« Jeûne eucharistique » de soutien au Synode sur la famille
Pour soutenir et accompagner l’année de travail, de réflexion et de méditation à laquelle les catholiques sont appelés avant la reprise du synode pour la famille à Rome,
Anne Soupa et Christine Pedotti entrent dans un « jeûne eucharistique ».
Pendant l’année qui vient elles s’abstiendront volontairement de recevoir la communion eucharistique, tout en continuant à participer à la messe.
Par ce geste elles manifestent leur communion avec tous ceux et celles qui, conformément aux règles actuelles en vigueur dans l’Église catholique, sont exclus des sacrements.
Leur geste n’est pas une revendication mais un acte spirituel, une forme de prière d’offrande pour que Dieu éclaire son Église.
JEÛNE EUCHARISTIQUE : DE QUOI PARLONS-NOUS ?
Formellement, il s’agit, alors qu’aucune règle du droit de l’Église ne nous en empêche, lorsque nous irons à la messe, de ne pas recevoir la communion eucharistique (l’hostie qui pour les croyants est le Corps du Christ). Pourquoi le faisons-nous ? Il est à la fois question de nourriture et de communion.
Le sens de la communion eucharistique
Nous allons jeûner au sens où nous allons volontairement nous priver de nourriture. Les traditions religieuses ont coutume de penser que le jeûne volontaire (de nourriture) est un acte de préparation spirituelle. Il donne faim (physiquement) et mime pour celui ou celle qui le fait la faim spirituelle. Le jeûne met en état de vigilance, de désir. Cette privation volontaire, ce jeûne peut donc être compris comme un acte spirituel.
Dans la communion eucharistique nous absorbons physiquement une nourriture (l’hostie), qui est pour les croyants une nourriture spirituelle. Mais cet acte produit aussi une communion du croyant avec son Dieu (Jésus-Christ) et une communion entre tous ceux qui y participent. En mangeant l’hostie consacrée, Corps du Christ, nous sommes incorporés au Corps mystique du Christ qui est l’Église, c’est-à-dire, tous les croyants convoqués et rassemblés par Dieu pour le louer et le célébrer.
Par la communion eucharistique, nous devenons ce que nous recevons. Nous recevons le Corps du Christ sous la forme du pain (de l’hostie) et nous devenons le Corps du Christ, son Église.
Mais d’autres sens s’ajoutent. Cette communion nous unit aussi dans le temps à tous ceux et celles qui sont « admis » dans le Corps du Christ à travers les âges, c’est ce qu’on nomme la Communion des saints. La communion eucharistique a donc un caractère cosmique. Elle nous unit à Dieu, et nous unit les uns aux autres à travers le temps et l’espace.
À quoi il faut encore ajouter que dans la mesure où elle est communion au Corps du Ressuscité, elle est comme une participation (ou un avant-goût) du banquet final de l’humanité, ses noces définitives avec Dieu à la fin des temps (vision dite eschatologique – qui concerne la fin des temps).
On parle de Présence réelle de Dieu, ce qui signifie que Dieu est vraiment là, dans le présent de nos vies : dans la communion eucharistique, le présent et l’éternité se confondent. Dieu est dans le présent et nous sommes dans l’éternité.
La prodigieuse pluralité des sens de la communion eucharistique – pluralité et ampleur que sans doute nous saisissons fort médiocrement à chaque fois que nous communions – suffit à monter à quel point le fait de ne pas admettre certaines personnes à la communion eucharistique fait violence aux sentiments profonds et à la foi des croyants.
Rappelons que le prêtre invite à la communion eucharistique par les paroles suivantes : « Heureux les invités au repas du Seigneur. » et que le prêtre communie en murmurant les mots suivant : « Que la communion au Corps et au Sang du Christ nourrisse en nous la vie éternelle ». Paroles qui valent pour tous ceux et celles qui vont s’avancer pour recevoir l’hostie.
Nos frères et sœurs exclus
Alors pourquoi décider de ne pas communier pendant environ une année, c’est-à-dire jusqu’à la conclusion du synode de la famille ? Et bien pour entrer en communion avec tous ceux et celles qui sont exclus de ce repas au motif que leur situation matrimoniale et familiale n’est pas conforme aux règles.
En effet, la règle actuelle de l’Église ne connaît, pour l’exercice de la sexualité, que le mariage d’un homme et d’une femme « ouvert à la procréation », c’est-à-dire n’usant d’aucun autre moyen de régulation des naissances que l’abstinence pendant les périodes de fécondité. Toute autre situation est considérée comme une situation de péché. Oui, telle est la règle aujourd’hui.
Dans les faits, seuls les divorcés remariés, qui sont considérés comme des pécheurs – en termes stricts, des adultères – sont interdits d’eucharistie. Leur premier mariage est toujours considéré comme valide et leur nouvelle union les met en état de péché permanent (le droit canon dit « obstiné »). Ils ne peuvent pas se confesser car ils ne peuvent pas se repentir et manifester l’intention sincère de ne pas retomber dans leur péché. Évidemment, les unions homosexuelles stables (aujourd’hui, les mariages de personnes de même sexe) tombent d’évidence sous le coup de la même condamnation.
Or, chacun sait que chaque situation humaine est unique. Pourtant on met dans le même sac, tel qui a abandonné son foyer sans se retourner et tel qui a épousé un ex-conjoint lui-même abandonné et avec lequelle il a construit une relation stable et confiante depuis des années… Les exemples sont multiples or la règle telle qu’elle est ne fait pas de détail. Elle ne connaît aucun caractère progressif ou graduel, seulement le tout ou rien.
C’est cette impasse qui a été l’un des sujets de la première étape du synode sur la famille. Pour sortir de cette impasse, certains promeuvent ce qu’ils nomment « la communion de désir », qui consiste à s’unir d’intention à la communion eucharistique sans y participer réellement. Cette solution nous semble bien piètre, mais nous allons l’expérimenter puisque nous allons accepter volontairement de nous mettre dans cette situation.
Une grande souffrance, un corps blessé
Nous pensons que l’exclusion « de fait » de nombreux membres de l’Église est une grave souffrance non seulement pour ceux et celles qui sont exclus mais aussi pour l’Église tout entière qui est comme mutilée, blessée par cette exclusion qu’elle pratique sur elle-même. En partageant le sort de nos frères et sœurs exclus, nous voulons entrer en communion avec ce corps blessé dont nous croyons qu’il est aussi le Corps du Christ.
Ce que nous manifestons, c’est aussi que la communion eucharistique n’est pas un acte privé, une sorte de soliloque entre le croyant et son Dieu mais un acte qui est célébré et dans lequel toute la communauté, toute l’Église est engagée. C’est donc la souffrance de ce Corps blessé que d’une certaine façon nous revêtons à travers ce jeûne. Nous le vivons comme une prière adressée à Dieu pour qu’il éclaire ceux qui ont la responsabilité de faire vivre la communion, les évêques et le pape, lors de la prochaine étape du synode.
En termes concrets, lorsque nous irons à la messe, au moment de la procession de communion, nous nous avancerons vers le célébrant les mains croisées sur la poitrine et demanderons sa bénédiction. C’est le geste que font les petits enfants qui n’ont pas encore l’âge de communier et que certains prêtres recommandent aux divorcés remariés.
Notre geste est bien un jeûne, pas du tout une grève (du genre des grèves de la faim) dans la mesure où nous ne demandons rien à personne sinon à Dieu dans la prière qu’il nous éclaire et fasse connaître ce qui est bon pour son Église. Nous entrons dans cette expérience en portant une question ; la réponse ne nous appartient pas.
Christine Pedotti et Anne Soupa
Conférence Catholique des Baptisé-e-s