Vivre nos solidarités en Algérie
Lettre des évêques d’Algérie
aux
communautés religieuses des quatre diocèses
Mercredi 27 février 2008
Les événements difficiles de ces derniers mois
Ces obstacles, vous les connaissez, ce sont les difficultés faites pour l’octroi des visas d’entrée privant ainsi plusieurs des Congrégations Religieuses de recevoir les responsables, qui soutiennent, de l’extérieur, leur engagement dans le pays.
Cette difficulté s’aggrave encore lorsque ce refus de visa est opposé à ceux et celles qui veulent nous rejoindre pour rester avec nous. Leur présence est absolument nécessaire pour rajeunir nos communautés et remplacer ceux qui ont dû nous quitter pour raison de santé, ainsi que ceux qui ont été rappelés à Dieu.
Plus grave encore, comme vous le savez, les membres d’une communauté nouvelle – la communauté Salam – qui nous avait rejoints pour vivre avec nous la présence auprès des étudiants lusophones, se sont vu retirer leur autorisation de résider dans le pays.
Un autre aspect de nos solidarités a été plus gravement mis en cause par la décision qui a sanctionné le P. Pierre Wallez et le médecin de son secteur qui avaient rendu visite à des migrants vivant dans des conditions difficiles à la frontière algéro-marocaine.
Notre rencontre avec M. le Ministre des Affaires
Religieuses
M. le Ministre des Affaires Religieuses a bien voulu nous recevoir à notre demande durant la période où nous étions tous les quatre à
Alger.
Nous lui avons exprimé la volonté de solidarité des communautés chrétiennes d’Algérie, qui exprime le respect de l’Église pour la société algérienne, pour ses traditions, pour ses références
religieuses. Mais nous lui avons exprimé aussi l’inquiétude de la communauté catholique en Algérie, devant certaines décisions administratives récentes.
Il nous a écoutés avec beaucoup d’attention et nous a affirmé que l’Etat n’avait aucune volonté de mettre en cause la présence de l’Église catholique dans la société algérienne. Il a d’ailleurs
prévu avec ses collaborateurs que nous pourrons travailler avec la commission « ad hoc » du ministère, pour étudier en détail les divers articles de l’ordonnance du
28 février 2006 et des décrets d’application. Quand le travail avec cette commission sera suffisamment avancé nous vous en communiquerons les résultats.
Les difficultés rencontrées par les autres communautés
chrétiennes
Lors de notre rencontre avec M. le Ministre des Affaires Religieuses, nous lui avons remis une lettre signée par les quatre évêques pour lui
demander de bien vouloir intervenir pour faire rapporter la mesure qui conduit le Pasteur Hugh Johnson, ancien Président de l’Église Protestante d’Algérie, à quitter l’Algérie après quarante-cinq
années de vie dans le pays.
Nous avons aussi présenté à M. le Ministre la situation des communautés Coptes qui se constituent en ce moment, à la faveur de l’arrivée de travailleurs dans des entreprises égyptiennes.
Notre échange a aussi évoqué les difficultés auxquelles sont affrontées les communautés évangéliques récemment constituées. M. le Ministre a clairement affirmé son respect de la liberté de
conscience, mais il a beaucoup insisté sur la volonté des responsables de l’Algérie d’éviter la constitution de groupes qui feraient problème pour l’unité du pays. Pour lui, un croyant doit se
faire proche de tous et ne peut être contre les autres.
Renouveler nos engagements de
solidarité
La rencontre avec les responsables des
Congrégations nous a permis de renouveler les motifs et les moyens de notre vie en solidarité.
Les événements récents ont, en certains endroits, réveillé des méfiances qui nous paraissent injustes. Nous avons donné la preuve, depuis des années, que la recherche de frères et de sœurs en
humanité dans le pays est notre vocation et notre mission. Nous mettons là en œuvre l’appel du Christ « Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés ».
Certains journaux écrivent maintenant que nos engagements de service sont des moyens pour obtenir des conversions. Une fois encore nous voulons leur dire que la vie à la suite de Jésus implique
la gratuité dans le service. Notre joie s’épanouit là où nous pouvons nous accueillir les uns les autres dans le respect de la différence. Faire naître la communion entres les hommes de toute les
origines, des toutes les cultures, c’est pour nous la mission de Celui qui « a donné sa vie pour rassembler dans l’unité tous les enfants de Dieu dispersés ».
Nous voulons respecter chacun dans son identité religieuse et dans sa recherche personnelle. C’est d’ailleurs l’un des grands défis du monde moderne.
La tentation est grande de choisir dans la tradition chrétienne qu’un seul aspect de la fidélité à la mission. Le Pape Benoît XVI, dans sa première encyclique, a mis au centre de notre vie
chrétienne cette conviction si forte du Nouveau Testament « Dieu est Amour » et il nous invite à mettre en œuvre cette certitude dans notre vie quotidienne et par nos travaux
de solidarité.
Les dimensions internationales de nos fidélités
locales
Nos travaux de solidarité s’expriment par des services très concrets et qui peuvent paraître très modestes : soutien scolaire, formation
féminine, aide aux handicapés, appui à l’artisanat, bibliothèque pour étudiants, aide aux personnes âgées et isolées, formation professionnelle, accueil des enfants, maternité.
Mais cette solidarité quotidienne vécue dans la relation entre chrétiens et musulmans depuis des dizaines d’années a mis en œuvre une vie d’Église locale devenue féconde pour l’Église
Universelle.
Nous savons la place tenue par des religieux ayant vécu en Algérie dans la réflexion de l’Église Universelle, lors de la rédaction à Vatican II du document relatif à la
relation entre chrétiens et musulmans. Ce texte a eu un rôle déterminant dans le changement de regard de l’Église catholique sur le monde de l’islam.
Dans l’étape présente de la vie du monde, beaucoup d’événements tendent à opposer chrétiens et musulmans, La vocation qui nous a été donnée en Algérie pendant toutes les années passées, reçoit
donc du contexte présent une nouvelle importance.
Nos solidarités habitent notre prière et prennent source dans notre vie eucharistique – « donner sa vie pour les frères » – Les épreuves
traversées nous invitent d’ailleurs à vivre plus profondément le Mystère du Christ.
Beaucoup de nos amis algériens savent le prix qu’il nous a fallu payer pour mettre en œuvre cette solidarité. Certains se rappellent le sacrifice consenti par nos frères et
sœurs religieux et religieuses, en même temps que beaucoup d’Algériens non chrétiens, lors de la crise algérienne de 1994 à 1996.
D’autres gardent comme une référence actuelle ce qu’ils ont reçu, autrefois, de l’engagement solidaire des Pères et des Sœurs. Cette histoire peut, parfois, nous paraître comme nous renvoyant à
une époque révolue. Nous pensons au contraire que les évolutions présentes du monde font de notre vocation à une solidarité qui passe les frontières, une vraie mission pour aujourd’hui et pour
demain.