La mort : le retour

Publié le par Garrigues et Sentiers

La mort a fait un retour dans nos vies à l’occasion de la crise de la Covid. Non qu’elle avait disparu. Mais nous avions pris l’habitude de la mettre à distance. Au point de l’euphémiser en parlant de fin de vie, comme on dit non-voyant plutôt qu’aveugle, ou malentendant plutôt que sourd. Pourtant la fin de vie n’est pas la mort, elle en est l’antichambre ; une antichambre qui prend le plus souvent la forme de la chambre d’un Ephad puis d’un hôpital où, sous l’effet conjugué du vieillissement et des possibilités accrues de prolonger la vie, l’on séjourne de plus en plus longtemps. La fin de vie est devenue une nouvelle étape de la vie, obligeant le médical à s’adapter, à accompagner la dépendance et ses handicaps liés à l’âge, à développer des soins palliatifs qui n’ont pas vocation à guérir mais à limiter la souffrance, et obligeant le législateur et les tribunaux à ouvrir une nouvelle branche du droit. Avec, comme pour le début de la vie, des questions inédites sur l’articulation entre ce droit et une éthique qui doit l’inspirer dans son application.

La mort, elle, n’a pas changé de statut juridique. Elle reste aussi la première question spirituelle de l’humanité et le culte des morts est souvent considéré comme l’entrée de l’humanité dans l’âge spirituel. Mais la question spirituelle reste-t-elle la même avec cette longue phase de fin de vie qui sera désormais le lot de la plupart d’entre nous ? Ne faudra-t-il pas compléter le célèbre « philosopher c’est apprendre à mourir », par « la spiritualité, c’est apprendre à vieillir » ? C’est un nouveau chantier dans notre quête de l’esperluette que nous ouvrons avec cette lettre, pour apporter sur ces questions nouvelles notre double regard, de façon que les évolutions éthiques et juridiques puissent s’enraciner dans des débats démocratiques adaptés, y compris aux questions spirituelles qu’elles soulèvent.

La mort vient de faire retour dans nos vies avec la décapitation d’un professeur d’histoire, Samuel Paty, à Conflans-Sainte-Honorine, illustrant le potentiel de violence que recèlent les convictions religieuses quand elles se dégradent en idéologies mortifères. Et l’histoire nous a appris qu’aucune conviction, y compris l’athéisme, n’est à l’abri de ce risque de dérive violente. Dans un pays qui conserve au fond de sa mémoire collective le souvenir douloureux des guerres de religion, nous pensions avoir éliminé, notamment avec le principe de laïcité, cette forme de mort violente. La laïcité, autre branche du droit, qui est aujourd’hui confrontée à de nouvelles questions auxquelles il nous faudra répondre. Le principe constitutionnel de « laïcité » a permis, sur la question religieuse, d’articuler « liberté » de religion, « égalité » entre les religions, et aspiration à la « fraternité » entre ceux qui croient au ciel, dans leurs diverses façons d’y croire, et ceux qui n’y croient pas.

C’est probablement sur ce dernier terrain que notre contribution est la plus nécessaire. Car la laïcité, principe de neutralité juridique de la République et de prévention des conflits interreligieux, n’y suffira pas. Faire dialoguer les spiritualités entre elles n’est pas l’affaire de la laïcité. Mais si ce dialogue n’existe pas, on peut craindre que s’y substituent des affrontements face auxquels le rempart de la laïcité ne résistera pas longtemps.

Dans les deux cas, la mort fait retour dans nos vies, dans les médias et sur les réseaux sociaux sur lesquels le soleil ne se couche plus. Information, ou infox, en continu, et réactivité exacerbée rendent difficile sur ces sujets le débat, et donc la délibération démocratique, et conduisent aussi à la violence extrême. Il n’est plus non plus de place, plus de temps pour la réflexion, pour la méditation et l’écoute des arguments de l’autre. Le potentiel pacificateur de la démocratie, comme celui de la laïcité ou de l’éthique, se dissout dans l’émotion des groupes, des communautés ou des foules. Le peuple n’est plus dans le peuple quand il n’est plus inspiré ; et quand il est partout, il n’est nulle part.

Daniel Lenoir, président de Démocratie & Spiritualité

Source : Éditorial de la Lettre de Démocraties & Spiritualité n° 175, octobre 2020, dont le dossier du mois est intitulé « Vieillissement & mort » ; Site de D & S :  http://www.democratieetspiritualite.org/

Publié dans Réflexions en chemin

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V
«l’histoire nous a appris qu’aucune conviction, y compris l’athéisme, n’est à l’abri de ce risque de dérive violente». Phrase politiquement correcte dans toute sa splendeur, où tout s’équivaut. Les convictions religieuses en tant que telles ne mènent bien sûr pas à la violence, mais uniquement quand elles se transforment en «idéologies mortifères». En tant que telle, une croyance religieuse n’est pas une idéologie. Aucun argument n’est donné, comme d’habitude (qui a lu L’Idole monothéiste de Manuel de Diéguez?), pour prouver une telle assertion, qui va de soi dans l’air du temps (comme «l’islam est amour», par exemple... et tutti quanti). Quant à l’athéisme, il va de soi aussi, sans qu’il soit besoin de le dire, que tout le monde pense à ces archétypes que sont le stalinisme et le maoïsme. Alors qu’il crève les yeux que c’étaient au contraire des archétypes de religions. Étudiant dans les années 1970, j’avais un ami qui était passé au maoïsme. Il me montrait des brochures maoïstes destinées aux enfants et je n’en revenais pas. Je ne cessais de lui répéter : «Mais comment ne vois-tu pas que ce sont des catéchismes, comme le Petit Livre rouge?» Ces brochures étaient exactement semblables à celles des Témoins de Jéhovah, avec le même type de dessins: des images pieuses. Un autre ami, alors catholique, était le dessinateur du journal maoïste français, L’Humanité rouge!
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L
"Information, ou infox, en continu, et réactivité exacerbée rendent difficile (...) le débat, et donc la délibération démocratique, et conduisent aussi à la violence extrême". Le terreau nourricier du crime que celui-ci, dans son horreur, procède du fanatisme ou d'une pathologie mentale, d'une pulsion de haine ou d'une perversion sadique, n'est-il pas l'obscurantisme ? C'est à dire l'ignorance qui accrédite tous les littéralismes religieux. Et la réponse n'appartient-elle pas, au tout départ, à l'instruction publique ? Ce qui fait des maîtres et des professeurs les hussards lumineux de la connaissance, de la réflexion et de l'esprit critique, c'est à dire de la liberté de conscience et de l'égale dignité.
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