La prochaine révolution sera numérique
John Doé, lanceur d’alerte des Panama Papers, explique pourquoi il a remis à la presse les 11,5 millions de fichiers des archives de Mossack Fonseca (extraits)1.
Les « Panama Papers» fournissent une réponse convaincante à ces questions : une corruption massive et généralisée… Les sociétés-écran sont souvent utilisées pour de l’évasion fiscale, mais les « Panama Papers » montrent, sans l’ombre d’un doute, que bien qu’elles ne soient pas par définition illégales, ces structures sont associées à une large palette de crimes qui vont au-delà de l’évasion fiscale. J’ai décidé de dénoncer Mossack Fonseca parce que j’ai pensé que ses fondateurs, employés, clients, avaient à répondre de leur rôle dans ces crimes, dont seuls quelques-uns ont été révélés jusqu’à maintenant…
Cela étant dit, j’ai observé les uns après les autres les lanceurs d’alerte2 et les activistes voir leur vie détruite après avoir contribué à mettre en lumière d’évidentes malversations aux États-Unis comme en Europe… Les lanceurs d’alerte légitimes qui mettent au jour d’incontestables malversations, qu’ils agissent de l’intérieur ou l’extérieur du système, méritent l’immunité contre les représailles gouvernementales…
Au sein de l’Union Européenne, le registre du commerce de chaque État membre devrait être librement accessible et comporter des données détaillées sur les bénéficiaires économiques finaux des sociétés…
C’est une chose de louer les vertus de la transparence gouvernementale lors de sommets et dans les médias, mais c’en est une autre de la mettre en œuvre effectivement... C’est un secret de polichinelle qu’aux États-Unis, les élus passent la majorité de leur temps à lever des fonds. Le problème de l’évasion fiscale ne pourra être réglé tant que les officiels élus dépendront de l’argent des élites qui ont le plus de raisons de vouloir échapper à l’impôt. Ces pratiques politiques iniques sont arrivées à la fin d’un cycle et elles sont irréconciliables.… Face à la couardise des politiques, il est tentant de céder au défaitisme, de dire que le statu quo reste fondamentalement inchangé, alors que les « Panama Papers » sont le symptôme évident de la décadence morale de notre société.… Les banques, les régulateurs financiers et les autorités fiscales ont échoué. Les décisions qui ont été prises ont ciblé les citoyens aux revenus bas et moyens en épargnant les plus riches.… Des tribunaux désespérément obsolètes et inefficaces ont échoué. Les juges ont trop souvent cédé aux arguments des riches, dont les avocats – et pas seulement chez Mossack Fonseca – sont parfaitement rodés à respecter la lettre de la loi, mais en mettant tout en œuvre pour en pervertir l’esprit. Les médias ont échoué... La conséquence collective de ces échecs est l’érosion totale des standards déontologiques, menant en fin de compte à un nouveau système que nous appelons toujours capitalisme, mais qui se rapproche davantage d’un esclavage économique. Dans ce système – notre système – les esclaves n’ont aucune idée de leur propre statut ni de celui de leurs maîtres, qui évoluent dans un monde à part où les chaînes invisibles sont soigneusement dissimulées au milieu de pages et de pages de jargon juridique inaccessible.… Qu’il faille attendre que des lanceurs d’alerte tirent la sonnette d’alarme est encore plus inquiétant. Cela montre que les contrôles démocratiques ont échoué, que l’effondrement est systémique, et qu’une violente instabilité nous guette au coin de la rue.
L’heure est donc venue d’une action véritable, et cela commence par des questions. Les historiens peuvent aisément raconter comment des problèmes d’imposition et de déséquilibre des pouvoirs ont, par le passé, mené à des révolutions. La force militaire était alors nécessaire pour soumettre le peuple, alors qu’aujourd’hui, restreindre l’accès à l’information est tout aussi efficace – voire plus –, car cet acte est souvent invisible. Pourtant nous vivons dans une époque de stockage numérique peu coûteux et illimité et de connexion Internet rapide qui transcende les frontières nationales. Il faut peu de choses. Tirer les conclusions : du début à la fin, de sa genèse à sa diffusion médiatique globale, la prochaine révolution sera numérique.
Ou peut-être a-t-elle déjà commencé.
Notes
1.- L’intégralité a été publiée par Le Monde. Cf. B. Obermayer et F. Obermayer, Le secret le mieux gardé du monde. Le roman vrai des Panaméens Papers, Le Seuil, pp.405-411.
2.- On ne peut qu’admirer le courage des « lanceurs d'alerte », qui au péril de leur vie, au nom de la vérité et la justice, ont révélé certains scandales.