Le pardon de Dieu
Notre époque a justement réagi à la conception d’un Dieu juge et vengeur. Elle a tellement cherché à évacuer l’image d’un homme uniquement et éternellement pécheur, tant voulu insister sur celle d’un Dieu-amour totalement miséricordieux qu’on peut se demander où en est l’idée de pardon.
Nous risquons d’attendre de ce Dieu – si plein de ce qui nous manque – un pardon un peu automatique et, si l’on ose dire, sans contrepartie. Il n’est pas question, bien sûr, de marchander avec Lui, de retomber dans une comptabilité de “pratiques”, de “mérites” ou de “sacrifices” compensatoires qui nous obtiendraient sûrement ce pardon auquel Dieu serait magiquement contraint. Pur don, son pardon reste effectivement gratuit.
Mais pour désirer vraiment être pardonné, il faut peut-être d’abord reconnaître ce qui en nous, dans nos actes, en particulier à l’égard de nos frères, n’est pas net, n’est pas bon. Il faut avouer notre responsabilité. Et aussi regretter ce mal. Lorsque le Fils prodigue décide de rentrer chez son père, c’est parce qu’il a faim. Faim de pain, sûrement, c’est son mobile immédiat. Mais faim aussi de cet amour qu’il n’a plus rencontré depuis qu’il s’est séparé de son père, ni avec les filles qu’il a fréquentées et qui l’ont ruiné, ni avec les porcs qu’il a gardés. Et ce mouvement de retour, quoiqu’intéressé, suffit pour que le Père pardonne avant même que le Fils récite son petit discours préparé dans la misère.
Et puis, enfin, pour être pardonné, nous devons être capables de pardonner nous-mêmes. Nous répétons, dans la prière de Jésus, “pardonne-nous, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés”. Ce “comme nous” devrait nous obliger à un engagement très fort. Il signifie “de la même manière que nous pardonnons”, “tout autant que nous pardonnons”, “à cette condition que nous pardonnions ” …
Jadis, lorsqu’un pénitent était insuffisamment convaincu de sa faute ou refusait de la réparer, les confesseurs pouvaient lui refuser l’absolution (ce qui l’excluait de la communion). C’était pour l’amener à un retour sur soi, comme une pédagogie de conversion. Gandhi, apôtre de la non-violence, a bien exprimé ce que devait être un pardon véritable, sans compromission et donc difficile. Il a osé dire : “Si mon fils mène une existence dissolue, tout mon amour m’oblige à lui retirer mon aide même s’il doit en mourir, et le même amour m’impose de lui ouvrir les bras quand il se repent. Mais je n’ai pas le droit d’employer contre lui la force.” On doit respecter la liberté du pardonné, mais celui-ci doit reconnaître ses limites et la nécessité de les dépasser.