Une présence pour une absence
Un témoignage de foi bouleversant lorsque la présence d'une amie se manifestant après un drame (l'assassinat d'un jeune filleul de 19 ans) devient signe de la Présence de Dieu et re-suscite l'espérance en la Vie possible au-delà des heures les plus sombres du tombeau.
Quand une silhouette familière disparaît dans la mort et que tant bien que mal j’essaie de surnager au fond de tristesse et de mélancolie qui m’envahit, la vie dresse ses voiles encore et encore, embarquée par le vent de l’amitié qui se lève.
Je me surprends à me retrouver exsangue d’avoir trop caché cette peine qui ronge la vitalité si coutumière à l’ordinaire, mais pour autant apte à gérer le quotidien, à porter des âmes lourdes, à faire avec cette soudaine absence, à maintenir la sécurité de ceux et celles qui doivent être préservés d’eux-mêmes.
Puis au moment où je sens le tréfonds de mon être envahi par ce sentiment de solitude, une lueur dans un regard vient brûler de son amour les chaînes du repli sur soi. Alors le bruit de la mort devient moins assourdissant, la vision du monde moins sombre, l’odeur de l’égoïsme moins prégnante.
Aucune parole n’a été dite mais cette intensité de présence est comme un baume qui vient calmer la douleur. Je me laisse prendre imperceptiblement par elle, elle me consume en brûlant mes rancœurs.
Peu à peu épurée par le feu de cet amour attentif et fidèle, l’âme change de saison. De cette plainte si humaine « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi l’as-tu abandonné ? » (Psaume 22), mon âme éprouvée peut commencer à murmurer « Toi, Seigneur, ne sois pas loin, ô ma force, vite à mon aide, délivre mon âme de l’épée » (Psaume 22). Expatriée dans le pays de l’angoisse et de la peur, mon âme se laisse enfin gagner par cette présence amicale qui l’embrase discrètement.
Je sais que cette présence deviendra cette flamme qui naît pour donner plus de clarté à mon chemin.
Je sais qu’avec elle je pourrai libérer Vincent de son devoir d’ingérence dans ma vie.
Je sais qu’avec elle je chercherai à me rendre autonome de Vincent pour que son absence prenne les couleurs de l’apaisement.
Je commencerai à entreprendre ce qui déjà travaille en moi, le long et difficile retour vers la patrie de la confiance et de l’espérance. Ce retour fera naître encore en moi de la révolte, il fera naître encore en moi de l’impatience, il fera naître encore en moi de la tristesse, mais Dieu m’aura déjà apporté son soleil par cette présence pour ne pas me perdre.
Par delà les jours, il faudra m’affranchir de cette blessure de la séparation et voir derrière le voile du déchirement, le regard de ce filleul comme un Vivant. Du sein de son absence, je découvrirai Seigneur ta présence qui fera naître sans faille sa présence à mes yeux. Je sais que cela me sera rendu compréhensible parce que depuis vingt-cinq ans tu t’es livré à ma connaissance par une enfant que tu t’es choisie et que cet enfant est devenue mon amie et ma sœur de cœur.
Alors ce jour là pourrai-je peut-être entendre Vincent me parler avec les mêmes mots que le mystique soufi : Quand vous « me » chercherez, cherchez-« moi » dans la joie, car « je suis » l’habitant du monde de la joie.
Agnès Bouvet