TINA, histoire d’une croyance
Les psychiatres pourraient être convoqués de nouveau. En ces temps de manifestations maniaco-dépressives de la finance et des financiers, le diagnostic de « folie » pour qualifier la crise financière, la « énième » crise financière qui secoue la planète Terre dirait le petit prince, est de nouveau à la mode. Du coté des instances morales et politiques, souvent les mêmes, l'adjectif prisé est « immoral ». L'opinion publique, elle, oscille entre l'indignation ou le parti-pris de la sagesse accomplie qui tient en deux mots : « C'est ainsi ». Quant aux experts[1], pour nombre d'entre eux, j'hésite pour ma part à distribuer leur docte appréciation entre un problème ophtalmique de l'ordre de la cécité, ou bien une certaine nullité de pensée, ou encore, plus probable, la complicité idéologique, puisque l'un d'entre eux, et pas des moindres, déclarait dès août 2007 : « La crise du crédit immobilier n'est pour l'instant pas gigantesque. Pas de quoi gripper les moteurs de la croissance »[2] ou plus récemment, « Il n'y a pas d'inquiétudes à avoir sur la solidité des banques françaises...le système français est beaucoup plus diversifié et bien mieux équilibré que le système américain »[3] D'ailleurs cela importe peu puisque, quels que soient leurs diagnostics et leurs pronostics, pour ceux-là, l'explication, la solution, la garantie tient en deux ou trois mots, des substantifs plutôt que des verbes évidemment, d'une indicible indigence : RÉGULATION et MORALISATION ! Souvent aussi, TRANSPARENCE.
Reste la non-voix du milliard d'individus qui savent ce que c'est d'avoir faim et des deux autres milliards à qui la ration de riz procure 70% de leurs calories quotidiennes. Ceux-là au Nord et au Sud, à l'Est et à l'Ouest, petits et grands, ne diront rien, parce qu'ils ne comprennent pas, parce qu'ils ne savent pas, parce qu'ils sont persuadés de ce que dit TINA. TINA n'est pas une personne ni un personnage, ce qui laisserait toujours la possibilité de lui tordre le cou une fois pour toutes ou de le ranger dans une bibliothèque d'archives. Non, TINA est un acronyme, une formule. Facile à retenir. C'est autrement plus dangereux et pour plus longtemps, d'autant plus qu'elle est une affirmation, en forme de croyance, dont elle revendique la force et l'évidence. Elle veut dire : There is no alternative, comprenez : Il n'y a pas d'alternative.
[1] Je pense à J. Attali, E. Cohen, N. Baverez, A. Landier, pour
rester en France seulement et en écartant les politiques.
[2] Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes, Université de Paris-Dauphine dans Libération, le 11 août 2007.
[3] Mme C. Lagarde, le 21/9/2008, sur Europe 1