La laïcité française en Europe

Publié le par Garrigues et Sentiers

Prendre part à ce débat d’actualité ressemble un peu, quand on est de culture laïque, à cette gravure des livres d’histoire de notre enfance à propos de l’Affaire Dreyfus : « Ils en ont parlé et la famille se déchire ». Pourtant, il faut redire à tous les enfants des campagnes et des banlieues que la laïcité est le levain du vivre ensemble. Elle est une forme majeure de la tolérance. Nous sommes plus proches en cela des « accommodements raisonnables » de Jean-Louis Bianco que de ses détracteurs.
La laïcité française est-elle immuable, comme gravée dans le marbre ? Que nous apprend une comparaison des laïcités en Europe (au sens de l’Union européenne). La construction européenne est-elle un projet spirituel ou laïque ?

La laïcité n’est pas intangible car elle est une construction historique

Les penseurs et les législateurs de la laïcité en France ont réalisé une œuvre pionnière et remarquable. Ils ont accommodé l’État et les religions. C’est tout cela et rien que cela : un fait historique à un moment donné dans une société donnée. Aucun d’entre eux ne pouvait imaginer les changements de paysages et les adaptations nécessaires. Nul ne savait que l’islam deviendrait la seconde religion de France et que les phénomènes religieux occuperaient une place aussi importante dans les sociétés.
Toutes les constructions historiques sont soumises à des transformations et des dépassements : la loi, comme l’État ou la Nation. Le fait de l’évolution nécessaire est entendu, il faut en tirer les conséquences. Ni crispation sur des valeurs et des pratiques qui seraient intangibles, ni accélération relativiste des déconstructions. Les partis politiques seraient bien inspirés de ne pas mettre les transformations des laïcités courantes au moulin de leurs temps programmatiques courts. Réunissons-nous pour palabrer. Prenons le temps long.

Les formes européennes de la laïcité sont infiniment variées et doivent le rester

L’Europe est un vieux tissu sans modèle. L’hégémonie de l’habeas corpus et celle de la Révolution Française ont été dissoutes dans la « balance of power ».
Les curseurs sont brouillés si l’on veut comparer les formes de laïcité en Europe. Les inventaires antérieurs sont obsolètes quand les vents du nationalisme, contre toute espérance, soufflent à nouveau à l’Est.
Le mot est dans les constitutions irlandaise et française (ainsi que dans la constitution turque, actuellement malmenée) ; mais les pratiques et les réalités sociales ont peu de rapport avec les textes. Entre la Belgique, où la laïcité et la libre-pensée sont institutionnalisées, et le Royaume-Uni non codifié, qui sommes-nous pour juger à l’heure des démons de Mollenbeck et de l’élection d’un enfant d’immigré pakistanais à la mairie de Londres ?
Les chantiers des rapprochements nécessaires pour continuer l’Europe sont considérables : des institutions plus claires et plus démocratiques – notamment pour la gestion monétaire -, des droits sociaux partagés, une politique fiscale intégrée, l’éducation et l’innovation toujours plus circulantes, etc. Nous « sommes unis dans la diversité ». Éternellement ? Espérons-le.

Le projet européen est-il laïque ?

Les apparences sont trompeuses et la question est le plus souvent inversée. De Robert Schuman à Konrad Adenauer, en passant par le traité de Rome, les marqueurs initiaux semblent catholiques romains. Mais la cause de la paix qui est le premier socle de l’Europe transcende le spirituel aux risques de l’Apocalypse. Le second ressort de l’Europe est l’anticommunisme parrainé par les États-Unis tant par idéologie que par nécessité. C’est à l’anticommunisme que le très controversé pape Pie XII a ouvert les bras en soutenant l’Europe. Aux yeux de certains, peu importe le contenu du projet et son avenir, l’important est qu’il contribue à stopper l’Armée Rouge. Les « racines chrétiennes » de l’Europe n’ont pas fait bouger les lignes des nationalismes européens, pas plus que ses racines judaïques ou musulmanes. A contrario, la libre circulation des marchandises, des capitaux et des hommes (sic en pleine crise des réfugiés) a vocation à réduire le nationalisme en poudre avec son union « sans cesse plus étroite ».
Surtout, l’Europe telle qu’elle s’est faite, de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier à l’Union Européenne, est bien plus un projet économique qu’une vision spirituelle. Un projet économique avec un potentiel social. Le libre échange et la concurrence libre et parfaite, fondent les traités, depuis les origines, dans un contexte de rejet des dirigismes, qu’ils soient soviétiques ou nazis. Longtemps aveuglés par le soutien du grand capital au nazisme, les vainqueurs ont mis du temps à comprendre que le rejet allemand du dirigisme, exprimé par l’ordolibéralisme, est un rejet de l’étatisme nazi.
Le projet européen est un projet d’économie libérale dans un contexte d’hégémonie keynésienne. Ni Jean Monnet, ni John Maynard Keynes ne mettaient le Saint Esprit aux commandes. C’est sur la base du triptyque Paix, Anticommunisme, Croissance économique régulée que la cause européenne a longtemps rassemblé les centres droits et les centres gauches en unissant des Guy Mollet et des Paul Henry Spaak. Il y a bien des raisons de critiquer certaines modalités actuelles de la mise en œuvre du projet européen, mais il faut persévérer car il est essentiellement libre et généreux. Le « moment Delors » l’a démontré
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Ph. Mioche

Publié dans DOSSIER LAICITE

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