Économie, éthique et politique
Au début de l'année 2007, les Semaines Sociales de France ont lancé une vaste campagne pour une société plus juste résumée en 12 propositions. Toutes ces propositions sont importantes :
1) Assurer aux enfants les plus défavorisés le soutien nécessaire à une scolarité normale. 2) Mettre en place un véritable statut du travailleur. 3) Réformer le statut des entreprises
dans le souci de mettre la personne au centre de l'entreprise. 4) S'attacher par priorité à accroître la part des plus démunis dans la distribution des revenus. 5) Mettre fin au scandale des
ghettos et des sans abri. 6) Traiter avec respect les personnes en détention. Etc. Toutes ces propositions sont importantes, de même que celles qui les suivent et qui demandent par exemple que
l'on tienne nos engagements financiers à l'égard des pays les plus pauvres. Comment ne pas être d'accord sur de si bonnes intentions ? Et pourtant je n'ai pas signé, peut-être à tort, mais
il me semble qu'il y a un risque à se donner bonne conscience en signant des pétitions qui n'engagent pas à agir soi-même et qui surtout veulent soigner les effets sans remonter aux
causes.
Les Semaines Sociales ont l'intérêt de réunir chaque année des centaines de chrétiens pour les amener à réfléchir en commun à des questions de société. Elles ont été présidées ces dernières années par Jean Boissonnat, puis par Michel Camdessus (ancien directeur général du FMI) experts économistes connus comme catholiques. Ces experts et d'autres catholiques comme Michel Albert, ancien commissaire général du Plan, Robert Rochefort, directeur du CREDOC, Pascal Lamy, directeur de l'OMC (Organisation Mondiale du Commerce), cherchent à corriger les dérives du système économique actuel. Ce sont des gestionnaires qui font au mieux, et qui par leur notoriété influencent les prises de position de l'Église. Mais ils ne remettent pas en cause une orientation générale qui est foncièrement néfaste. « L'élite complètement absorbée par ses travaux fonctionnels, ne pourra, très souvent, apporter au bien général qu'une contribution spéciale, non une critique générale »[1]. Tous ces experts partagent peu ou prou l'idéologie économique dominante qui est en cours à gauche comme à droite. Je plaide dans cet article pour que les chrétiens et la parole de l'Église soient moins timides et qu'ils dégagent une vision dont notre société a le plus grand besoin pour affronter les difficultés qui s'accumulent. Si les chrétiens et l'Église parlaient autrement, ils pourraient appeler tous les hommes de bonne volonté, chrétiens ou non, à un sursaut qui ouvrirait un autre avenir à nos sociétés.
Autrement dit, il faudrait poursuivre dans la voie qui avait été ouverte par la Déclaration de la Commission sociale de l'épiscopat « Au nom de la dignité humaine » en septembre 1993, qui tranchait par sa vigueur et par son appel à interroger les fondements de notre société. En voici quelques extraits. « Aujourd'hui, il ne suffit plus de crier contre le chômage. Il faut prendre conscience de la logique qui le crée... Nous sommes arrivés à la fin d'une logique : les bases sur lesquelles est bâtie notre société sont aussi celles qui ont conduit à la situation actuelle. Les remèdes au chômage resteront des soins palliatifs tant que nous ne nous interrogerons pas sur le type de société que nous voulons construire, pour le bien des hommes ». Citons encore : « L'absence de projet social et politique dynamique et mobilisateur, qui se subordonnerait les autres rationalités, laisse une certaine conception de l'économie se présenter comme la seule rationalité pouvant régir le monde. On passe insensiblement de la nécessaire reconnaissance de règles économiques à un « économisme » qui tient lieu de doctrine sociale et philosophique ». Cette déclaration appelait à « un changement culturel auquel, pour nous chrétiens l'Évangile nous appelle ».
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[1] Cette
phrase est tirée d'un rapport du commissariat général du plan qui s'intitulait « Réflexions pour 1985 ». Il faudrait lire ou relire les vraies élites qui nous éclairent sur la dynamique
de notre monde, les pages prophétiques de Charles Péguy sur l'argent et le monde moderne, celles de G.Bernanos dans La France contre les robots qui nous disait « Aller plus vite par
n'importe quel moyen. Aller vite ? mais aller où ? Comme cela vous importe peu, imbéciles ! ». Il faudrait reprendre les analyses d'Hannah Arendt dans Conditions de
l'homme moderne rééditées en livre de poche avec une préface de Paul Ricoeur. Ou relire les travaux des grands sociologues qui au tournant du 19e et du 20e
avaient bien compris l'ambivalence des évolutions qu'ils analysaient : notamment Max Weber, Georges Simmel avec son livre monumental Philosophie de
l'argent.