L’ Animal, futur seul héritier de la terre ?
L’animal préoccupe de plus en plus l’opinion. Le scandale provoqué par la brutalité de certains abattoirs a touché le public même carnivore ! On ne peut qu’être opposé à toute maltraitance imposant de la souffrance aux animaux ; on peut comprendre aussi ceux qui, par souci de respecter des vies jugées proches des nôtres, s’abstiennent de consommer de la viande, pour ne pas avoir à les tuer.
Cependant, une manifestation de communication récente de l’association Végan ne laisse pas d’inquiéter. Pour convaincre des «spectateurs» de l’horreur d’une alimentation carnée, ses adeptes ont présenté, en plein Paris, une femme comme si elle avait été « rôtie » sur un barbecue : chair rougie barrée des traits noirs d’une cuisson au grill. Si le but était d’attirer l’attention, c’est sûrement réussi. Ce qui trouble, c’est l’éventuelle conviction sous-jacente : ici, une femme, de l’espèce humaine, n’est pas considérée, je ne dis pas comme supérieure, mais un peu différente d’un mouton.
Le débat «ontologique» sur la place des animaux dans la création n’est pas nouveau : rappelons la polémique à propos de l’« animal-machine » initiée par Descartes. On a même vu Mallebranche avancer que leurs cris éventuels ne prouvaient qu’un dysfonctionnement de la « machine » et non un signe de souffrances. La question de leur éventuelle entrée au Paradis — majeure pour les patrons d’animaux domestiques chéris — reste ouverte. Théologiquement, la destinée des animaux ne péchant pas ne relève ni du paradis, ni de l’enfer.
Le sort des animaux soucie donc, à juste titre, car le sujet touche aussi bien la morale (ne pas faire souffrir), l’économie (peut-on et jusqu’où les « exploiter » ?), l’écologie (respect de la diversité des espèces), voire les religions, certaines protègent la vie des animaux, fut-ce au détriment des hommes (pensons aux rats, en Inde, qui sont parfois entretenus dans des temples appropriés, ou aux singes chapardeurs, qui ne sont pas pourchassés).
La cause végétarienne se défend. Peut-être qu’un régime « dé-carné » serait même favorable à la santé humaine et, plus précisément, à l’alimentation de plus en plus problématique de tous les hommes, puisqu’une même surface de terre peut nourrir 10 fois plus de personnes par des productions végétales qu’en « élevant de la viande », laquelle au surplus consomme trop d’eau.
Le végétalisme intégral, excluant lait, œufs, miel, est déjà plus radical. Si nous ne consommons plus la viande ni les produits dérivés des animaux, domestiques ou sauvages, actuellement vivants, une série de sérieux problèmes va se poser qu’on ne voit guère abordés, et qui vont s’amplifier avec le temps :
1° Que va-t-on faire de ceux qui vivent présentement sur terre ? Il sera exclu de les abattre (sacro-sainte vie !), les stériliser ne paraîtrait pas plus acceptable si l’on veut respecter leurs « droits ». Va-t-on alors les loger, les soigner et les nourrir « pour rien » ? Enfin, « pour rien », ça aurait un sérieux coût.
2° Le mouvement «végan», qui suppose le refus de tout ce qui procède de la vie animale, rend l’avenir encore plus inquiétant. Où placer la limite de ce refus ? Y en a-t-il une ? Au nom de quoi en proposer ? En toute logique, pourra t-on tolérer l’usage des insecticides, ou même des antibiotiques qui éliminent de petites bêtes qui n’essaient que de survivre, fût-ce à nos dépens ?
3° Si l’on bannit l’usage du cuir, de la laine, etc., ne va-t-on pas augmenter l’emploi de matières plastiques à base de produits pétroliers, dont on sait l’impact sur la pollution du monde ?
4° Le travail des animaux resterait-il acceptable ? Merci pour les paysans des pays pauvres qui ne peuvent labourer au tracteur. Bien sûr, il devient urgent de supprimer les zoos, les aqualands, l’emploi d’animaux dans les cirques. Mais alors, au nom de quelle exception pourrait-on monter les chevaux (ou les ânes, ou les dromadaires…) ?
5° Question qui concerne la nature de l’homme, et non en premier lieu les animaux : l’espèce humaine est-elle de nature végétarienne ou omnivore ? De quelles carences risquent de souffrir les hommes strictement végétariens, sauf à se gaver de nutriments palliatifs ? Cela me fait penser à un conte charmant que je lisais à mes jeunes enfants. Un grand et fort lion tombait amoureux d’une charmante biche, qui le lui rendait bien. Le pauvre lion se trouva contraint, pour pouvoir vivre son amour, de devenir végétarien, sous peine de consommer sa bien-aimée ; le conte précisait qu’il se contentait de chèvrefeuille. Ils partaient tous deux (dans un flanc-à-flan touchant ; mais on devinait, on voyait sur l’illustration du conte, que ce lion maigrissait à vue d’œil…)
J’en poserai une dernière, à peine provocante sans être forcément une totale plaisanterie : qu’en est-il des « droits des végétaux » ? On découvre depuis peu et progressivement qu’ils possèdent, outre leur beauté et leur potentielle longévité (pensons à ces arbres pluricentenaires abattus par appât du gain), une sensibilité (des variétés de légumes ou de fruits se montrent sensibles à la musique, qui améliore leur rendement), une capacité de communications (les acacias « savent » empoisonner les koudous qui les broutent, et « prévenir » leurs voisins de l’agression subie !). Par quel privilège nous permettons-nous, prédateurs endurcis, de continuer à les récolter, les entreposer, les congeler, les éplucher, les cuire… les manger ?
Marc Delîle