagements : libérés de nos penchants, libérés de ce qui nous tire vers le bas, libérés de ce qui nous entrave, libérés de nos frustrations, libérés de nos peurs, libérés de nos aveuglements, libérés de…, à chacun sa réponse !

Michel Bouvard

  1. Jn 8, 23.
  2. Ce texte a été repris par Frédéric Lenoir au début de son livre Le Christ philosophe, Plon 2009.
  3. L’Église, aidée en cela par le pouvoir impérial romain, s’est considérée comme le peuple élu ; elle s’est appropriée les attributs du pouvoir hiérarchique du peuple juif dans l’Ancien Testament, et s’est dotée d’une caste sacerdotale supérieure, qui se considère sacrée (en lien direct avec Dieu), et qui justifie ainsi son pouvoir sur le peuple ; cette notion de sacré n’a strictement aucune référence ou base évangélique, le terme n’apparait jamais dans les paroles de Jésus.
  4. Jn 8,11.
  5. Jn 4, 43-54.
  6. On ne peut vivre sans conviction, mais gare aux certitudes irréfléchies !
  7. 1er livre des Rois, chapitre 19 : Dieu n’est pas dans l’ouragan, ni le tremblement de terre, ni dans le feu, Dieu est dans la brise légère, celle qui permettra à Elie de trouver son chemin.
  8. Les trois tentations du Christ au désert : Mt 4, 1,11 – Lc 4, 1,13 – Mc 1 12,13.
  9. La prière de Jésus au jardin des oliviers : Mt 26, 39 – Mc 14, 36 – Lc 22, 42.

Publié dans Réflexions en chemin

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H
De formation scientifique, je confirme l'importance du doute, ainsi que la confrontation des "écritures" et des dogmes à la science (qui reste à compléter...). Aujourd'hui, certaines affirmations qui datent de plusieurs siècles sont inaudibles pour des citoyens instruits : d'où l'éloignement de l'institution "Eglise". Concernant la liberté (et le hasard), le discernement peut s'expliquer par l'observation de la nature. Parmi le "vivant", il y a deux types de reproductions : le clonage (scissiparité) et la reproduction sexuée. Le clonage ne peut faire que des êtres strictement semblables, donc sans aucune liberté. Par contre, la reproduction sexuée, avec le nombre "infini" de combinaisons des ADNs, permet de créer une infinité d'êtres différents : ce qui permet à chacun d'agir différemment, c'est à dire la liberté. Cela concerne tous les êtres vivants : animaux et végétaux, pas seulement les humains. Le hasard intervient aussi par les circonstances différentes où chacun se trouve : nous ne sommes pas prédéterminés, et cela affecte aussi notre liberté. La liberté implique aussi la responsabilité. D’où la nécessité du discernement (au moins pour les humains).<br /> Pour ce qui est des « écritures » et des dogmes, il est important de savoir dans quels contextes ils ont été élaborés et diffusés. L’Histoire et l’exégèse sont indispensables pour bien discerner.<br /> Concernant l’Ancien Testament, les dernières recherches archéologiques en Palestine et au Moyen Orient révèlent des différences importantes entre le récit biblique et les découvertes archéologiques (voir le récent documentaire passé sur Arte « L’Arche d’Alliance et les origines de la Bible », encore disponible en replay). L’exégèse permet aussi de corriger bien des erreurs de traduction ou d’interprétation. <br /> De manière générale, les nombreux textes qui ont été écrits depuis des siècles n’ont fait que compliquer à loisir le message clair de Jésus qui nous vite à l’Amour : de Dieu qui EST amour, et du prochain (d’aujourd’hui et de demain, ce qui implique de lui laisser une Terre vivable). Fraternité et Ecologie sont indissociables comme le proclament les deux encycliques de François : « Laudatio Si » et « Fratelli Tutti ».
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L
Joie si profonde de lire, si bien exposé et argumenté, le credo qu'on s'est formé librement. Notamment en puisant dans le "le temps de contempler la beauté de la nature, (...) le temps de s’ouvrir au silence de Dieu".
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L
Après relecture des plus attentives (et aussi de celle du commentaire de Henri Cousi) je me fais un devoir de remercier Michel Bouvard d'avoir une nouvelle fois ouvert un passage de notre temps dans l'intelligence du croire..<br /> Et offert ce passage à toutes celles et à tous ceux qui sont portés à ne pas croire "que le respect des règles et des rites ou l’adhésion aux dogmes fixés par l’Église nous conduisent à la vérité et à la liberté". Et qui ont eu l'intuition, ou qui ont fait ressortir de leur méditation que "c’est la quête permanente pour trouver la bonne réponse au message évangélique qui nous (...) aidera" dans nos étapes de cheminement. L'obéissance, toujours, immobilise. Le choix de la lucidité et du discernement, les remontées critiques dans les connaissances transmises, et souvent figées dans les occultations et les accaparements, opposent le libre examen à l'autorité appauvrissante qui prétend meubler les silences de D.ieu. <br /> Autant d'exigences intérieures qui en appellent à ce constat que "L’Histoire et l’exégèse sont indispensables" (Henri Cousi) pour que tous les tracés de l'intellection de l'Alliance soient explorés - dans l'humilité et le doute qui mènent aux découvertes humaines.<br /> Merci enfin à Michel Bouvard d'avoir posé cette première pierre sur la voie de cette exploration en rappelant que la "notion de sacré n’a strictement aucune référence ou base évangélique, (et que) le terme n’apparait jamais dans les paroles de Jésus".