Et si la racine du cléricalisme était le sacerdoce ?

Publié le par Garrigues et Sentiers

Je viens de lire l'interview de Robert Ageneau dans Le Monde du 4 mai 2025 sur le livre Réformer ou abolir la papauté. Un enjeu d’avenir pour l’Église catholique, édition Karthala, 2025, dont il est l’un des auteurs. Rien que l’intitulé me donne de réagir ! Il me semble que, dans toutes les réflexions sur l’Église, on n'ose pas aller à l’origine du problème, pourtant dénoncée par François le 20 août 2018 quand il a dit qu'il fallait « aller à la racine du cléricalisme. « Dire non aux abus, c’est dire non, de façon catégorique, à toute forme de cléricalisme ». Pour moi cela a été un vrai déclic. Sans m’attarder aux motifs que François pouvait sous-entendre (le pouvoir, le sexe et l’argent), j’ai été violemment interpelé : la racine des problèmes vécus au sein de l’Église catholique n’est-elle pas ce qui est affirmé comme la base de l’Église, le sacerdoce ?

Je l'ai déjà écrit (voir par exemple sur ce blog, le 24 septembre 2018, Cléricalisme et pouvoir).  Tant pis, je vais me répéter, en ce temps de conclave et d’élection d’un pape, cela me paraît important de le reformuler. Personnellement je crois que tant que l'on n'aura pas accepté de s'attaquer au "caractère sacré" du prêtre, des évêques et du pape, on ne pourra pas avancer beaucoup dans la réflexion sur l’Église et ses dérives internes. Vatican II , dans Lumen gentium (chapitre 3, tout particulièrement les paragraphes 10, 20, 21 et 22), malgré toute sa fécondité, nous enferme, encore et toujours, dans cette idée d'un pouvoir spécial sacré dont sont investis les évêques et, par participation, les prêtres et les diacres. En voici quelques extraits très significatifs me semble-t-il, mais non exhaustifs : « Celui qui a reçu le sacerdoce ministériel jouit d'un pouvoir sacré pour former et conduire le peuple sacerdotal, pour faire, dans le rôle du Christ, le sacrifice eucharistique et l'offrir à Dieu au nom du peuple tout entier » (§ 10). Les évêques « président au nom et en place de Dieu le troupeau, (...) qui écoute les évêques écoute le Christ, qui les rejette rejette le Christ et celui qui a envoyé le Christ » (§ 20). Et au paragraphe 21 : « Ainsi donc en la personne des évêques assistés des prêtres, c'est le Seigneur Jésus-Christ, Pontife suprême, qui est présent au milieu des croyants. » (...) « Ces pasteurs... sont les ministres du Christ et les dispensateurs des mystères de Dieu » (...) « par l'imposition des mains et les paroles de la consécration, la grâce de l'Esprit Saint est donnée et le caractère sacré imprimé de telle sorte que les évêques, d'une façon éminente et visible, tiennent la place du Christ lui-même, Maître, Pasteur et Pontife, et jouent son rôle. »

Ces affirmations d’un sacerdoce qui prétend agir en lieu et place de Dieu et du Christ me paraissent être la racine même du cléricalisme sous toutes ses formes. L’affirmation très forte de François m’a amené à prendre conscience, d’une façon fondamentale, que cette racine du cléricalisme était ce pouvoir sacré, affirmé dogmatiquement, du sacerdoce. Personnellement je n’y reconnais pas l’esprit de Jésus avec qui nous cherchons à cheminer au jour le jour. Ce pouvoir est à la base de toute la théologie sur l'Église et les sacrements. Pour tenter de l’équilibrer, le Concile à voulu reconnaître un pouvoir du même type, mais différent, à tous les membres du peuple de Dieu en parlant du sacerdoce des baptisés. Or ma conviction c’est qu’il n’y a pas de « pouvoir sacré". Personne ne peut prétendre penser ou agir à la place de Dieu, à moins de se situer dans une forme de mythologie. On n’agit toujours qu’au nom de l’idée que l’on se fait de Dieu ou du Christ ! À plus forte raison aucune Église ne peut le faire. Par contre tout être humain est sacré.

Pour moi la racine du cléricalisme et des maux qu’il peut entraîner c’est vraiment ce pouvoir divin, sacré, que s’attribuent des humains, que s’est appropriée l’Église. Tant que nous aurons une institution bâtie sur une quasi incarnation de Dieu dans des humains, institution s'estimant elle-même sacrée, nous ne pourrons pas rejoindre les hommes et cette marche du peuple de Dieu au 21e siècle. L’Église n’est-elle pas d’abord et essentiellement ce peuple de femmes et d’hommes qui avance, en partageant et en tâtonnant, confronté à la réalité de l’aujourd'hui, et tentant de vivre avec les contemporains l’esprit de Jésus ?

Dans notre monde sécularisé, le pape apparaît comme l’expression en raccourci de ce pouvoir sacré que ses pairs lui reconnaissent de façon privilégiée dès l’instant de son élection et de son acceptation. N’est-ce pas la personnification et l’expression presque caricaturale de la racine même du cléricalisme ? Abolir la papauté ? Je ne sais. Mais osera-t-on aller jusqu'à ce que je crois être la racine même des abus de pouvoir, et avoir l’audace d’abolir le sacerdoce comme pouvoir sacré ? N’est-ce qu’un impossible rêve dans l’Église catholique ?

Jean-Luc Lecat

Publié dans Réflexions en chemin

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M
Le pape vient d’être intronisé, non seulement grand-prêtre, mais sur un trône. Tout un programme !!!<br /> N’est-ce pas plutôt le « sacré » qu’il faut mettre en cause ? Depuis la nuit des temps l’humanité a inventé du sacré, les générations successives désacralisent pour très vite instaurer un nouveau sacré. On n’en sort pas ! Qu’est-ce que le sacré si ce n’est ce qui touche à la divinité ? Objets sacrés devenant tabous; notions sacrées, comme la Nation avec le Drapeau (et la dérive du nationalisme); personnes sacrées, ceux qui touchent au culte divin, etc. Avec le stalinisme, les « masses » étaient le sacré, donc elles avaient toujours raison et s’opposer méritait la mort. Régnaient le « grand-prêtre » sacré, Staline, qui avait la Parole des masses, puis, sacrés aussi, les prêtres ordinaires, les dirigeants soumis au grand-prêtre.<br /> Le prêtre, dans toutes les religions, est celui qui se trouve intermédiaire entre les hommes et le dieu, qui rend un culte au nom des hommes, par lui-même seul, ou en les associant au culte qu’il préside. Pour nous, le Christ, sur la Croix, a fait don total de sa personne au Père (« je remets entre tes mains mon esprit ») et par là a offert au Père l’humanité entière. Il a donc eu un rôle sacré, intermédiaire entre nous et Dieu, rendant un culte en notre nom (voir l’Epître aux Hébreux). « Nos prêtres » ont comme fonction de commémorer ce premier « sacrifice » (ce qui fait sacré) au nom du seul prêtre, le Christ.<br /> Je pense qu’ils sont nécessaires. Au premier siècle, il semble que les communautés ne se posaient pas ces questions. Toute personne pouvait offrir le culte, nous sommes tous prêtres. Les eucharisties se déroulaient chez des particuliers, le maître de maison devenait pour ce temps le prêtre qui présidait au culte. A partir du moment où nous sommes très nombreux, il a bien fallu désigner ceux qui auraient cette charge parmi des gens qui comprennent et vivent ce qu’ils font peut-être un peu mieux que le « tout-venant ». La question du choix est ouverte. Quand cétait le maître de maison, on donnait une prime aux riches, ce n’était peut-être pas le mieux. Mais il n’y a pas de raison d’en faire des personnes sacrées. Dans l’exercice de leur fonction ils touchent au sacré, c’est tout.<br /> Et donc désacralisons le sacerdoce, là est le nœud de l’affaire, il me semble. Mais sans se faire trop d’illusions, ce n’est qu’une face de la question du cléricalisme, rappelons-nous de la République de Genève avec Calvin, il n’était pas prêtre !!! Les Réformés n’ont pas de prêtres, cela leur évite bien des dérives cléricales, ils souffrent cependant aussi en maints endroits de dérives qui n’ont rien à envier à notre cléricalisme. La religion est un « mal nécessaire » qu’il faut sans cesse mettre en question, la sacralisation est un mal récurrent qu’il faut tout autant combattre...sans illusion.
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J
"Mais que sont devenus les catholiques de France ?" (Christian Apothéloz, journaliste)<br /> <br /> Les "catholiques étonnamment libres, post-œcuméniques, fidèles, mais distants avec leurs autorités, loin de l'image verticale que les cent mitrés réunis à Lourdes ou l’assemblée des évêques romains peuvent donner, avec leurs prétentions à vouloir gouverner l'amour et la foi, l'éthique et le sexe, la mort et la société" <br /> auraient-ils une compréhension autre que celle fixée par l'Église catholique, notamment en ce qui concerne : <br /> <br /> - la résurrection de Jésus comprise comme une preuve de l'existence d'une vie après la mort ?<br /> <br /> - la différence essentielle et non seulement de degré entre le sacerdoce commun des fidèles et le sacerdoce ministériel ou hiérarchique ? (Lumen gentium - n° 10)<br /> <br /> Pour ce qui est d'une vie après la mort, <br /> - les EMI (Expérience de Mort Imminente)<br /> et<br /> - une logique ontologique qui veut que celui qui n'a pas eu le pouvoir d'être, ne peut pas avoir le pouvoir de ne pas être,<br /> ouvrent déjà une autre compréhension d'une vie après la mort.<br /> <br /> Pour ce qui est de « la différence essentielle et non seulement de degré entre le sacerdoce commun des fidèles et le sacerdoce ministériel ou hiérarchique », <br /> l'abandon de cette différence ontologique, substantielle, rétablirait plus sûrement l'égale dignité des laïcs hommes et femmes et des clercs.<br /> <br /> <br /> La (ma) question qui demeure : <br /> « Quand j'écris cela (voir ci-dessus), est-ce que je persécute Jésus-Christ, Fils de Dieu ? »<br /> <br /> Est-ce que je passe de préférence par un Jésus vainqueur de la mort ou plutôt par un Jésus vainqueur de la haine ? C'est moi qui vois.<br /> <br /> (Est-ce que je passe de préférence par un Jeudi-Saint sacrificiel ou plutôt par un Jeudi-Saint dernier repas d'adieu ? C'est moi qui vois.) <br /> <br /> Si je parle mal, qu'on me dise ce qui est mal.<br /> <br /> « Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égard ni patience. » (René Char)
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J
José Antonio Pagola.<br /> <br /> Jean 13,31-33a.34-35<br /> <br /> Jésus partage avec ses disciples les derniers moments avant de retourner au mystère du Père. Le récit de Jean rapporte soigneusement son testament : ce que Jésus veut laisser gravé à jamais dans leur cœur : « Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ».<br /> <br /> L’évangéliste Jean concentre son attention sur la communauté chrétienne. Il ne pense pas aux personnes extérieures. Lorsque Jésus sera parti, les membres de sa communauté devront s’aimer comme des « amis », parce que c’est ainsi que Jésus les a voulus : « Vous êtes mes amis » ; « Je ne vous appelle plus serviteurs, je vous ai appelés amis ». La communauté de Jésus sera une communauté d’amitié.<br /> <br /> Cette image de la communauté chrétienne comme « communauté d’amis » a été vite oubliée. Pendant de nombreux siècles, les chrétiens se sont vus comme une « famille » où certains sont des « pères » (le pape, les évêques, les prêtres, les abbés…), d’autres sont des « enfants » fidèles, et tous doivent vivre comme des « frères ».<br /> <br /> Cette conception de la communauté chrétienne stimule la fraternité, mais elle comporte des risques. Dans la « famille chrétienne », on a tendance à mettre l’accent sur la place de chacun. On met l’accent sur ce qui nous différencie et non sur ce qui nous unit ; on accorde trop d’importance à l’autorité, à l’ordre, à l’unité et à la subordination. Cela risque de favoriser chez beaucoup la dépendance, l’infantilisme et l’irresponsabilité.<br /> <br /> Une communauté fondée sur « l’amitié chrétienne » enrichirait et transformerait l’Église de Jésus aujourd’hui. L’amitié promeut ce qui nous unit, et non ce qui nous différencie. L’égalité, la réciprocité et le soutien mutuel sont cultivés entre amis. Personne n’est au-dessus des autres. Aucun ami n’est supérieur à un autre. Les différences sont respectées, mais la proximité et la relation sont cultivées.<br /> <br /> Entre amis, il est plus facile de se sentir responsable et de collaborer. Et il n’est pas si difficile d’être ouvert aux étrangers et à ceux qui sont différents, à ceux qui ont besoin d’accueil et d’amitié. Il est difficile de quitter une communauté d’amis. Dans une communauté froide, routinière et indifférente, les gens s’en vont, et ceux qui restent le sentent à peine.<br /> <br /> https://www.gruposdejesus.com/5-paques-c-jean-1331-33a-34-35-2/
M
Monsieur Jean-Luc Lecat, vous pourriez par exemple lire "De Jésus de Nazareth à la fondation du christianisme" qui vous permettra de comprendre que l'introduction de "sacrificateurs" dans les Assemblées "christiennes" issues des Assemblées nazaréennes (chrestiennes) n'a rien à voir avec Jésus de Nazareth et ses premiers disciples. J'ai reconstitué "L'enseignement de Jésus" à partir du texte grec de la koinè, enfoui dans l'évangile de Luc. Tout cela est publié chez Golias ; une réédition est en préparation, avec de nouvelles couvertures, comportant un message s'adressant à toute l'humanité et non aux seuls "christiens". Mettre fin à l'institution sacerdotale, issue du judaïsme, ce sera mettre fin à une perversion de l'enseignement de Jésus de Nazareth...<br /> <br /> André Sauge
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P
Bien d accord. Le sacerdoce et donc le caractère sacré du prêtre est à la racine de toutes les dérives. Ce pouvoir que Jésus a dénoncé infantilise le chrétien de base. Ici ou là, des chrétiens libres <br /> dans leurs maisons partagent l évangile, des textes spirituels et célèbrent autour du pain et du vin.<br /> Tout l évangile nous invite à entrer en liberté.<br /> Pierre
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