L'esprit de l'athéisme
Introduction à une spiritualité sans Dieu
par André Comte-Sponville.
En donnant comme sous titre à son livre : « Introduction à une spiritualité sans Dieu », André Comte-Sponville rejoint une attitude dans laquelle un nombre important de nos contemporains se reconnaissent volontiers. Chercheurs de sens, soucieux d’un équilibre de vie, préoccupés par l’avenir du monde, ouverts à une pensée symbolique, attentifs à se laisser interroger par les mythes religieux de l’humanité… ils investissent du temps et des efforts dans des recherches qui peuvent sembler gratuites face aux objectifs d’une société matérialiste. Ils se veulent témoins d’une conception spiritualiste de l’homme, mais contrairement à ce qui fut le cas dans le passé, ils ne la rattachent pas à une tradition religieuse. Ils se reconnaîtraient volontiers dans ce personnage de Camus qui déclarait : « Peut-on être un saint sans Dieu, c’est le seul problème concret que je connaisse aujourd’hui. » (La Peste, Gallimard, 1947, p. 279).
André Comte- Sponville reprend et actualise cette question en trois parties :
- Peut-on se passer de religion ? Oui, car une religion, quels que soient sa grandeur et ses mérites (que l’auteur est prêt à reconnaître) comporte des risques de dérives sectaires et fanatiques qui vont à l’encontre d’une vraie spiritualité qui se veut ouverte et universelle.
- Dieu existe-t-il ? Tout en reconnaissant d’emblée qu’il n’y a pas de preuves de l’existence ou de la non-existence de Dieu, l’auteur analyse avec brio les raisons invoquées pour ou contre l’existence de Dieu, avant de conclure que la raison penche plutôt pour la négative. Ceci étant finalement sans importance, car pour la question qui l’intéresse : quelle spiritualité pour l’homme moderne, la référence à un Dieu est inutile et encombrante.
- Quelle spiritualité pour les athées ? Nous sommes ici au cœur du livre. Comte-Sponville refuse vigoureusement d’identifier athéisme et matérialisme. « Ce n’est pas parce que je suis athée que je me laisserai châtrer spirituellement ! » Il dit toute sa sympathie pour la tradition judéo-chrétienne de son enfance et de sa culture. Il voudrait la conserver et la transmettre mais débarrassée de son enveloppe religieuse. Il plaide pour une spiritualité humaniste (fondée sur l’amour), relativiste (sans absolu autre que celui que nous choisissons) qui situe l’éternité dans le présent vécu avec intensité…
On comprend l’audience que de telles perspectives peuvent trouver dans une société sécularisée, cependant la force de conviction de l’auteur ne doit pas nous empêcher d’évoquer les questions que sa lecture nous a posées.
Comte-Sponville évoque dans son livre des expériences qui ont incontestablement une tonalité spirituelle, mais les explications qu’il en donne ensuite relèvent plutôt des sagesses humaines, fondées sur une réflexion sérieuse sur le sens de la vie. Du reste les modèles qu’il invoque sont essentiellement des philosophes, rarement des mystiques. Une expérience spirituelle va plus loin, elle implique l’accueil d’un dynamisme qu’on reçoit d’ailleurs, sans pouvoir toujours donner un nom à cet ailleurs. À cet égard, elle met en œuvre des attitudes comme la foi et la prière, qui ne sont pas caractéristiques des sagesses rationnelles.
L’absolu auquel se réfèrent les spiritualités peut-il rester relatif à nos choix personnels ? Cela semble contradictoire. S’il s’impose comme une référence dernière, il faut bien lui reconnaître une quelconque transcendance.
Enfin cet absolu peut-il rester sans nom et sans visage ? L’expérience tendrait plutôt à montrer que, dans la mesure où une recherche spirituelle s’approfondit, elle sent le besoin de donner un nom et un visage à Celui dont elle perçoit la présence au cœur de sa quête.
Ces questions, nous les posons avec respect et sympathie, car elles sont aussi nos questions et elles nous invitent à aller plus loin sur les chemins de la foi. Puissent-elles aussi nous aider à reconnaître chez d’autres les chemins de l’Esprit et nous inviter à les rejoindre, porteurs de la lumière de l’Évangile.
Michel Rondet, s.J.