Éditorial
Garrigues & Sentiers on the Net
Dossier n° 9
Un amas de dollars en passe de fondre à vue d'œil : est-il besoin de commenter la vignette qui introduit ce nouveau dossier de Garrigues & Sentiers ? Elle est image de crise, bien entendu. Ou plutôt de la crise, comme on dit actuellement en pressentant que comme celle « de 29 », elle ne tardera pas à être millésimée dans les manuels d'histoire. Tous nos médias le serinent assez à longueur de journée !
Pour en traiter, nous avons choisi une approche, non de l'économie, mais de L'Économique. Clin d'œil aux
Anciens, bien entendu, comme Xénophon et surtout Aristote. Façon, aussi, de signifier avec et après eux l'importance de cet « art d'administrer son domaine » que l'on ne saurait réduire
à des analyses purement économiques. Car - le mot le dit bien - il vise notre maison commune, l'oikoumenè : la terre et tous ceux qui y vivent. Plutôt mal que bien - et
aujourd'hui de plus en plus mal : scandale qui ne peut laisser indifférent ni le citoyen, ni le chrétien.
Non que l'analyse de la « vulgate économique » et de l'idéologie qu'elle véhicule ne soit éclairante. Le montre assez l'importante contribution qui ouvre ce dossier : celle d'Angelo Gianfrancesco, Tina, histoire d'une croyance. « Tina », cela sonne comme le diminutif d'une jolie fille. Il s'agit pourtant d'un acronyme que l'on vous laisse découvrir et qui renvoie à une réalité bien moins séduisante : la politique économique inaugurée par Reagan et Thatcher, qui a relégué en l'espace de trente ans notre « maison commune » dans l'impasse où elle se trouve.
Avec d'autres accents, l'article de Guy Roustang, Économie, éthique et politique ne dit pas autre chose. On y trouvera une autre analyse très argumentée de cette néfaste politique ou, mieux, de l'« écorègne » qu'elle a inspiré, pour reprendre l'heureuse formule de Maurice Bellet. Car il fallait le regard d'un philosophe ou d'un théologien pour dénoncer ce que les économistes n'ont pas su ou voulu voir. Le rappelle un autre article de JMP, De l'impasse majeure de ce que nous appelons l'économie, en forme de note de lecture, de méditation aussi, de l'ouvrage homonyme de Bellet.
En contrepoint de ces analyses macro-historiques et macro-économiques, l'article de Jean-Marie Borriello, La concurrence fait-elle baisser les prix ? apporte un éclairage original en focalisant l'attention sur un point : le prix de l'électricité, désormais « dérégulé » au sein de la Communauté européenne. Cet autre témoignage de l'imposture sur laquelle repose la « pensée unique » qui régit notre économie explique aussi le désenchantement actuel de l'opinion à l'égard de l'idée européenne.
Un désenchantement dont traite plus en détail la contribution de Philippe Mioche, Europe des marchés, Europe des peuples ?. Mais c'est pour dire aussi la chance que pourrait constituer la crise pour l'Europe, si ses dirigeants et ses citoyens savent faire preuve d'imagination et de générosité.
Imagination et générosité : ces deux mots reviennent comme un leitmotiv dans l'article de Maurice Parodi, L'économie sociale et solidaire : une alternative à l'économie capitaliste ? dont le titre pourrait tout aussi bien porter un point d'exclamation qu'un point d'interrogation. Car cet exposé très argumenté de l'histoire et des modalités de ces autres formes d'économie sonne comme un appel à relever un défi : celui d'un retour au primat de l'Économique. C'est-à-dire à une administration des biens et des richesses qui soit respectueuse de l'oikoumenè et de ses habitants.
À ces articles d'ordre général, nous avons joint, comme il est de règle pour Garrigues & Sentiers, des contributions qui traitent de notre région.
Une région qui apparaît particulièrement touchée par la crise, comme le montre l'article d'Angelo Gianfrancesco, Pauvres et pauvreté en PACA. Son sous-titre, « un exposé et un regard critique », dit assez que son propos n'est pas seulement informatif et statistique, mais qu'il sonne comme un appel à la solidarité.
De fait, notre région est aussi une terre où l'économie solidaire tient toute la place qu'appelle d'autre part de ses vœux Maurice Parodi. En témoignent deux contributions :
* celle de Gilles Rebèche, L'économie solidaire, pour prendre soin de l'écosystème du lien social, dans laquelle il livre son expérience de responsable de la diaconie du Var et ce qu'elle accomplit. En particulier pour les Roms, « cette première minorité de l'Europe soumise à la discrimination, au rejet et à l'exclusion ».
* celle de Michel Paillet, Un toit pour mes frères, qui dit l'action multiforme d'« Habitat et Humanisme » dont il est le président
pour le département du Var.
Deux contributions enfin viennent rappeler à nos lecteurs chrétiens l'impérieuse nécessité pour eux de lire comme un « signe des temps » (Mt 16, 3) la crise actuelle.
L'une, d'Angelo Gianfrancesco, In God we trust !..., est en forme de clin d'œil au matelas écorné de dollars qui sert d'image introductive à notre dossier. Mais cet ultime regard que son auteur porte là sur l'Économique est pour conclure avec sa fermeté coutumière que « Le christianisme ne peut être que social ou bon à ranger dans une bibliothèque ».
Pour éviter ce péril où il perdrait tout sens, il faudra que les chrétiens emploient tous leurs talents. Et plus précisément ceux que le Maître leur a remis en toute liberté. C'est l'objet de l'ultime contribution de ce dossier : celle de René Guyon, Le talent d'Achille. Avec la maîtrise à laquelle il a habitué les lecteurs de notre rubrique « D'une Alliance à l'autre », il y traite du seul passage où les Évangiles font allusion à une banque. Non pour dire, comme jadis tel institut bancaire, « Votre argent m'intéresse », mais nous nous renvoyer à notre liberté.
Une liberté qu'il nous appartient de mettre au service de notre maison commune, l'oikoumenè, afin d'y cultiver l'Économique au lieu de la laisser en proie aux ravages d'une économie oublieuse de l'homme.