L'économie sociale et solidaire : une alternative à l'économie "capitaliste" ?
Il faut d'abord s'entendre sur le sens des mots qui constituent l'ossature du "discours"[i] des économistes orthodoxes (classiques et néoclassiques), hétérodoxes et marxistes. Et d'abord le mot "économie" qui peut désigner, dans le langage courant, les manifestations les plus tangibles de la "vie économique", telles que nous pouvons les appréhender dans notre environnement immédiat au travers des actes de la consommation (commerce, marchés locaux, produits importés, prix, pouvoir d'achat, etc.) ; au travers des manifestations de la production (industrie, agriculture, services [aux entreprises, aux ménages, services de proximité, entreprises - grandes ou petites, capitalistes, artisanales -], emploi, chômage, délocalisation, commerce, ...) ; ou à travers les phénomènes de distribution (salaires, profits, rentes, ...) et de redistribution des revenus (par les systèmes de sécurité sociale, d'action sociale [petite enfance, personnes âgées, handicapés, défavorisés, ...] ou de la protection sociale en général) ; ou encore au travers des phénomènes bancaires, monétaires, financiers qui interfèrent inévitablement avec notre vie quotidienne (inflation, pouvoir d'achat, emprunt, prêt, taux d'intérêt, Bourse et même CAC 40, spéculation, crise financière, etc.). Mais dans la bouche des économistes et des experts, le mot "d'économie" et les mots associés vont prendre une saveur particulière perceptible par les seuls palais "éduqués". On est alors dans le langage codé et codifié des "sciences économiques", c'est-à-dire des représentations scientifiques et du discours propres à la discipline économique[ii].
Or, dans le langage des économistes et des experts (au moins dans celui des orthodoxes ou libéraux) "l'économie" désigne clairement la sphère privée de l'économie formelle de marché. L'économie publique elle-même, c'est-à-dire le champ des interventions directes de l'État ou de la puissance publique en général et des entreprises publiques (les rares qui subsistaient encore et qui sont progressivement privatisées aujourd'hui, comme la SNCF, la Poste, les Télécoms, etc.) n'avait dans l'analyse économique classique qu'un statut marginal. Pour les économistes de facture interventionniste ou étatiste (essentiellement dérivés du courant marxiste mais aussi du courant libéral keynésien), l'Etat producteur a, au contraire, une place centrale ou tout au moins essentielle dans la sphère économique, en liaison avec sa fonction et sa responsabilité régulatrice et de sa nature régalienne. C'est sans doute cette fonction régulatrice que redécouvrent les gouvernements libéraux en place dans les grands pays de capitalisme évolué comme les Etats-Unis, le Royaume Uni ou la France à l'occasion de la crise financière majeure actuelle et de la nationalisation précipitée de grands établissements financiers en situation de faillite ! Les économistes hétérodoxes, et notamment ceux qui se sont intéressés au projet des "inventeurs" de l'économie sociale depuis le "premier XIXème siècle" jusqu'à ceux qui défendent aujourd'hui les mouvements et les créativités de l'économie solidaire, ont une représentation beaucoup plus extensive du champ de l'économie. Ainsi, pour eux, l'économie sociale et solidaire aurait toute sa place dans le vaste champ d'une "économie plurielle".
[i] Le mot "discours" est pris ici dans le sens de Michel FOUCAULT ("L'ordre des discours" - 1971), c'est-à-dire "la formation discursive" du langage économique.
[ii] Comme il existe par ailleurs un "discours médical", un "discours psychanalytique", etc. (Michel FOUCAULT), plus ou moins hermétiques eux aussi pour le "profane".