Jésus humaniste au-delà, oui, et même au-dedans !
Lettre à Marc Durand, mon frère, en écho à son article Le rêve de Jésus est plus qu’un humanisme inspiré.
D'accord avec toi sur la récupération de l’enseignement de Jésus par une hiérarchie qui a voulu encadrer et dominer les chrétiens. On le voit hélas encore aujourd'hui malgré les maigres résultats de François. D'accord sur la terrible sacralisation comme « Fils de Dieu » ou dieu.
Tu évoques l'écoute de l’Esprit en chacun, n’est-ce pas cela le rêve et le défi de Jésus ? Joliment dit. J'apprécie. Tu crois que ce rêve de Jésus va plus loin, qu’il s’inscrit dans la relation qu’il dit avoir avec son Père. Oui tout l'évangile de Jean ne cesse de nous relater cette intimité entre Jésus et celui qu'il appelle père. Oui il ne cesse de parler de son père. Étrange, étonnant. J'avoue, je te le confesse, frère Marc : le père connais pas. Et toi ? Peux-tu me le présenter ?
En toute discrétion bien sûr, in secreto, dans un coin de sacristie... Jésus, oui je le connais un peu, un peu, à peine, en me fiant aux traces évangéliques mais déjà, il m émerveille... Le père connais pas. Toi oui ?
Jésus humaniste, bien sûr, comme tant d'humanistes, sauf que de Jésus on en a fait une religion, on l'a deifié, sacralisé... Comme on a sacralisé les prêtres et du coup les fidèles, horreur de ce mot, sont infantilisés, déresponsabilisés.
Je crois, frère Marc, que Jésus nous a sortis de la religion. On ne le dira jamais assez. Il a dénoncé et combattu les prêtres de son temps et ils lui ont fait la peau. Et l' Église s'est empressée de reproduire le système sacerdotal, de déclarer qu'il est mort pour nos péchés. Mythe et mensonge. Il est mort exécuté parce qu'il a dérangé le système, le pouvoir et celui des prêtres et du grand prêtre du temple.
Ceci dit, frère Marc, l'au-delà de l’homme ?
Oui je te rejoins et du coup, j'évoque Marcel Légaut qui écrit ceci : « Ce qui est en nous, qui n'est pas que de nous mais qui ne peut se faire sans nous ». Au point que, au risque d'être brûlé sur le bûcher, j'ose dire que ce même esprit qui a animé Jesus est aussi en nous, tel une braise sur laquelle Jésus souffle comme pour rallumer la flamme du divin, de l'amour, de la foi créatrice, de la fraternité contagieuse... On reconnaît la foi, sa fécondité disait Marcel Légaut. La croyance, aucun intérêt ; la foi crée, féconde...
Qu’est-ce que ce « plus que lui-même » ? N’est-ce pas ce que nous définissons avec le mot « Dieu » ? Eh oui, faute de mieux pour dire ce mystère...
Pour Jésus, je dirais plutôt habité par le mystère... Et c'est déjà immense sans m'engluer dans un dieu sur lequel je risquerais fort de dire des bêtises comme tant de théologiens pompeux et prétentieux sur la trinité qui fume et enfume nos pauvres cerveaux. Quand je te lis Marc, et je te cite « l’amour du Fils pour le Père dans l’Esprit », là tu me noies, comme tant de curés sur la trinité. Mais, oh miracle, tu termines ainsi : « Bref, nous ne savons rien !!! »
Socrate te rejoint volontiers : « Je ne sais qu'une chose, c'est que je ne sais rien ». Merci frère Marc pour cette confession divinement socratique ...
Dieu est-il un être ? Un Étant ? Ah voilà une belle question qui hante mon cerveau et me brûle les lèvres, cher Marc. Un être ? Une personne ? Qui a une volonté, des intentions sur nous ?
Je ne le crois pas, ça c'est le dieu antique et archaïque sans cesse imploré dans les prières officielles de la messe. Voici quelques exemples : « Ô Dieu tout puissant, accorde nous, etc. etc… »,« Père tout puissant, daigne recevoir nos offrandes etc. etc… ». Et le pire, le plus insupportable prononcée par le prêtre : « Priez, frères et sœurs : que mon sacrifice, qui est aussi le vôtre, soit agréable à Dieu le Père tout-puissant. » Quelle HORREUR ! Il faut donc plaire à Dieu par un sacrifice ??? Quelle barbarie !
Du coup la prière du Notre Père n'a plus de sens avec son « Que ta volonté soit faite ». Peut-être que ce père est au fond ce rêve de vie intime et ultime qui soupire et respire en lui, en moi et vers lequel je tends et que Jésus a appelé père. « Ce qui est en moi, qui n'est pas que de moi mais qui ne peut se faire sans moi » murmure Marcel Légaut, ce grand spirituel que j'ai eu la joie de rencontrer et qui a écrit L'homme à la recherche de son humanité. Jésus était à la recherche de son humanité et c'est déjà immense... Et nous sommes à la recherche de notre humanité. Jésus n'est pas plus dieu que Socrate ou Lao Tseu... Mais il m'invite, ils nous invitent au mystère... Je ne peux en dire plus, c'est déjà immense... Quand il parle de lui, ce Jésus, il dit le « fils de l'homme » et non pas « fils de dieu ». Fils de l'homme et donc pas encore homme, en voie d'humanité, homme en devenir. L'homme tiré de son animalité vers son humanité, vers le divin qui sommeille en lui et qui demande à naître.
Bref, Jésus humaniste et au-delà, oui Marc. Au-delà et au-dedans !
Je dirais volontiers après Jésus : « Qui me voit voit le Père », qui voit Marc, qui voit Marcel, qui voit Jean, qui voit Antoine, qui voit Christiane voit le Père. Je cite l'équipe de Garrigues Sentiers, j'espère n'oublier personne... Même si je ne connais pas le Père, j'ose croire que le divin habite chacun de nous.
Oui Marc, au-delà et au-dedans.
Pierre Castaner