Indigence et handicap en prison
Indigence d’ordre économique
Dans l’exposé des motifs justifiant son projet de loi pénitentiaire (loi votée au Sénat mais toujours pas à l’Assemblée), le ministère de la Justice rappelle sa définition de l’indigence : « L’indigence est une situation, temporaire ou durable, liée à une grave insuffisance de ressources d’un détenu sur la part disponible de son compte nominatif. Sont actuellement concernés les détenus ayant des rentrées financières inférieures à 45 euros par mois (…) Au total, environ 35% de la population pénale est concernée par cette situation. »
Cela signifie, pour l’Aumônerie Catholique des Prisons (ACP), que 35% des personnes écrouées « souffrent de dénuement et sont susceptibles de recevoir des
secours à défaut de recevoir des ressources auxquelles elles auraient droit du fait de se retrouver démunies dans des lieux placés ‘sous main de justice’ » où tout doit être acheté (papier
toilette, produits d’hygiène, papier et enveloppes)
Ce sont des personnes qui étaient déjà démunies à l’extérieur (sans papiers, sans logis, sans travail, déficients mentaux) ou qui le deviennent par la perte de minima sociaux liée à l’incarcération, la rupture des liens familiaux, l’absence (à cause du crime commis, d’une inaptitude physique ou psychologique, ou encore du fait de l’âge) ou la perte d’un emploi en détention (comportement à risques).
Il y a des moments de la vie carcérale où les personnes vivent les situations les plus pauvres : tout de suite après l’incarcération et pendant la détention préventive ; pour certains, acculés à l’isolement carcéral à cause de leur délit ou crime, tant qu’ils sont en Maison d’Arrêt. Et les mêmes difficultés reviennent lorsqu’il y a transfert après condamnation et plus encore si ce transfert donne lieu à un transit prolongé (par exemple au Centre National d’Observation à Fresnes).
Les étrangers en situation irrégulière est particulièrement critique : liberté provisoire, permission, remise ou aménagement de peines sont bien difficiles à obtenir sans point de chute fiable et sans ressources suffisantes.
Dans ce contexte, les solidarités ne sont pas rares. Mais il favorise aussi le système D’et l’illégalité ; il conduit aussi à des pratiques douteuses (comme le racket), et à des comportements aliénants et dégradants où le pauvre est le serf de son codétenu, parfois jusqu’à la violence et les sévices sexuels.
La sortie de prison est souvent, pour « l’indigent » un retour à la case départ de la pauvreté, d’autant plus, ajoute l’ACP, que « la rupture familiale, à délit égal, risque d’arriver plus tôt chez les plus défavorisés. » Mais « quelles qu’elles soient, les personnes détenues sortiront de prison appauvries pour la plupart. » Leurs familles, faute d’entrée d’argent, et avec les dépenses liées à l’incarcération d’un des leurs (voyage pour les visites surtout quand il n’y a pas de rapprochement familial, colis de Noël, dépenses – en dépit de l’aide juridictionnelle – pour sa défense) elles aussi se seront appauvries. »
Des handicaps aggravants
L’indigence d’ordre économique est souvent associée à d’autres carences en matière scolaire ou de santé.
Selon l’Administration Pénitentiaire (AP), le repérage systématique des personnes illettrées « montre que la population détenue est globalement en très grande difficulté. » Citons seulement quelques chiffres : 1,4% n’ont jamais été scolarisés ; 11,5% sont en situation d’illettrisme grave ou avéré au regard du test ; 13,7% échouent au test du fait de difficultés moindres ; 3% ne parlent pas du tout le français et 4,6% le parlent de manière rudimentaire.
Le handicap de santé concerne le physique : les lunettes et les prothèses dentaires sont très difficiles voire impossibles à obtenir pour qui est dans le plus complet dénuement. On peut aussi noter combien manque parfois le simple souci de soi et de l’autre, de son propre corps, de la propreté de la cellule.
Le handicap psychologique est en croissance, en raison des 4 facteurs décrits par le docteur Betty Brahmy (médecin chef au SMPR de la Maison d’Arrêt de Fleury-Mérogis) pour expliquer le nombre impressionnant de malades mentaux en prison (fonctionnement de la justice, pratiques en matière d’expertise psychiatrique, conditions d’incarcération, fonctionnement actuel de la psychiatrie publique) : 45% des personnes détenues présentent des états dépressifs graves, et 27% des troubles psychotiques aigus. Handicap qui rend la personne inapte au travail, et donc sans le minimum de ressources (45 euros) s’il ne reçoit rien de sa famille.
Quelles actions ?
L’AP doit déjà assurer (ou s’assurer qu’est donné) le minimum carcéral réservé aux stricts indigents. Mais ce minimum (produits d’hygiène de première nécessité, papier toilette) maintient en l’état les inégalités entre personnes écrouées ayant des ressources (mandat ou rémunération) et les personnes qui n’ont pas les moyens de « cantiner » pour donner un peu de goût aux repas servis, ou pour acheter Nescafé, stylo, timbres et enveloppes qui permettent d’entretenir quelques relations avec l’extérieur, ou encore du tabac : « les pauvres, c’est ceux qui ramassent les mégots » (parfois dans les coursives, ou dans les cours de promenade).
Les commissions d’indigence, composée de représentants d’associations humanitaires et de représentants de la direction de la prison, du psychologue du travail et du service insertion et probation, ont pour but de vérifier que le minimum est effectivement distribué par l’AP et que l’accès aux activités rémunérées est bien proposé, et surtout de décider, en fonction de critères bien définis, à qui iront la somme versée tous les deux mois – et c’est là que le bâts blesse – par les associations (à Luynes, par le Secours Catholique et plus modestement par Fraternité Espérance), et les colis de Noël. On ne résout toujours pas le problème !
Notons en particulier la médiocrité des salaires versés aux personnes écrouées qui travaillent (cuisine, buanderie, entretien, propreté, ateliers) et cela sans contrat de travail, même aménagé et en conformité avec la règle pénitentiaire européenne n 26 ! Le projet de loi pénitentiaire ne propose qu’un acte d’engagement de l’AP maintenant les personnes détenues en dehors du droit commun du travail. De sorte que la maladie et le manque de travail aux ateliers sont une perte sèche pour le travailleur.
Avec une simple « aide en nature », le projet de loi pénitentiaire ne répond pas – et les aumôniers, chacun dans sa région, l’ont signalé à leurs députés et sénateurs – à l’exigence européenne n° 4 stipulant l’accès à des moyens suffisants d’existence. L’ACP insiste en effet sur ce point, qui est un droit à la dignité :
« Il y a une urgente nécessité d’allouer une indemnité mensuelle à tous ceux qui ne perçoivent pas, durant cette période, une somme minimale à déterminer. Ce versement est à la charge de la puissance publique au titre de la solidarité nationale et ne doit pas relever des associations caritatives locales. »
L’équipe des (3) aumôniers catholiques
de la Maison d’Arrêt de Luynes (Bouches-du-Rhône)
21.08.09