Économie et société : les leçons de Maurice Bellet

Publié le par Garrigues et Sentiers

Un excellent ami, économiste patenté, s’était offusqué de ce que le théologien, philosophe, psychanalyste, Maurice Bellet ait marché sur ses brisées en publiant un livre La seconde humanité qui avait pour sous-titre « De l’impasse majeure de ce qu’on appelle l’économie ». Pourtant M. Bellet avait pris soin de parler d’un dédoublement de l’économie. D’un côté l’économie, discipline qui a sa spécificité et qui parle de la production, de la distribution des biens et de la finance etc., sur laquelle il ne revendiquait aucune compétence. D’un autre côté l’économie « prenant cette fonction majeure, de constituer « le fond » par rapport auquel se situe tout ce qui fait la vie humaine – et, du même coup, d’être en ultime instance ce qui régit tout » (p. 23). C’est d’avoir analysé cet autre côté que nous sommes reconnaissants à l’égard de Maurice Bellet ; cette fonction majeure que remplit l’économie au risque d’entraîner la fin du politique, de le limiter à la gestion. L’analyse de M. Bellet est rigoureuse et très élaborée. Son style fulgurant et déconcertant avec une succession de flash n’enlève rien à la logique du propos. Il n’empêche que tenter de rendre compte de ses livres La seconde humanité (1993) ou L’Europe au-delà d’elle-même (1996) ou L’avenir du communisme (2013) est une gageure. Dans ces trois livres, il nous aide à comprendre dans quelle société nous sommes et vers quel avenir radicalement autre nous pourrions envisager de nous orienter dans la perspective d’une seconde humanité.

 

La seconde humanité (1993)

Voici quelques-unes des remarques cinglantes de ce livre.

Dans le règne de l’économie, dans l’écorègne où nous sommes, les maîtres sont ceux qui disposent du pouvoir économique, les financiers, les chefs d’entreprise… mais ils doivent aussi obéir, ils ont eux-mêmes un Maître, c’est le désir des masses. Le désir de chacun devient…le Grand Maître universel. Quand j’achète, je donne du travail, je sauve l’humanité !

C’est la confusion entre besoin, envie, désir qui garantit la dynamique de l’ensemble. Pour la psychanalyse, « le désir est relatif à un manque qu’aucun objet ne saurait combler » alors que « le besoin se défait dans la satisfaction ». Mais l’écorègne ignore cette distinction : le désir y prend la figure du besoin. A la télévision, la publicité remplace la prière du soir : « le dieu qu’elle offre à servir et contempler est le Désir-envie lui-même …  c’est la fuite en avant qui permet de tenir debout, c’est la boulimie d’innovation, de production, de vente, de chiffre d’affaires, de consommation qui est l’équilibre même de l’éco-règne » (p. 54).

 L’argent a pour fonction de tout pouvoir acheter, il est le signe de la jouissance possible. Alors que toutes les sagesses traditionnelles « ont toujours eu souci de modérer le désir », l’argent « signifie la suppression de la limite du désir. Moyen infini du désir infini ! » (p. 52).

L’écorègne n’éduque pas et la destruction de l’humain est immanente à son principe. Voici une citation qui prêtera sûrement à controverse si l’on veut en faire, bien à tort, une interprétation qui ferait croire que M. Bellet est contre l’égalité hommes/femmes. « L’écorègne contamine et détourne les « libérations » qui s’exercent en son sein. La libération des femmes veut l’égalité entre hommes et femmes. Dans le système en vigueur, cela signifie pour les femmes entrer dans le « monde du travail » tel qu’il s’est défini au masculin ou plutôt au neutre. Le proprement féminin, concevoir, porter, enfanter, soigner, nourrir, tenir une maison, y est radicalement sans valeur. Mais comme il faut bien que tout cela soit, sous peine d’une société inhumaine et même suicidaire, les femmes ont leur vie de femme en plus du grand service quotidien à l’écorègne » (p. 58). 

M. Bellet ne cultive aucune nostalgie à l’égard du passé, il parle de la modernité (dont il souligne que l’origine est difficile à dater) comme la capacité qu’ont eue les hommes du passé d’inaugurer un nouveau monde libéré de ce qui apparaissait jusque-là comme un ordre nécessaire (spécialement par la religion) (p. 128). Il ne faudrait rien oublier « de ce qu’ont voulu les moments révolutionnaires de la modernité. 1789 pour la liberté et l’égalité, 1848 pour la fraternité, 1917 pour en finir avec l’exploitation de l’homme par l’homme ». Ce qui n’empêche nullement de reconnaître les dérives effarantes qui ont souvent suivi les espoirs de révolution. « Tout passage créateur ouvre le péril de son échec » (p. 88).

Le livre La seconde humanité est un appel à s’attaquer au cœur du délire qui est le nôtre. N’oublions pas que le livre est paru en 1993 bien avant Fukushima, avant la meilleure prise de conscience actuelle des dangers des dérèglements climatiques ou du transhumanisme. A cette date, M. Bellet écrivait déjà : « Le grand jeu ecotechnique mène à Tchernobyl, aux forêts rasées, à la Bombe disséminée, à la pollution incontrôlée… Ces malheurs déjà trop réels indiquent la menace ultime : nous pourrions nous détruire. La réussite même, de la biologie par exemple, fait lever l’interrogation majeure : qui sommes-nous ? Jusqu’où devons-nous porter le respect de l’humain ? » (p.159)

La réflexion de M. Bellet ne s’enferme pas dans une dénonciation satisfaite, elle est au contraire toute tendue vers un appel à un dépassement, à un retournement, à une seconde humanité. Selon lui, le dépassement sera possible si un nombre suffisant d’êtres humains sont à même d’influer sur l’ensemble. Que serait une nouvelle humanité, un nouvel Adam, un nouveau rapport de l’homme à l’homme ? Ce serait « l’extrême amour, l’attention, l’écoute… le désir absolu que l’autre soit, qu’il vive, et jusqu’à vivre soi-même pour lui, cet amour est l’homme, le plus réel de nous, qui ne demande qu’à fructifier, si nous le laissons croître et mûrir ».

 

L’Europe au-delà d’elle-même (1996) (1)

Dans ce livre, M. Bellet s’adresse à l’Europe « à ce petit canton de l’univers d’où est sorti le monde moderne » (p. 19) en tentant de la réveiller. En exergue de son livre, il cite un texte d’Edmund Husserl de 1935 qui appelait les Européens au combat pour que sorte du brasier nihiliste, qui doute de la vocation de l’Occident : « le Phénix ressuscité d’une nouvelle vie intérieure et d’un nouveau souffle spirituel, gage d’un long avenir pour l’humanité : car l’esprit seul est immortel ». M. Bellet constatait que le monde entier suit l’Occident, or l’Occident ne va nulle part (p. 100). C’est pourquoi mettre de l’ordre chez nous serait le meilleur service à rendre au monde entier.

Après avoir établi un diagnostic, il s’agit d’établir une stratégie. Je n’avais pas repris ce livre depuis longtemps et une vingtaine d’années plus tard, il me semble toujours pertinent et d’actualité. Il va au cœur des analyses et des difficultés à surmonter, avec des raccourcis qui vont à l’essentiel du rôle actuel de l’économie dans notre monde, n’en déplaise aux économistes patentés. Par exemple ceci : « On va d’un marché commandé par la production industrielle et les échanges commerciaux à un marché commandé par la finance, disons net, par les possibilités spéculatives offertes par la condition actuelle de l’argent » (p. 42/173/174). Cela renvoie à un débat très actuel. E. Macron justifie par exemple le cadeau de 5 milliards d’euros fait aux riches avec la réforme de l’ISF par le fait que les riches vont investir dans les entreprises et que cela permettra d’augmenter la production et donc de satisfaire les besoins (mais lesquels ?). En réalité, le gouvernement n’a aucune garantie que cela n’alimentera pas la spéculation (2). Faire confiance au marché sans l’inscrire dans un cadre institutionnel, sans une analyse socio-politique avec une claire vision de ce vers quoi l’on veut tendre, est une erreur redoutable. Pour souligner le fait que dans notre société en dernier ressort c’est l’économie qui décide de tout, M. Bellet s’amuse : « On n’en est pas encore à juger les écoles d’après les revenus des anciens élèves ou la pensée d’un philosophe d’après le tirage de ses bouquins ou son audimat à la télé, mais courage, on approche » (p. 49). La fonction de l’hypermarché dans notre société donne lieu à une interprétation savoureuse (p. 56).

En assumant le rôle de fonction majeure, l’économie la dénature, car au cœur des religions, des sagesses, des cultures, des traditions ou des philosophies, il s’agissait d’une parole. Avec l’Évangile n’a-t-on pas l’espoir de « l’avènement décisif, de la fraternité, de l’amour, de la pure et haute tendresse entre les humains ». Mais difficile d’en parler car loin d’être le signe de ce que nous espérons, l’Évangile peut être soupçonné d’être « la foi d’une secte particulièrement intransigeante, devenue par l’Église, quasi impériale » (p. 89).

Aujourd’hui nous sommes devant un choix crucial, soit laisser le cancer de l’éco-technique actuel détruire l’humanité, soit choisir la survie de l’humanité en retraversant l’épaisseur de ce qui fait notre culture pour y trouver une nouvelle impulsion avec une énergie accrue.

 

Envisager ce que nous pouvons faire.

M. Bellet développe dans L’Europe au-delà d’elle-même le thème d’une utopie réaliste déjà évoquée dans La seconde humanité. Non pas l’utopie délirante qui a été celle de Staline avec la collectivisation agraire, celle de Mao avec le grand bond en avant, celle des khmers rouges avec la révolution culturelle. Non pas l’utopie qui a recours à la violence pour s’imposer, car la violence ne crée rien. Non pas le réalisme des politiques qui sont sans autre perspective que la gestion. Mais une utopie qui suppose une anticipation résolue qui proposerait ce qui est de l’ordre du possible, une vision « de ce qui est nécessaire à l’homme pour qu’il ait vie humaine » (p. 151). Une utopie qui serait souple, capable d’apprendre au fur et à mesure, de changer de type d’analyse. Envisager un changement radical suppose « maturation, préparations obscures, germination » (p. 186). Nous sommes devant un paradoxe : comment opérer un changement radical sans casser la machine économique ou rouvrir « le théâtre sanglant où l’on coupe les têtes et où l’on jette dans les basses-fosses ou dans les camps » (p. 187).

Du côté de la politique et de l’économie, il s’agit de proposer un programme pratique. « Que d’abord les besoins primordiaux de tous soient satisfaits ! À savoir nourriture, logis, vêtements, soin, …» (p. 157) « que tout homme ait sa place et, en sa place dignité. C’est aussi nécessaire que de manger » (p. 164). Sans oublier « un besoin d’une liberté pas seulement juridique, mais créatrice ». Par la réflexion qu’il mène sur les besoins, M. Bellet rejoint la tentative de S. Weil dans L’enracinement. Elle écrivait : « La première étude à faire est celle des besoins qui sont à la vie de l’âme ce que sont pour la vie du corps les besoins de nourriture, de sommeil et de chaleur. Il faut tenter de les énumérer et de les définir… L’absence d’une telle étude force les gouvernements, quand ils ont de bonnes intentions, à s’agiter au hasard » (3).

Voici des exemples du changement radical à opérer selon M. Bellet. Alors que la notion de « niveau de vie » renvoie à l’heure actuelle à la somme d’argent dont on peut disposer, comme si la qualité de la vie pouvait être ainsi mesurée, ce qui en dit long sur la perversion de notre langage dans l’écorègne, c’est la notion de mode de vie qu’il convient de prendre en compte et qui ouvre le débat sur la qualité de la vie de tout un chacun. Autre exemple d’un déplacement qui s’impose : quelle hiérarchie de l’agir proposer ? Aujourd’hui, créer des emplois semble une fin en soi sans prendre en compte l’intérêt de ce qu’ils contribuent à produire, alors que les tâches de soin où il s’agit vraiment de servir sont peu valorisées (infirmières, aides-soignantes, travailleurs sociaux). « L’utopie réaliste retourne la situation : ce sont les services vraiment services qui sont en haut » (p. 163). 

 

Pour une mutation radicale : L’avenir du communisme (2013)

Avec un titre aussi provocateur (qui me semble desservir sa diffusion), M. Bellet avait conscience de courir un grand risque. Il justifiait ce titre « parce que le communisme est la dernière formule que nous connaissions d’une initiative de mutation radicale » (p. 74) et que l’immense espoir qu’il avait soulevé dans le monde doit être repris, tout en prenant acte que le communisme réel a sombré et que son effondrement a entraîné une immense déception.  Capitalisme et communisme avaient un point commun : ils croyaient à l’économie. Mais la critique prend, dans ce petit livre, un tour plus dramatique. En effet il ne s’agit pas seulement de critiquer la fonction majeure remplie par l’économie dans nos sociétés, mais de reconnaître la fantastique puissance du mixage de la science, de la technique et de l’économie. Nous assistons au désastre, à la fin de l’optimisme moderne d’un progrès continu, à la fin d’une certaine modernité, à la fin d’un âge de l’humanité.

À quoi se raccrocher ? À la démocratie, au choix de la majorité ? Il paraît que Lamartine déclarait « On empoisonne un verre d’eau, on n’empoisonne pas un fleuve » Et pour Lamartine le peuple était ce fleuve généreux et sûr. Mais M. Bellet constate que l’on peut bel et bien empoisonner un fleuve. Peut-on compter sur les travailleurs pour changer d’orientation ? Quand il s’agit de sauver la grande Machine, travailleurs et patrons sont complices. « Les ouvriers de l’industrie d’armement ne veulent pas qu’on cesse des dépenses militaires folles et monstrueuses, ils veulent qu’on ne délocalise pas leur usine, c’est leur gagne-pain » (p  59).

On peut s’interroger : comment ne pas être fou dans un monde fou ? Comment éviter l’hébétude de ceux qui ne voient pas la radicalité et le caractère multiforme de la crise ou l’hébétude de ceux qui pensent que l’on n’y peut rien ?

M. Bellet refuse le pessimisme. Dans la perspective thérapeutique qui est la sienne, il ne considère pas que de toute façon le malade est perdu. « C’est au contraire parce que nous croyons qu’il y a en l’humanité de quoi surmonter ses désastres et ses folies que nous sommes prêts à affronter toute la gravité du mal, plutôt que de mettre de la pommade sur les boutons » (p. 16). Cela suppose de reconnaître l’effondrement d’un certain type d’homme, celui qui croît avoir la maîtrise de tout et qui n’est qu’un apprenti sorcier. La mise en garde suivante est d’une tragi-comique actualité : « Il faut au brillant expert ou au puissant responsable une extrême humilité pour n’être pas victimes et coupables d’une fatuité imbécile » (p. 14).

Nous sommes devant un choix crucial : soit laisser le cancer du mixage actuel détruire l’humanité, soit renouer avec une impulsion initiale, retraverser toute l’épaisseur de ce qui fait notre culture, et relancer l’aventure européenne avec une énergie accrue. Gardons à l’esprit que des humains que l’on croyait broyés par la faim, la torture, la détresse ont été capables de secourir un proche et que leur témoignage contribue à créer l’humanité (p 77-98). Alors que le changement que nous promet le mixage de l’économie, de la technique, de la science mène à la destruction de l’humanité, c’est le changement de ce changement qu’il faut viser. M. Bellet reconnaît qu’il y a dans « cet espoir une sorte de naïveté sauvage » (p. 89). Il s’agit de subvertir le mixage actuel de l’économie, de la science, de la technique. Au lieu de l’envie-désir, du toujours plus de la croissance, reconnaître le besoin qu’a l’être humain « de réaliser le don qu’il porte en lui. Il a besoin de donner, c’est-à-dire de donner la vie, de créer, de faire ce pourquoi il est né » (113). Au lieu de l’emploi dont la valeur se mesure au montant du salaire, reconnaître le travail gratuit au service des autres, ou le travail gratuit dans l’emploi rémunéré lui-même qui s’appelle conscience professionnelle, ou encore la participation à la vie commune. Au lieu de considérer que toute avancée technique est à suivre, reconnaître que des retours en arrière peuvent s’imposer comme l’abandon de l’énergie nucléaire aujourd’hui en discussion. Et surtout dans les choix techniques, poser comme un interdit absolu ce qui détruit l’être humain (p. 117) tout en reconnaissant que le seuil à ne pas dépasser ouvre un débat difficile. Celui par exemple aujourd’hui du transhumanisme.

Un dernier chapitre de ce petit livre est intitulé Volonté. En effet il s’agit de dépasser le gémissement de ceux qui déplorent la situation et considèrent qu’elle est sans remède ou le cynisme de ceux qui la déplorent mais s’y résignent car ils sont du côté des gagnants. Il s’agit d’agir tout de suite compte tenu de l’urgence, mais le style de l’action sera plutôt biologique que mécanique en encourageant tout ce qui veut naître. La mutation se fera par les gens eux-mêmes « et non par soumission à un pouvoir qui les contraint » (p. 138). « Le pouvoir doit rendre possible, encourager, soutenir les initiatives qui lui paraissent aller dans le sens d’une vie meilleure » (p. 143). Voici ce que nous dit M. Bellet dans les dernières lignes : « La seule justification de ce que j’ai pu dire est de participer (…) aux efforts de recherche de celles et ceux qui partagent la question où je suis (…) De sorte que même les objections et les critiques y sont les bienvenues » (p. 159).

Guy Roustang

 

(1) En novembre 1996, en première page de l’édition était écrit : « À Guy Roustang ». Trois ans avant, en m’envoyant La seconde humanité paru en septembre 1993, il avait écrit de sa main : « À Guy Roustang de la part d’un lecteur attentif de L’économie contre la société et qui se lance ingénument sur le champ de bataille ! En bien cordial hommage ». Avec B. Perret, nous avions publié L’économie contre la société en février 1993. Le livre L’Europe au-delà d’elle-même est épuisé chez l’éditeur. Souhaitons sa réédition. Il y a peu de livres, à supposer qu’il en existe, qui brassent si large et qui puissent comme celui-là nous fixer un cap, envisager ce que nous pouvons faire, avec un sens aigu du tragique et toute la modestie qui s’impose dans les propositions.

(2) Voir l’article de Gaël Giraud dans La Croix du 1er août 2017.

(3) Simone Weil. L’enracinement, Folio Essais, 1949, p. 18.

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L
« De l’impasse majeure de ce qu’on appelle l’économie ». Quel besoin nous avons, en effet, d’emprunter le versant de l’économie où celle-ci fait sens ! Cette économie « prenant cette fonction majeure, de constituer « le fond » par rapport auquel se situe tout ce qui fait la vie humaine – et, du même coup, d’être en ultime instance ce qui régit tout ». L’autre versant étant celui où se déploie le labyrinthe d’impasses dans lequel nos sociétés font du surplace en hoquetant des ‘‘marchons ! marchons ! ’’ dérisoires.<br /> Dans la succession de ce qui appellerait citation – dans les fulgurances (car c’est bien de l’intelligence-faite-foudre que nous recevons en l’espèce l’impact) émanant de Maurice Bellet et dans les commentaires aussi lucides que percutants de Guy Roustang -, on renonce à privilégier la provocation la plus jouissive (ce sont toujours les plus vraies), la dénonciation la plus cinglante des œuvres de mort où s’invalide une fausse modernité, les retournements et les dépassements qui ouvrent le plus radicalement sur un monde de service et de gratuité – sur cet espoir nécessairement et lucidement conçu à travers « une sorte de naïveté sauvage ».<br /> Des citations, on en fera néanmoins deux. La première parce qu’elle réussit à tout contenir de l’enjeu que l’espèce humaine, la créature humaine, trouve à présent posé devant elle – une somme d’interpellations que les forces de l’argent balaient d’un revers de manche ou d’un ‘’ce n’est pas si grave’’ : « Le grand jeu ecotechnique mène à Tchernobyl, aux forêts rasées, à la Bombe disséminée, à la pollution incontrôlée… Ces malheurs déjà trop réels indiquent la menace ultime : NOUS POURRIONS NOUS DÉTRUIRE. La réussite même, de la biologie par exemple, fait lever l’interrogation majeure : qui sommes-nous ? Jusqu’où devons-nous porter le respect de l’humain ? ».<br /> La seconde, parce qu’elle s’adresse à tous les acteurs que nous sommes de la fuite en avant qui est, en fin de compte, le chemin unique pour une humanité captive de la dialectique de la connaissance – étroite - et de l’incertitude – infinie. Que la fuite en avant soit celle de « la boulimie d’innovation, de production, de vente, de chiffre d’affaires, de consommation qui est l’équilibre même de l’éco-règne », ou celle portée par l’élan vers ‘’une nouvelle humanité, un nouvel Adam, un nouveau rapport de l’homme à l’homme’’<br /> Et on la fera, vis-à-vis de la seconde, assurément pas ‘’pour casser l’ambiance’’, mais pour garder en tête, comme Graham Greene y avait invité, qu’une petite voix est toujours là prête à rappeler au chrétien - citation faite de mémoire ancienne et qui vaut pour les moins chrétiens d’entre nous - qu’il ne doit ‘’pas trop faire le malin’’ : « Tout passage créateur ouvre le péril de son échec ».
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J
Un grand merci pour cet article. Je l'ai partagé sur ma page facebook.
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